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Citations de Elisabetta Rasy (143)


Pendant toute la durée de cet autre après-midi, l’après-
midi napolitain chez ma grand-mère, je n’avais cessé
d’observer plus ou moins à la dérobée cet étrange
exemplaire de femme. Malgré mes sept ans, je savais que les
Parisiennes étaient élégantes : le cinéma et les conversations
familiales me l’avaient appris. Mais Marie Rose possédait une
élégance particulière, inconcevable pour mon imagination
d’enfant. Elle avait aussi des manières différentes. Il y avait,
parmi les amies de ma grand-mère, celles qui m’ignoraient,
par indifférence ou intolérance envers les enfants, et celles
dont les façons mielleuses et collantes m’insupportaient.
Maria Rosa ne figurait dans aucune de ces deux catégories. À
son arrivée, elle avait fixé sur moi une expression attentive et
m’avait saluée comme on salue les adultes – de sa main
tendue. C’était une des raisons pour lesquelles j’avais
continué de l’observer. Et puis j’étais intriguée par son
pantalon et par ses cheveux courts coiffés vers l’arrière.
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Je crois, répondit-elle, qu’elles n’avaient aucune idée des
métiers appropriés ou non à une femme, elles pensaient tout
simplement que les femmes n’étaient pas appropriées au
travail, sauf en cas de stricte nécessité. Maria Rosa, en
revanche, était sûre d’elle, elle voulait être photographe et
elle y est parvenue.
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Elle se montra inébranlable. Les deux femmes déclarèrent à
leur retour qu’elle avait totalement changé, qu’elle avait
coupé ses merveilleux cheveux blonds et qu’elle menait une
vie étrange.
Comment ça ?
Elle travaillait.
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Cette nuit j’ai rêvé de toi. Nous avions une discussion
animée, mais à mon réveil je ne savais plus à quel sujet. Je
suis certaine que nous parlions de nous, de notre avenir.
Voilà pourquoi je t’ai écrit cette longue lettre. Un an s’est
écoulé depuis et je m’apprête à partir. J’emporterai quelques
1.
2.
3.
4.
objets, mes lettres avec les chansons et le Kodak avec lequel
j’aurais aimé te prendre une nouvelle fois en photo. Ma
famille croit que je pars en vacances. Je ne reviendrai pas, je
quitte à jamais cette ville, je chercherai ma voie, je serai
l’exception, comme tu me l’as dit, et non la règle. Une femme
différente. Du moins je l’espère.
La journée est magnifique. Tout brille, la mer, le ciel et la
poussière dans l’air. Je jette cette lettre à la mer sans la
glisser dans une bouteille. Tout est hier, désormais. La guerre
est un rideau qui tombe, tu te rappelles ? Nombreux sont
ceux qui auront un monument après cette guerre, tu l’auras
toi aussi. Ton monument, c’est moi.
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Voilà, au cours de ces mois-là, j’ai compris une
chose. Tôt ou tard, la souffrance s’abat sur vous, elle vous
fait dégringoler ou vous paralyse comme une avalanche,
mais l’important survient ensuite. Ensuite, peu à peu, elle se
fraie un chemin en vous, elle se rend dans son pays, situé en
chacun de nous, le pays de la souffrance, elle provoque un
tremblement de terre, et toutes les autres souffrances
sursautent et chutent. Puis, une fois le tremblement de terre
passé, un nouvel élément apparaît dans le paysage, une
nouvelle montagne, une nouvelle rivière, il est là, il est là
pour toujours avec vous. C’est-à-dire maintenant avec moi.
Cette montagne, cette rivière, c’est toi maintenant.
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Tu sais, j’ai compris quelque chose lors de notre séjour sur
le Karst. Et quand je dis sur le Karst, tu sais ce que je veux
dire, tout ce rouge, cette boue et ce sang, tous ces liquides,
la pisse, le torrent de la diarrhée, les vomissures, les larmes,
toutes ces larmes et toute cette salive, encore du sang, puis
de la joie, toute cette joie, notre joie, voilà ce qu’était le
Karst. Et tous ces bruits, les explosions, les détonations des
canons, le tonnerre de la pluie, la pluie sur les vitres, l’eau
tombant dans les baquets, l’eau débordant des seaux et
atterrissant par terre, les seaux qui claquent, les hurlements,
les gémissements, les sanglots, toute la musique des pleurs,
les pleurs légers et les pleurs désespérés, les explosions des
grenades, la Marche funèbre de Chopin, les chansons
qu’entonnaient les blessés, les pas nocturnes dans la salle
commune, le vrombissement des camions et les
grognements des corps malades, le silence subit des
cadavres... Voilà, au cours de ces mois-là, j’ai compris une
chose. Tôt ou tard, la souffrance s’abat sur vous, elle vous
fait dégringoler ou vous paralyse comme une avalanche,
mais l’important survient ensuite. Ensuite, peu à peu, elle se
fraie un chemin en vous, elle se rend dans son pays, situé en
chacun de nous, le pays de la souffrance, elle provoque un
tremblement de terre, et toutes les autres souffrances
sursautent et chutent. Puis, une fois le tremblement de terre
passé, un nouvel élément apparaît dans le paysage, une
nouvelle montagne, une nouvelle rivière, il est là, il est là
pour toujours avec vous. C’est-à-dire maintenant avec moi.
Cette montagne, cette rivière, c’est toi maintenant.
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Que d’odeurs... tu t’en souviens ? Je ne les oublierai
jamais.
L’odeur de l’acide phénique.
L’odeur de l’essence pour désinfecter.
L’odeur des bandes repassées encore humides.
L’odeur du chocolat.
L’odeur des caramels à l’orange.
L’odeur des cigarettes turques que ma tante m’avait
envoyées et que je t’ai obligée à fumer.
Le crottin de mule et de cheval.
Fer brûlé et poussière rance dans les trains de la débâcle.
Le carburant des ambulances qui irritait la gorge.
L’odeur du marsala. Et du cognac quand on nous
autorisait à en goûter.
L’huile camphrée des piqûres contre la gangrène.
L’odeur de la gangrène.
Le parfum sec et fort des arbres au loin sur la montagne.
L’odeur du sang qui jaillit des plaies et qui n’en a presque
pas – d’odeur.
L’odeur du sang qui stagne.
L’odeur acide de la réserve de médicaments.
L’odeur de la poudre à canon, la nuit, après les explosions.
L’odeur de savon dans notre chambre.
L’odeur particulière de terre humide et d’herbe piétinée.
Ton odeur à toi.
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J’aimerai la mer si tu aimes le lac, as-tu
murmuré en me pressant la main. J’ai pressé la tienne et j’ai
éclaté de rire. Alors tu as joint ton rire au mien, nous
n’arrêtions plus de rire. L’officier d’administration est venu
vers nous et nous a lancé un regard ébahi, peut-être pensait-
il que nous pleurions. Nous avons désuni nos mains et pris un
air sérieux. Puis nous sommes tous sortis à l’air libre.
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Elle s’intitulait ’O surdato
’nnammurato, Le Soldat amoureux. Je la chantais moi aussi
tout bas quand personne ne pouvait m’entendre et je pensais
à toi. ’O surdato ’nnammurato. Mais j’étais une infirmière
amoureuse d’une autre infirmière et personne ne chanterait
mon amour pour toi. Je chantais et pensais à toi pour le
premier anniversaire de nos adieux, un an s’était écoulé
depuis, et je t’attendais, je ne cessais de t’attendre. Je
désirais tant recevoir de tes nouvelles qu’elles finiraient par
arriver, j’en étais certaine.
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Autrefois, j’aimais danser, je ne danserai plus, ai-je songé
dans l’attente de tes nouvelles.
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Je pensais uniquement à la guerre telle que je
l’avais vue, sans batailles héroïques, rien que des
catastrophes. Je revoyais et entendais tout. Les bombes, les
avions ennemis volant au-dessus du fleuve, beaux dans le
ciel et mortels, le canon vrombissant comme le tonnerre qui
s’éloigne et se rapproche, l’abri puant l’acide phénique, la
poussière, le renfermé et la sueur, les klaxons des
ambulances, le passage incessant de blindés et de mules
chargées de provisions, les casques et les masques presque
plus asphyxiants que les gaz, les folles courses des rats,
l’avion autrichien abattu sur le pont et, sur le pont au
crépuscule, pareilles à des oiseaux de nuit, les capes
sombres des infirmières, les plafonds noirs de mouches qui
dévorent les blessés, les rats mangeant notre sucre, les
araignées, les punaises, les poux, les moustiques par milliers,
les grenades qui éclatent dans l’enceinte de l’hôpital, les
arbres en feu, les vitres brisées, le soldat privé de face, les
détonations, les éclairs, la peur, les chevaux morts, tous les
chevaux morts sous la pluie de la fuite, ces pauvres chevaux
innocents, forts et malchanceux. Je repensais à ma guerre,
celle que j’avais menée pour surmonter mon dégoût face à la
bouche qui vomit le cerveau, aux jambes et aux bras qui vous
restent dans la main après les amputations, à l’horreur des
plaies infectées et des os visibles sous les escarres, à la peau
racornie par les brûlures, à l’odeur de cadavre se dégageant
des corps en vie, à la puanteur d’égout imprégnant les draps,
aux insupportables gargouillements dans la gorge des
moribonds, aux gémissements sans fin.
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Tu t’es assise sur ton lit, ta bougie à la main, et tu as
observé un moment de silence. Puis tu t’es levée, tu as saisi
la bougie et l’as posée entre nous. Tu m’as dévisagée. Mes
yeux allaient de ton visage à l’obscurité. J’ai eu l’impression
que ton silence durait une éternité. Enfin, tu as pris la parole,
et tu avais une voix sérieuse que je ne te connaissais pas.

Écoute, Alba Rosa. Je ne sais pas ce que nous réserve
l’avenir. Seule une situation aussi terrible et aussi horrible
que la guerre nous permet de nous aimer à notre guise. Ce
ne sera plus le cas ensuite. Je veux devenir médecin. J’aurai
une vie dure, peu de temps, mille difficultés à affronter. Je
désire que tu sois avec moi. Je ne sais pas comment nous
ferons. Tu es habituée à une existence facile...

J’aurais aimé t’interrompre, te dire que c’était faux, mais
tu avais raison, mon existence avait été facile, quoique très
mélancolique.

... Je ne mènerai pas une vie facile. Je voudrais t’avoir à
mes côtés, ce qui compliquera les choses. Nous devrons nous
cacher, feindre, nous nous sentirons en danger, il se peut
qu’on nous humilie, il se peut qu’on nous démasque et qu’on
nous condamne. Mais je veux, je voudrais si tu le souhaites,
t’avoir à mes côtés. Si j’ai des sentiments, et je le déclare
comme je te l’ai déclaré, cela signifie que c’est vrai. Et que je
ne changerai pas d’avis. Il faut que tu aies confiance en moi.
Je ne changerai pas d’avis. Je ne changerai pas de
sentiments.
Tu ne veux pas te débarrasser de moi ?
Non, comment peux-tu imaginer une chose pareille ?
J’ignore ce qui se passera, mais nous serons ensemble. Il n’y
aura pas de règlements à suivre, comme ici. Et de toute
façon nous ne suivrons pas les règlements, nous ne serons
pas la règle, nous serons l’exception. Je veux que tu le
comprennes, ce ne sera pas facile. Il te faudra être une
femme différente, différente de celle que tu as été jusqu’à
présent, différente de celle qu’on a voulu que tu sois. Ce ne
sera pas confortable, tu y arriveras ?
Je crois, j’essaierai, je ne tiens pas à être comme on a
voulu que je sois, même si c’était confortable, bien sûr.
Tu t’es approchée et tu as posé une main sur mon front,
comme pour voir si j’avais de la fièvre, mais tu ne pressais
pas, tu me caressais lentement.
N’oublie pas, as-tu murmuré, de près ou de loin je
t’aimerai toujours. Tu dois avoir confiance, promets-le-moi.
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Au bout d’un moment, une silhouette aussi blanche qu’un
fantôme est apparue dans l’encadrement de la porte et mon
prénom a résonné, pas le vrai, l’autre, ce prénom encore plus
vrai. Alba Rosa, Alba Rosa, de plus en plus fort. Je suis ici, ai-
je dit, parce que c’était ta voix.
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Je me rendis dans la cour, derrière l’hôpital, bien décidée à ne pas réintégrer notre chambre. Ce n’était pas qu’un caprice. Tu étais souvent
une énigme pour moi, et j’en étais apparemment une pour
toi. Petite, je me conduisais ainsi avec ma nourrice et surtout
avec ma mère : lorsqu’elles me grondaient trop, j’allais me
cacher dans un recoin sombre de l’appartement, dans la
penderie ou dans un des garde-manger, le plus fétide. Cet
éloignement était à mes yeux ma vengeance et mon salut. Il
y avait dans la cour un petit bâtiment à l’abandon, rempli de
matériaux de l’ancienne usine et de meubles cassés, une
seule pièce avec un escalier de pierre qui menait à un
débarras souterrain. Je me suis assise sur les marches et j’ai
fondu en larmes.
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Ce n’était pas la première fois que tu
m’ignorais dans la salle commune. Je me suis fâchée, avais-tu
honte de moi ? Voulais-tu me signifier que je devais garder
mes distances le jour, alors que nous risquions d’être
observées ? Pourtant, je ne demandais rien, juste un sourire,
un signe de salut. Je t’avais déjà dit que je me sentais seule
quand tu omettais de m’adresser un regard, un petit geste, je
craignais que tout ne fût terminé, que tu ne te fusses lassée
de moi. Je te l’avais dit, et tu avais éclaté de rire, comme à
une plaisanterie.
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Que veut dire cette chanson ? Je la traduis
littéralement. Mars pleut parfois, parfois pas. Il
repleut, il pleut à verse, le soleil rit avec l’eau.
Tantôt un ciel bleu, tantôt un air sombre et noir.
Tantôt l’hiver des tempêtes, tantôt un air de
printemps. Un oiseau frileux attend que le soleil
brille... Dans la terre mouillée soupirent les
violettes... Mars, tu le sais, c’est toi... et cet oiseau,
c’est moi...
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Oui, je t’enverrais encore une chanson.
C’était le jeu auquel je jouais avec toi, le seul dont je
disposais pour te montrer combien tu me manquais.
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Je vous la traduis. Il s’agit d’un appel chagriné à
l’être aimé, tandis que perdure la beauté de la nuit
et que la lune projette sa lumière accueillante sur
les cœurs aimants. J’ai l’impression de rêver alors
que je suis réveillé, dit l’amoureux à sa bien-aimée.
L’air serein qui arrache au cœur des pensées
d’amour vous empêche de dormir. Claire est la lune,
suave le vent, calme la mer... Mais ma bien-aimée
est loin... dommage, suggère la chanson, car cette
nuit de sentiments n’est pas faite pour dormir. Loin,
loin, dans la mer turquoise, j’aimerais rêver, ou
peut-être plonger dans le sommeil, en te serrant sur
ma poitrine. Un sommeil de douceur, un sommeil
enchanté, l’une contre l’autre, mourir endormie...
Votre dévouée,
Alba Rosa
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"Qu’est-ce que cela signifie ? Je vous l’explique tout
de suite : un amoureux se souvient des yeux de sa
belle. Les amoureux, chère amie, se souviennent
beaucoup. Ici, il se souvient que les yeux de celle
qu’il aime sont beaux, plus brillants que les étoiles,
plus noirs que le noir, pareils à deux soupirs.
Oui, chère amie, pour l’amoureux qui les regarde,
les yeux de la bien-aimée sont parfois des soupirs.
Chaque soupir brûle, mais le feu qui le consume est
doux, il ne laisse aucun répit dès l’instant où il
pénètre la poitrine.
Et voici le refrain : Impossible de vous oublier, yeux
qui réfléchissez sans parler. Regardez-moi et restez
un moment comme je le dis, comme je le veux.
Le ton est un peu autoritaire, mais il ne s’agit pas
d’un ordre de la volonté, c’est un ordre du cœur. Du
cœur qui n’oublie pas."
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"Je n’ai rien oublié. Ici, le soleil est aveuglant. Le matin,
il vous ouvre tout grand les yeux, comme un
projecteur, mais il m’arrive parfois, ou plutôt
fréquemment, au réveil, de revenir à l’aube rose que
nous avons connue dans notre gentil petit hôpital."
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