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Citations de Elisabetta Rasy (143)


Je repensais à ma guerre, celle que j'avais menée pour surmonter mon dégoût face à la bouche qui vomit le cerveau, aux jambes et aux bras qui vous restent dans la main après les amputations, à l'horreur des plaies infectées et des os visibles sous les escarres, à la peau racornie par les brûlures, à l'odeur de cadavre se dégageant des corps en vie, à la puanteur d'égout imprégnant les draps, aux insupportables gargouillements dans la gorge des moribonds, aux gémissements sans fin.
Autrefois, j'aimais danser, je ne danserai plus, ai-je songé dans l'attente de tes nouvelles.
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Vincenzo et elle s'étaient aussitôt entendus sur ce point : il devait y avoir chez eux un endroit, un recoin éloigné de leur petit appartement, où conserver ce qu'on ne veut pas posséder mais qu'on ne veut pas non plus perdre. Un endroit heureux où le nec tecum sine te (ni avec toi ni sans toi) cessât de constituer une contradiction au moins dans le monde inanimé. Pas un lieu de vieux bibelots ou de cadeaux importuns ceux-ci étaient jetés avec une active régularité - , non, ce devait être la caverne des rencontres conclues ou manquées.
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Elle ne se rappelait ni la surprise, ni les sentiments de culpabilité, ni les bras musclés de Vincenzo, ni la souplesse imprévisible de ses grandes mains, ni sa langue péremptoire, ni l'autorité de son corps inlassable. Elle ne conservait que le souvenir d'une animation, d'une animation hors de l'ordinaire, comme si la vie avait soudain correspondu à l'idée de la vie, à ses attributs rhétoriques de vitalité, ardeur souffle constant et béatifiant.
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Dans cette maison, on ne parlait pas plus de la Rhodésie que de Naples. Fiammetta et moi étions encore trop jeunes pour les confidences familiales, le monde des adultes était pour nous imprononçable et surtout inexplicable. L'oubli forcé, les coupures et les silences remplaçaient, chez l'une comme chez l'autre, la mémoire quotidienne de la famille, la vie qui s'écoule sans interruption. C'était le silence, je le devinais déjà à cette époque, qui me liait à elle. Sa grand-mère n'était pas expansive, elle m'intimidait.
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Tu sais, elle était connue en France, c’était une
professionnelle admirée, et tout le monde la respectait
malgré son caractère un peu ombrageux. Mais personne ne
l’appelait Marie Rose, comme ses amies napolitaines. À Paris,
elle avait définitivement adopté son autre prénom, qu’elle
utilisait pour signer ses photos. Les Français, disait-elle,
croyaient qu’il s’agissait d’un prénom et d’un nom. Alba Rosa,
à jamais Alba Rosa. Tel était le legs d’Eugenia.
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Elle avait promis de m'écrire, mais elle n'en fit rien ; moi non plus, d'ailleurs, car j'ignorais son adresse d'été. Je demeurai en ville, avec pour toutes perspectives quelques promenades sur le plat littoral romain. De Naples, personne ne dit mot. Mon arrière-grand-mère était morte. Mon père s'était installé à Londres, d'où il m'envoyait cependant de longues, de merveilleuses lettres, qui ne mentionnaient ni le passé ni le futur, comme si ces deux termes ne nous concernaient pas. J'avais recommencé à jouer au ballon dans la rue avec les enfants du quartier. L'été, même dans notre terne banlieue, Rome était beaucoup plus belle que l'hiver, car terreuse, brûlée et privée de parfums ; et moi, j'étais de bonne humeur. Mais pas un jour ne s'écoula sans que mes pensées ne volent vers Fiammetta, dont j'attendais passionnément le retour. De la grâce perdue, il ne restait plus que le mystère de Fiammetta ; l'éloignement m'attacha plus étroitement à elle, comme à un éclat aveuglant dans la luminosité sans reflet de l'été romain.
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Thérèse se sentit d'un seul coup et définitivement libérée de la nécessité que sa vie ait une trame, une intrigue reconnaissable.
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Je surveillais la stérilisation
des instruments, des bandes, des pansements et des blouses,
je tenais également le registre des médicaments et de
l’alimentation. Ce travail me plaisait, ne serait-ce que par son
côté répétitif et le sentiment de stabilité qu’il insufflait à ma
vie, à ma vie avec toi.
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C’est alors que j’ai réclamé à Nicola son Kodak, je lui ai dit
que je voulais essayer, que je croyais avoir compris comment
on procédait : un œil regarde ce qu’il voit dehors, l’autre œil
ce qu’il voit dedans. Tu veux me tirer le portrait ? J’ai éclaté
de rire, et il m’a imitée. Dans ce cas, retournons auprès des
blessés, a-t-il proposé. Non, je ne veux pas photographier les
blessés. Les médecins ? Le capitaine sicilien qui est ton ami ?
Non, lui non plus. Je veux photographier une femme, une
femme en guerre. Comme il me dévisageait, incrédule, je lui
ai expliqué que j’entendais photographier ma camarade de
chambre, l’infirmière bénévole Eugenia Alferro. Il a dit :
Choisis qui tu veux, une fois rentré chez moi je développerai
la photo et je te l’enverrai. Puis il me tendit son Kodak.
Nous t’avons rejointe dans la cour, où tu faisais la lessive,
penchée sur un baquet. Tu ne voulais pas qu’on te prenne en
photo, tu as objecté que tu avais honte, que tu étais toute
débraillée... Mais ce n’était pas vrai, tu n’étais jamais
débraillée, pas même à ce moment-là, au-dessus du baquet
d’eau sale. Allons à l’ombre, as-tu dit. Non, il faut que tu sois
à la lumière, regarde vers la lumière, t’ai-je ordonné.
Tu l’as fait et tu as fermé les yeux.
Non, ne ferme pas les yeux.
Je ne peux pas faire face à la lumière, les yeux ouverts.
Pourquoi, tu es un hibou ?
Tu as éclaté de rire, puis tu as porté une main à ton front,
comme une visière.
Maintenant tu as l’air d’un soldat au garde-à-vous.
Tu as recommencé à protester, tu as prétendu que tu
n’étais pas assez belle pour une photo, qu’il y avait des
choses plus sérieuses à la guerre... Alors je t’ai fait taire,
Nicola m’a aidée à te convaincre, tu as ri une nouvelle fois
par timidité, tu as fléchi un peu le buste, comme si tu voulais
te retourner. Ne bouge pas, t’ai-je dit, et tu t’es immobilisée,
la bouche à moitié ouverte sur tes petites dents blanches,
pas vraiment en un sourire, plutôt en une question, mais, les
lèvres désunies, tu avais l’air de sourire. J’ai pris la photo et
j’ai eu l’impression de t’avoir capturée, à jamais avec moi.
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Nous n’avons plus abordé ce sujet, cette nuit-là nous
avons effectué des soins jusqu’à 3 heures, certains soldats
étaient si gravement blessés qu’on ne pouvait pas les
transporter à l’arrière, et il nous était impossible de les
abandonner ne serait-ce qu’une minute. Mais, désormais,
tout était décidé : après la guerre, nous vivrions toutes les
deux ensemble d’une manière ou d’une autre.
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Il prononça ces mots d’un ton signifiant qu’il m’appréciait
et me traitait d’égale à égal. Pauvre capitaine, je me
demande si ses cendres sont encore polies et jalouses, il ne
lui restait guère de temps pour exprimer sa drôle de
galanterie.
Merci, répondis-je. Je vous ferai part de ma décision.
Je n’avais aucune intention de m’y rendre. Je ne songeais
qu’à te revoir. J’ai rangé mes affaires et me suis mise au
travail.
Je suis allée dans la salle d’opération préparer les
compresses. Je me suis aperçue que je maniais instruments
et bandes avec une certaine habileté, mieux qu’avant en tout
cas. Mais je m’en fichais, je ne pensais qu’à toi.
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Quand nous sommes sorties, après un dernier signe de salut, nous
avons ri comme des folles, je ne sais pas pourquoi. Lorsque
nous étions ensemble loin de l’hôpital, tout nous semblait
très amusant. Dans la salle commune, non, c’était différent.
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Mais tu étais sale, aussi, avant de te glisser dans
ton lit, tu as voulu prendre un bain dans notre baquet et m’as
priée de me retourner. Au loin, le canon tonnait. Tu as
regardé vers la fenêtre et : Je me dépêche, as-tu dit, je ne
veux pas que la mort me trouve... voilà, me trouve dans une
tenue peu convenable. Tu as eu une hésitation avant de
terminer ta phrase, tu n’as pas réussi à dire nue. Tu avais
souvent des hésitations quand tu parlais de toi, alors que tu
étais rapide et sûre pour évoquer notre travail et nos devoirs.
Retourne-toi, m’as-tu demandé, et tu t’es déshabillée. Je me
suis exécutée, puis, pendant que tu entrais dans l’eau, je me
suis placée dans un coin de la pièce où tu ne pouvais me voir
et je t’ai regardée. Ton cou, tes bras, tes seins, d’une
blancheur immaculée, et, au-dessus, la masse sombre et
ondoyante de tes cheveux. Je te regardais. Toute cette
blancheur. Je ne pouvais pas cesser de te regarder.
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Jusqu’alors je n’avais jamais songé à la jalousie, mais, lorsque Gualtieri me tint ce discours, après le cognac, je commençai, sous l’effet de ses paroles
enflammées ou peut-être de l’alcool, à éprouver à mon tour
ce sentiment. Je commençai à l’éprouver à ton égard. Où
allais-tu lors de ces longues marches avec Alfredo ? Et que
faisais-tu ? Ne parliez-vous vraiment que des plaies multiples
et des plaies causées par une seule grenade ?
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Toi aussi tu avais cessé de rire, mais,
contrairement à moi, tu étais solide et tranquille. Tes
cheveux retombaient sur tes épaules, tu n’avais eu le temps
ni de les attacher ni de les couvrir, et ce petit rideau noir qui
ondoyait à chaque détonation te donnait un tout autre air, tu
étais si calme, si digne, différente des autres aussi. Un
instant, je t’ai scrutée avec tant de curiosité que j’en ai oublié
ma peur. Tu as senti mon regard, et peut-être as-tu pensé
que je te demandais de l’aide, tu as remué légèrement les
lèvres, peut-être pour murmurer quelques mots rassurants.
Étrangement, j’ai été rassurée. Pendant un moment du
moins, puis j’ai recommencé à trembler. Plus tard, alors que
nous regagnions notre chambre, tu m’as dit : L’important,
c’est de surmonter la peur à la première détonation. Comme
s’il n’y avait rien de plus facile au monde.
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Soudain la vie d’avant – avant l’hôpital, la chambre délabrée,
les hurlements, le sang et l’horreur des plaies – m’apparut
comme un rêve, une illusion de l’esprit destinée à s’évanouir
face à la véritable réalité, qui était celle-ci, la réalité de la
guerre, une réalité à présent normale à mes yeux, c’est-à-
dire éternelle, le seul présent possible, sans un avant ni un
après.
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Tu ne m’étais pas sympathique, mais il y avait une chose
que j’appréciais chez toi : contrairement aux autres filles, tu
ne parlais jamais d’héroïsme, de gloire, de patrie et
d’honneur. Je détestais ces mots qui tintaient comme des
pièces de monnaie en cuivre. En les entendant, je haussais
les épaules, le seul moyen que je connaissais pour manifester
mon désaccord. Cependant si la haine et le désir de fuir
m’avaient amenée là, je me demandais pourquoi tu y étais
aussi, toi qui ne parlais ni de gloire ni de patrie. Et,
silencieuse comme tu l’étais ces premiers jours, tu ne me
donnais pas de réponse.
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Pendant le trajet, j’avais vu les montagnes pour la
première fois. Je ne les imaginais pas comme ça. Il y a bien
un volcan à Naples, mais il évoque la demeure d’une vieille
divinité, non un lieu naturel. Et puis le Vésuve ne modifie pas
la couleur de la mer et du ciel ; mieux, la montagne et ce qui
l’entoure paraissent juste encadrer le golfe. Le bleu l’emporte
sur tout et, même lorsqu’il vire au violet et au gris, les jours
de tempête, on sait qu’il reviendra et on l’attend. Ce n’est
pas le cas des montagnes du Nord. La route que j’ai
empruntée avec le chauffeur de l’ambulance a grimpé dans
les bois, et une cime surgissait à chaque virage. C’était peut-
être toujours la même, mais je voyais chaque fois un sommet
différent. Le chauffeur riait de mon étonnement : étant du
coin, il s’en amusait. Je ne comprenais pas ce qu’il me disait,
car il parlait dans son dialecte. Je faisais semblant de saisir et
souriais, raison pour laquelle j’ignore à présent les noms de
ces montagnes. Elles étaient vertes, mais aussi rouges, roses,
brunes comme les pierres d’un collier, et, au lieu d’être
domptées par le bleu du ciel, elles ne cessaient d’en modifier
les nuances. Si le Vésuve est un triangle, celles-ci avaient
d’innombrables formes étranges, comme si le vent les
modelait chaque nuit. Les nuages les étêtaient ou les
couronnaient d’une manière toujours différente.
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Le printemps 1917 s’annonçait, beau et tempétueux
comme tous les printemps. L’Italie était en guerre contre les
empires centraux depuis deux ans3, et les filles – je le sais
maintenant – avaient raccourci leurs jupes ; nombre d’entre
elles avaient quitté leur domicile pour aller travailler. Oui,
pour la première fois, une multitude de femmes quittaient
leur domicile au même moment, dans de multiples villes,
pour aller travailler. Certaines exerçaient le métier d’ouvrière,
d’autres de balayeuse, d’autres encore conduisaient
carrément des tramways. Mais, chez moi, rien de tout cela ne
semblait exister. Je n’accordais moi-même aucune
importance au travail des femmes, je n’en savais rien. Je
voulais juste me libérer de ma mère, de ma sœur, de mes
prétendants assommants, d’un avenir obligatoirement
menaçant, que je jugeais insupportable.
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Puis d’autres amies et d’autres histoires prirent le dessus, et je conservai
au fond de mes yeux cette silhouette élancée, élégante et
sobre, qui tranchait sur les figures féminines auxquelles
j’étais habituée. Telle est la perception enfantine : on
remarque l’exception, non la règle. Mais, naturellement,
Marie Rose disparut bientôt de mes pensées.
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