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Citations de Emil Cioran (2669)


Dieu est une maladie du cœur. Notre besoin de trouver de l'aide a conçu ce soutien incertain qui conforte les êtres faibles et impuissants dans leur faiblesse. Les forts — ceux qui portent sur leur dos leurs incertitudes, ceux qui ont du courage dans leur absence de fondement — se trouvent toujours en dehors de Lui ; ils vivent sans la superstition d'aucune majuscule. […] La diversité des formules par lesquelles nous exprimons le bien suprême reflète sous sa véracité apparente un même élan, en profondeur. Dieu ou les dieux ; l'État ou la civilisation ; l'autorité ou le progrès ; une nation, une classe ou bien un individu ; l'immortalité ou le paradis terrestre — autant de visage de l'éternel Veau d'or. Le désir d'isoler un concept hors d'une suite abstraite, ou bien un objet hors du monde concret, et de le couronner d'une majuscule, est le fruit d'une soif profonde ; son résultat : l'Histoire. De la chaîne universelle des êtres et des choses, quelqu'un ou quelque chose doit s'extraire et s'élever à l'indépendance ; il faut qu'un chaînon ne soit plus attaché aux autres. Ainsi le cœur proteste-t-il contre le déterminisme. Il crée un symbole de liberté dont tout dépend. De la sorte, il assure son confort dans le cosmos et trompe sa faiblesse. […] En Dieu nous ne faisons que fuir la lumière incurable et stérile de ce monde, nous nous réfugions dans une obscurité chaude et germinative, productive à l'infini et inaccessible, nous nous défendons contre les tentations qui nous mangent et nous rongent, qui nous révéleraient une vérité irrespirable et un ciel sans consolation. La force nous manque pour endurer l'épreuve des visions lucides. La santé parfaite de la raison qui en toute chose contemple le rien, l'esprit qui fraternise avec le vide à l'entour — sont fatals à l'âme. Aussi enfante-t-elle Dieu et tous ses succédanés terrestres, pour garder son équilibre, lequel n'est, à la lumière de la raison, que déficience et construction démente.
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Sans application, sans sueur, sans l'insouciance d'un métier ni d'un « idéal », sur une terre devenue vide comme un éden sans extase, chaque instant prendrait les dimensions d'un interminable cauchemar. L'homme doit faire pour ne pas voir ; n'importe quoi est préférable au tout ; l'acte est le signe par lequel l'âme vainc et étouffe l'infini.
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Dans la misère, l'homme désire l'indispensable ; s'il a l'indispensable, il désire le nécessaire ; s'il a le nécessaire, il désire le superflu ; s'il a le superflu, il désire le vice — d'où il retombe dans la misère. Tel est le cycle de chaque individu isolé comme de l'humanité en général.
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Es-tu triste, la terre et le ciel sont tristes ; es-tu joyeux, toute la matière rit avec toi. L'âme généralise à une vitesse jamais atteinte par aucune déduction ; un frémissement amène des conclusions devant lesquelles un syllogisme recule. Ce qu'il y a de plus subjectif en nous devient comme par magie la loi et la matière du monde ; nos caprices colorent les choses plus vite et plus violemment que tout enseignement, si précis soit-il, à leur sujet, et dans l'effervescence d'une lubie l'univers s'allume et s'éteint avec une gratuité subite qui effraie même le complice d'un hasard diabolique. L'âme se choie elle-même dans sa propre substance, avec une indécence inspirée ; du point de vue de l'ordre rationnel, c'est une catin sublime, qui enfreint par ses excès les mœurs de l'esprit et qui souille la bienséance de la clarté.
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Quand, dans ta marche parmi les humains, tu en viens, d'injustice en injustice, à comprendre l'Injustice même, son accablante immensité te rend trop anarchiste pour croire encore à l'anarchie. Tu rêves alors d'un Diable technicien sans limite, qui glisserait un explosif dans la matière et d'une allumette salutaire la renverrait au néant hors duquel elle a pris corps. Du principe du Bien nous n'avons plus rien à espérer. Car ce Dieu ressemble à une taupe qui s'est soustraite à la lumière qu'Elle a créée, et qui l'a confié au Malin, lequel s'en est lassé.
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L'histoire de la matière était anonyme et dépourvue de date jusqu'à l'apparition de la douleur. Celle-ci est le seul événement qui nous permette de distinguer les moments du temps ; sans cela, ils demeurent indistincts, vides et insipides. Privé de chronologie, l'éden se transforme en un symbole vide, car nous n'avons pas la faculté de nous représenter comme réelle l'absence de toute souffrance. Comment forgerions-nous l'image d'une vie qui ne se contredirait pas elle-même, ou l'extase intemporelle d'une existence qui serait en paix avec sa propre identité ? La douleur est le souffle génial de la matière, la tentation luciférienne dans la banalité de l'éternité, le temps qui naît du spasme de ses instants et qui s'en isole et les dépasse, une différence de niveau au sein de la tentation de la continuité propre à la médiocrité cosmique ; la douleur est l'angoisse qu'inspire le monde homogène des anges, l'angoisse née de leur fidélité, qui ne connaît ni lassitude ni sarcasme ; la douleur est enfin la forme suprême de l'imagination de la matière, laquelle fait du tourment une aspiration pour ne pas s'annuler dans le Paradis triste et monotone de la supériorité sur le péché.
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Accepter le monde par crainte du ridicule signifie élever la bienséance au niveau d'une dignité métaphysique.
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Lorsque je pense à toutes les révoltes que j'ai jamais endurées, quand je constate qu'il n'est rien dans le domaine de l'être ou de l'imagination qui n'ait pas révolté ma pensée ou mes sens, que toute la gamme d'événements allant du banal à l'horreur a été source de protestation et de revigoration, qu'il n'est aucun être humain qui ne m'ait confirmé dans mon dégoût envers l'homme et que même les anges ont fait saigner ma pensée, après quoi toutes ces révoltes ont dût s'effondrer, cachées sous le masque de la philosophie, atténuées par des doutes et par un souci de distinction ou de dignité, adoucies par la crainte du pathétique ou du ridicule, quand je pense que je porte en moi tant de haine jamais réalisée, tant de vengeances inabouties, tant de chaos raté et d'anarchie maîtrisée, quand je songe à toutes ces révoltes, je comprends quel désastre supposent la résignation, le scepticisme et le détachement envers les humains. Aucune rébellion intérieure ne meurt, mais elles doivent toutes être vaincues, parce qu'il n'en est pas une seule qui soit possible : il faudrait tout rectifier, et aucune ne saurait rectifier quoi que ce soit. Ainsi, incapable de changer d'aucune manière la manière d'être du monde, j'ai dû l'accepter dans sa totalité, pour ne pas succomber à mon amertume ni me rendre ridicule.
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[L'amour est] un moyen unique de respirer dans un monde où l'air fait défaut, un souffle unique dans ce désert de stupéfaction, une protestation démente de notre plénitude à l'encontre du vide extérieur et de l'imminence du vide intérieur ; et l'unique illusion par laquelle nous infirmions la vacuité tout en sachant qu'en fin de compte, cette dernière l'emportera. Car l'amour est notre suprême effort pour ne pas franchir le seuil de l'inanité, pour en refuser l'écrasante assurance, c'est une illusion effective dans le temps, qui repousse notre chute dans l'absence finale à laquelle nous sommes voués. Si la femme apparaît sur le chemin de notre propre destruction, c'est pour arrêter notre pas rapide, pour nous freiner dans notre course cruelle et prédestinée. Sans son charme, nous glisserions en ligne droite vers notre horizon fatal ; en nous offrant à l'amour, nous sombrons vers l'abîme par un détour. Pour Adam comme pour nous tous, Ève est le chemin le plus long vers la mort.
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Quand nous accordons aux choses leur valeur « juste », dans leurs proportions, même la foudre s'avère médiocre. L'exagération est le signe de notre présence au monde. Une âme à sa place est une âme qui n'a pas de place dans l'espace ; une âme est folle ou n'est pas. […] Nous ne participons à la vie que par l'exercice, hélas jamais pleinement réalisé, du suicide de la raison.
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De toutes les croyances que j'ai jamais éprouvées ou prêchées, ne m'est resté que le poison, qui emplit mon âme d'un suc de suicide. De chaque foi je n'ai goûté que la ruine, et la honte d'avoir partagé l'infantilisme d'un « idéal » m'a conduit à la volupté de le décomposer — sa seule issue sérieuse. Devant certains yeux ne brille que ce qui meurt, la nature de tout charme se définissant à l'aune de son agonie.
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Une pensée meurt lorsque l'on cesse de la penser. Mais elle meurt aussi lorsqu'elle a été pensée par-delà les limites de la faculté de penser. La philosophie ne peut faire abstraction de sa médiocrité sans s'annuler. Le penser, porté à l'extrême de ses possibles, se nie lui-même, il détruit ses forces au contact des mondes réservés à la poésie, à la musique, au silence, à la résignation, à l'extase ou à la folie. L'esprit est un refuge ; la pensée qui le fuit se retrouve à découvert, perdue dans l'espace et plus décontenancée que l'absurdité de la sensibilité. La désertion de la raison hors de sa cour représente son entreprise la plus féconde et la plus fatale. La tentation qu'elle se propose à elle-même atteint la profondeur d'un péché de curiosité.
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La frivolité et le renoncement sont les seuls attitudes que puisse adopter un esprit affranchi des illusions. Il n'est pas de « réalité », seulement une apparence ou le néant. On peut se consacrer aux deux ; inutile d'être sérieux, puisque l'on n'opère pas alors dans le présent de l'être. Être est un verbe qui se conjugue dans l'irréel et qui ne saurait assumer la dignité d'un substantif sans l'aveuglement de notre désir.
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Que signifie être sceptique ? Ne pas se croire le centre du monde. Mais il suffit d'un moment d'inattention, d'un instant de fragilité de la conscience, pour nous réinstaller aussitôt dans la plus vieille et dans la plus vitale des erreurs. […]
L'attention portée à nos limites est on ne peut plus contre nature ; elle entre en contradiction avec nos réflexes comme avec nos actes. […] Tout acte est un sabotage de la Divinité, car n'importe quel acte — à partir du moment où nous le réalisons — nous paraît de la plus haute importance possible sous le soleil et au-delà. Sans cette illusion, nous ne pourrions pas le réaliser.
Entre le doute et un geste, de quelque nature qu'il soit, l'opposition est plus grande qu'entre le suicide et le mariage. Faire quelque chose signifie isoler une possibilité et l'investir de titres spéciaux, la promulguer dans l'inconditionné, tandis que dans le doute nous nivelons les différences de relief que notre esprit perçoit. Dès que nous préférons quelque chose, nous nous préférons — sans la réserve d'un point de repère extérieur susceptible d'humilier notre condition. […] Si nous parvenons parfois à nous voir tels que nous sommes, par une courte halte dans la vanité, cette révélation éphémère est le fruit d'une crise dans notre existence et non d'une situation normale.
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Le héros est un lâche qui sous l'influence de la peur court au danger.
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De ceux qui ne diffusent pas autour d'eux un relent d'échec, on peut difficilement dire qu'ils ont vécu. La décomposition est la seule trace que laisse la marche de la vie, cet étrange pourrissement de la matière. Création et destruction sont les différentes directions d'une même substance qui s'affirme en s'effilochant.
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Emil Cioran
Cioran. "Le livre des leurres". Citations.


"On ne peut pas ni atténuer, ni vaincre la souffrance par la pensée."

"La musique, est-elle de la famille de la pensée ?"

Et encore :

"Il existe en nous un fond de tristesse indépendamment des causes externes, la tristesse métaphysique , la tristesse d'être."

(Kundera parle de la peur d'exister généralisée, la peur d'exister sous la forme d'un corps vivant. )
Nous désirons l'amour car nous existons seulement à travers nos illusions, nos déceptions et nos fautes. Eux seules expriment l'individualité, et pas la connaissance ou la vérité (ou impulsion vers la vérité qui n'existe pas, en fait) qui sont impersonnelles.

Et puis :

" L'orgueil de l'animal rationnel refuse d'admettre le rôle du destin intérieur de notre existence....."



Je comprends « le destin intérieur » comme le psychique de chacun.

L.
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Pour arriver à l'obsession du suicide, il faut tant de tourment, tant de supplice, un effondrement des barrières intérieures si violent que la vie n'est plus qu'une sinistre agitation, un vertige, un tourbillon tragique. Comment le suicide pourrait-il être une affirmation de la vie ? On le dit provoqué par des déceptions : cela revient à dire qu'on désire la vie et qu'on en espère plus qu'elle ne peut donner. Quelle fausse dialectique – comme si le suicidé n'avait pas vécu avant de mourir, comme s'il n'avait pas eu d'ambition, d'espérance, de douleur ou de désespoir ! Importe dans le suicide le fait de ne plus pouvoir vivre, qui dérive non d'un caprice mais de la tragédie intérieure la plus effroyable. Et l'on prétend que ne plus pouvoir vivre, c'est affirmer sa vie ? Je suis étonné qu'on cherche encore une hiérarchie des suicides : rien de plus imbécile que de vouloir les classer suivant la noblesse ou la vulgarité des raisons. N'est-il pas suffisamment impressionnant en soi de s'ôter la vie, sans qu'on ait à chercher des raisons ?
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Un ouvrage est fini quand on ne peut plus l'améliorer, bien qu'on le sache insuffisant et incomplet. On en est tellement excédé, qu'on à plus le courage d'y ajouter une seule virgule, fût-elle indispensable. Ce qui décide du degré d'achèvement d'une œuvre, ce n'est nullement une exigence d'art ou de vérité, c'est la fatigue et, plus encore, le dégoût.
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Ce que les autres font, nous avons toujours l'impression que nous pourrions le faire mieux. Nous n'avons malheureusement pas le même genre de sentiment à l'égard de ce que nous faisons nous-même.
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