"J'entre ici en perdante.
Je sais que les mots ne pourront rien. Je sais qu'ils n'auront aucune action sur mon chagrin, comme le reste de la littérature. Je ne dis pas qu'elle est inutile, je dis qu'elle ne console pas."
C'est ainsi que débute Inconsolable, le livre que nous explorons au cours de cet épisode.
À travers un récit porté par une narratrice confrontée à la mort de son père et qui scrute, au quotidien, la douleur, la tristesse, le monde qui n'est plus le même et la vie qui revient malgré tout, son autrice, la philosophe Adèle van Reeth, tente de regarder la mort en face et de mettre des mots sur cette réalité de notre condition d'êtres mortels. C'est un livre qui parle de la perte des êtres chers et qui est en même temps rempli de vie.
Adèle van Reeth nous en parle au fil d'un dialogue, où il est question, entre autres, de la difficulté et de la nécessité d'écrire, de la vie avec la tristesse et d'un chat opiniâtre.
Et à l'issue de cette conversation, nos libraires Julien et Marion vous proposent de découvrir quelques livres qui explorent la question du deuil.
Bibliographie :
- Inconsolable, d'Adèle van Reeth (éd. Gallimard)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/21563300-inconsolable-adele-van-reeth-gallimard
- La Vie ordinaire, d'Adèle van Reeth (éd. Folio)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/20047829-la-vie-ordinaire-adele-van-reeth-folio
- le Réel et son double, de Clément Rosset (éd. Folio)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/501864-le-reel-et-son-double-essai-sur-l-illusion-e--clement-rosset-folio
- L'Année de la pensée magique, de Joan Didion (éd. le Livre de poche)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/1177569-l-annee-de-la-pensee-magique-joan-didion-le-livre-de-poche
- Comment j'ai vidé la maison de mes parents, de Lydia Flem (éd. Points)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/16192372-comment-j-ai-vide-la-maison-de-mes-parents-une--lydia-flem-points
- Rien n'est su, de Sabine Garrigues (éd. le Tripode)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/22539851-rien-n-est-su-sabine-garrigues-le-tripode
- Vivre avec nos morts, de Delphine Horvilleur (éd. le Livre de poche)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/21199965-vivre-avec-nos-morts-petit-traite-de-consolati--delphine-horvilleur-le-livre-de-poche
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Autant être heureux et ne pas se tourmenter, puisque le pire est certain.
Il existe ainsi une espèce de nombreux faux sages qui n'accèdent à la paix de l'âme que par le fait d'une sorte d'anesthésie générale à l'égard de la réalité, d'une insensibilité au réel qui les rend incapables de craindre comme de désirer ; tel par exemple Paul Valéry, qui en convient lui-même : "Je confesse que j'ai fait une idole de mon esprit, mais je n'en ai point trouvé d'autre." On ne saurait mieux dire que l'intérêt porté à la seule intelligence est la traduction d'une incapacité à s'intéresser à quoi que ce soit, - incapacité dont Bouvard et Pécuchet font, avant Valéry, la dure expérience, propre à rappeler, encore une fois, le lien subtil mais tenace, qui rapproche, bon gré mal gré, l'intelligence pure de la bêtise absolue.
Il n’est pas de signe plus sûr de la joie que de ne faire qu’un avec la joie de vivre.
La Force majeure
Pourquoi ce besoin angoissé de cause ? On se trouve ainsi ramené aux sources de l’étonnement schopenhauérien, mais les termes de la question se sont inversés : on ne se demande plus pourquoi il y a un monde, mais d’où provient le besoin de lui attribuer une cause.
L'ivrognerie peut être invoquée comme une des voies d'accès possible de l'expérience ontologique, au sentiment de l'être ; car l'ivrogne voit qu'il y a la rose, et qu'elle est sans pourquoi.
La joie réelle n'est autre, en effet, qu'une vision lucide, mais assumée, de la condition humaine ; la tristesse en est la même vision mais consternée. La joie est ainsi ce que Spinoza pourrait appeler un "mode actif" de la tristesse, et réciproquement la tristesse peut être décrite comme "mode passif" de la joie.
Il est donc vrai que le héros balzacien est généralement la proie d'une monomanie, c'est-à-dire d'un désir privé de tout complément qui s'ajouterait à ce désir. Mais il est vrai aussi que ce trait distinctif ne fait nullement de lui un mélancolique ou un dépressif. Bien au contraire c'est un enthousiaste, un entreprenant, un hyper-actif auquel le moindre temps manquerait s'il fallait consacrer une seconde au doute et à la mélancolie. Effectivement, tout le contraire d'un déprimé. Je dirais même que l'homme engagé dans l'entretien permanent d'une idée fixe, quel que puisse être par ailleurs le caractère aberrant de celle-ci, est probablement l'un des mieux protégés qui soit contre les pouvoirs dévastateurs de la dépression.
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L’appoint de la joie est nécessaire à l’exercice de la vie comme à la connaissance de la réalité.
S'il est vrai que l'événement a surpris l'attente alors même qu'il la comblait, c'est que l'attente est coupable, et l'événement innocent. La duperie n'est donc pas du côté de l'événement, mais du coté de l'attente. L'analyse de l'attente déçue révèle qu'il se crée en effet, parallèlement à la perception du fait, une idée spontanée selon laquelle l'événement, en se réalisant, a éliminé une autre version de l'événement, celle-là même à laquelle précisement on s'attendait.

Affirmer le caractère névrotique de l'espérance peut certes sembler paradoxal : puisqu'on tient généralement celle-ci pour une vertu, c'est à dire une force. Pourtant il n'est pas de force plus douteuse que l'espérance. Ce n'est sans doute pas par hasard, ni par l'effet d'une erreur de copiste, que Hésiode assimile, toujours dans Les travaux et les jours, l'espoir au pire des maux, au fléau qui est resté dans la boîte de Pandore, à la libre disposition des hommes qui s'y précipitent dans la pensée qu'ils y trouveront le salut et le contre-poison à tous les autres maux, alors qu'il s'agit d'un poison parmi les autres, sinon du poison par excellence. Tout ce qui ressemble à de l'espoir, à de l'attente, constitue en effet un vice, soit un défaut de force une défaillance, une faiblesse, - un signe que l'exercice de la vie ne va plus de soi, se trouve en position attaquée et compromise. Un signe que le goût de vivre fait défaut et que la poursuite de la vie doit dorénavant s'appuyer sur une force substitutive : non plus sur le goût de vivre la vie que l'on vit, mais sur l'attrait d'une vie autre et améliorée que nul ne vivra jamais. L'homme de l'espoir est un homme à bout de ressources et d'arguments, un homme vidé, littéralement "épuisé" ; tel cet homme dont parle Schopenhauer, qui "espère trouver dans des consommés et dans des drogues de pharmacie la santé et la vigueur dont la vraie source est la force vitale propre".