Citations de Emily Ruskovich (86)
Le son d'un piano ne change pas, peu importe où on le joue, dans un salon ou une prison, tout comme une rivière est la même bien qu'un jour vous l'ayez longée en compagnie de votre sœur et qu'aujourd'hui vous la longiez tout seul.
Petite, elle se faisait une idée précise de ce que signifiait être adulte : être adulte voulait dire posséder une maison que l'on remplissait d'objets comme celui-ci. Des objets auxquels vous ne teniez pas individuellement, que vous n'aviez pas le souvenir d'avoir choisis ni même achetés, mais qu'au fil des ans la vie s'était chargée de collectionner pour vous et qui, par conséquent, parlaient pour vous. Dans l'esprit enfantin d'Ann, de tels objets étaient nécessaires, ennuyeux, beaux, et surtout assortis. Tout ce qui pouvait vous arriver d'horrible quand vous grandissiez pouvait être atténué par l'assurance que ces objets procuraient. Ils étaient une protection, comme si collectivement ils détenaient un pouvoir magique, formant une sorte de bouclier épars.
La maladie peut prendre une chose triviale et la retourner dans tous les sens jusqu'à ce qu'elle vous donne la nausée ; quand on ne va pas bien, les choses les plus ennuyeuses se retrouvent infectées par une importance qu'elles n'ont pas.
Quelle est la seule force, à l'exception de la mort, suffisamment puissante pour vous déposséder de votre propre corps ? L'amour, l'amour.
Quand on aime quelqu'un qui est mort, et que sa mort disparaît parce qu'on ne peut plus s'en souvenir, il ne vous reste que la douleur d'un amour non partagé.
Je déteste quand l'été touche à sa fin. À croire qu'il n'a jamais été là.
Wade et Jenny sont des gens des plaines. Des gens des plaines vivant sur une montagne dont ils n'avaient pas remarqué qu'elle était beaucoup plus grande qu'eux. Un terrain acheté sans trop réfléchir parce qu'il n'était pas cher, parce qu'il n'avait rien à voir avec la plaine. Que d'arrogance et de puérilité ! Un rêve qui les avait emportés comme une avalanche. Mais quel genre de bonhomme leur ferait croire qu'ils ne risquaient pas de se retrouver coincés sur une montagne enneigée, alors que sans tracteur ou déneigeuse, il ne pouvait pas en être autrement ? N'empêche, ils auraient dû s'interroger. Ils auraient dû s'en assurer. Et, maintenant, la seule autre personne au monde à connaître la vérité sur leur désespoir est quelqu'un qui a tatoué sa haine sur sa main.
L'absence de Jenny semble mieux la décrire que sa présence ; elle est un navire sur le point d'accoster mais qui diffère lui-même son arrivée.
La musique ne semblait pas lui apporter beaucoup de plaisir. Quand il jouait, il arborait l'expression d'un homme concentré sur son travail, comme s'il chargeait les notes dans sa tête de la même façon qu'il chargeait du bois dans un bûcher. Il s'agissait de faire des réserves pour l'hiver.
Mais la réponse n'a pas d'importance, qu'il lui ait posé la question suffit.(p171)
Le sens, c'est comme la musique : ça accroche , ça dérive. Ça part, ça revient. Les refrains, les phrases, les noms de bateaux qui passent. Ça me trotte dans la tête, ça me trotte dans la tête. La façon dont les histoires s'attachent à des mots, dont les mots s'attachent à des rythmes vulnérables, à des mélodies impressionnables. Ann s'y connaît en archéologie colportée. La musique s'accroche comme la peur, comme l'amour.
Cette année de poésie vient seulement de se réveiller en elle, et elle découvre qu'un nouveau langage est à sa disposition : le langage entre les mots.
Le sens, c’est comme la musique : ça accroche, ça dérive. Ça part, ça revient. Les refrains, les phrases, les noms de bateaux qui passent. Ça me trotte dans la tête, ça me trotte dans la tête. La façon dont les histoires s’attachent à des mots, dont les mots s’attachent à des rythmes vulnérables, à des mélodies impressionnables.
Elle ne trouvait du réconfort que dans la quête d'une trace de cet autre passé qui l'absoudrait - tout du moins l'imaginait-elle - en lui offrant une preuve de son insignifiance.
Ses yeux expriment rarement la même sincérité qu'autrefois. La plupart du temps, ils sont emplis d'une peur aqueuse, ou d'un vide vaguement rêveur. [...] Dorénavant, quand il marche, il traîne les pieds. Elle le corrige parce qu'elle craint que, précisément, ce soient les petites choses qui finissent par l'emporter. On l'a prévenue de ce qui risquait de se produire.
Elizabeth avait entendu parler du long et douloureux silence de Jenny, et plusieurs fois elle avait vu Jenny récurer les couloirs, exhibant sa soumission au malheur. [...] L'absence de Jenny semble mieux la décrire que sa présence ; elle est un navire sur le point d'accoster mais qui diffère lui-même son arrivée.
Parfois, elle se réveillait tôt le matin et entendait l'eau que Wade avait mise à bouillir sur le feu de camp, les aiguilles de pin qui crépitaient dans le feu, presque un son aqueux lui aussi. Elle ne s'autorise pas à entendre la voix de Wade dans ces souvenirs-là, ni même à voir sa silhouette. Au lieu de ça, elle le perçoit comme étant cette poussière, ces chardons, ces pierres et ce feu de camp, une force qui la soutient.
Elle a pris le passé de Wade et l'a étalé devant elle, faisant de son propre avenir un retour en arrière, alors même que ce passé disparaît. Ce lent effacement, cette ligne blanche traversant l'obscurité de la mémoire de Wade, voilà ce qu'Anne suivra toute sa vie durant. Et, à n'en pas douter, cela la mènera jusqu'aux portes de sa propre prison secrète.
- Tu es allée quelque part, Ann ?
- Non, je suis là, dit-elle avant de l'embrasser brutalement sur la bouche, faisant de son mieux pour retenir ses larmes.
- Non, tes cheveux sentent le gaz d'échappement, dit-il en riant un peu.
- Il enfouit de nouveau son visage dans les cheveux d'Ann. Puis il l'observe, attentivement cette fois-ci.
- Ça sent très fort. Tu ne t'en rends pas compte ?
- Non, je ne sens rien, dit-elle prudemment.
- Cette odeur n'y était pas il y a encore quelques heures.
- Ah bon ?
- Sérieusement, tu es allée quelques part ? demande-t-il en la regardant désormais dans les yeux.
Derrière le ton léger, il y a de le tension dans la voix de Wade. Et il y en a aussi dans le silence d'Ann.
- Pourquoi as-tu fait tourner le moteur du pick-up ? demande-t-il sans hausser le ton.
Maintenant elle pourrait le lui dire. Elle pourrait.
Elle lève les yeux vers lui et franchit une ligne qu'elle n'a jamais osé franchir.
- Parfois, je vais m’asseoir là-haut.
- Pourquoi fais-tu ça ?
- Pourquoi tu crois que je fais ça ?
Aucune trace de colère sur le visage de Wade, mais il ne sait pas où poser son regard. Sur elle, c’est impossible.
- Wade. Pourquoi crois-tu que je vais là-haut ?
Quand on aime quelqu'un qui est mort, et que sa mort disparaît parce qu'on ne peut plus s'en souvenir, il ne vous reste que la douleur d'un amour non partagé.