Citations de Emma Becker (222)
Certains soirs me manque mon âme telle qu'elle est vraiment, grivoise, malsaine et pourtant régie par sa morale à elle, préoccupée, en veille comme au repos, par cette science de la jouissance et les façons d'apporter ma pierre à ce bel édifice turgescent - le monstre que je suis certains soirs me manque.
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"On fait moins d'efforts devant les gens qui comprennent."
Une femme ou une pute, pour un homme qui se retrouve seul face à elles, ce sont les mêmes créatures mystérieuses au visage desquelles on voudrait bien accrocher un sourire.
Elle a oublié qu'en chaque client sommeille un homme aspirant à devenir plus qu'un monsieur qui a payé.
"Mais... c'est légal, ici ?
- Tout est légal. La prostitution, les bordels, les escort-girls...
- Mais, dis-moi, c'est le paradis !"
Près de deux ans dans un bordel n'auront rien fait pour m'insuffler cette audace que je leur envie. Deux ans immergée dans un monde où elles se reniflent sous toutes les coutures, et je rougis encore lorsqu'une fille m'embrasse sur la joue.
"Et oui, définitivement, l'amour peut blesser autant que la haine, que l'indifférence [...]."
Je pense chaque fois, voilà des femmes qui sont vraiment des femmes, qui ne sont vraiment que ça. Voilà des êtres éminemment sexués qu'on peut définir sans aucun mal.
Peut-être que je suis trop vivante pour cet endroit. Peut-être que ne vois pas comment le sexe, qui est la grande joie sombre et claire de la vie humaine, devrait être glauque sitôt qu'il est tarifé.
La vie d'une pute au quotidien ne se trouve pas améliorée, ni même adoucie par un joli papier peint ou un point de lumière judicieusement placé ; mais parfois la cage est si coquette qu'on en viendrait presque à oublier le reste. On s'endort comme de vieille chattes, fuyant paresseusement dans les coins sombres lorsque le maître est d'humeur douteuse.
Mais lorsque je vois ce que cette même société juge acceptable, j'aime encore mieux recommander une bière bien fraîche à la santé de toutes les putains du monde.
"Tu sais, le pire, quand on a une femme, des enfants et une maîtresse, ce n'est pas d'être amoureux de quelqu'un avec qui on ne pourra jamais passer plus de deux heures d'affilée. Ce n'est pas que cet amour soit unilatéral ou condamné d'avance. Le pire, c'est de devoir rentrer chez soi en portant sur ses épaules un monde écroulé et de faire en sorte que ça ne se voie pas. Trouver la force, Dieu sait où, de sourire et d'être normal, alors qu'à chaque seconde de cette comédie, ce monde écroulé s'émiette encore, inlassablement. Le pire, c'est que ce soit possible. Et faisable. Et qu'on le fasse. Des jours, des semaines, des mois entiers, avec ce trou béant dans le coeur."
Le problème dans ce boulot n'est pas ce que les autres en pensent, c'est ce qui se passe en nous. Il n'est pas impossible du reste que l'un soit conditionné par l'autre. Qu'on soit convaincues de faire le bien ne rend pas plus doux le mot de pute, ni celui de prostituée qui implique une totale passivité dans un métier où pourtant on ne cesse de remuer.
Il y aura toujours des gens, hommes ou femmes, pour vous soutenir mordicus le contraire - que la coke fait bander ou qu'elle augmente la libido. La vérité, c'est que s'il est possible d'obtenir une érection viable et une propension gênante aux confidences - entre autres sexuelles -, passé le premier rail, il est quasi impossible de jouir, et la soif de mondanités s'étiole dès qu'il s'agit de passer à l'acte et de lâcher prise. Faire l'amour, ou ressentir du plaisir, ne suscite plus qu'une indifférence crasse.
La vérité nue est superbe : elle a joui parce qu'il lui plaisait, parce qu'elle l'a choisi, parce qu'une partie de sa vie vient de s'envoler, et qu'elle n'avait pas baisé depuis mille ans.
La législation qui est du côté des putes, peut adoucir les conditions de vie, mais ce sont des efforts douloureux produits par la société pour tenter d'édulcorer le postulat de départ : la pute est un objet sexuel. La possibilité pour une pute de dire non est assez restreinte.
Peut-être que le jour où on offrira aux femmes des boulots convenablement payés, elles n'auront plus l'idée de baisser leur culotte pour compléter leurs fins de mois - et le monde ira mieux alors, non ? Ou la morale ?
"Je suis heureuse, bon Dieu. C'est ça, ma fin ?
_Ça ne sonne pas comme une fin. Ça sonne comme un début.
_Je suis heureuse."
Oui.
J’aurais pu ne parler que de ce qui me faisait effectivement jouir. Mais je crois que j’ai toujours préféré bander. Ça dure plus longtemps. Les faits le prouvaient, le sexe c’était souvent décevant ; mais le désir, la montée sans fin des escaliers, on n’avait encore pas inventé de meilleure raison de se lever le matin.
(Revue Aventures N°1)
Raymond Radiguet a écrit que quand on dit je t'aime à une femme, on peut penser l'avoir fait pour un tas de raisons extérieures à l'amour, on peut penser mentir : pourtant quelque chose, à cet instant, nous a poussés à dire je t'aime, et par conséquent c'est vrai.