Citations de Emmanuel Chaussade (61)
A part une bouchée de terre, que peut-elle bien avaler maintenant. Il n'y a pas de pissenlits autour de sa tombe. Les couleuvres, elle les a avalées de son vivant.
La beauté de la jeunesse se fane très vite
quand elle n'est pas intérieure
Les secrets de famille les mieux gardés sont ceux qui n’ont jamais été interrogés.
Il ne veut pas avoir le cancer du moi.
Il désire garder son je secret.
Impossible de résister aux corps-accords.
Y a deux mecs qui ont dit des trucs, Freud et Lacan.
Les autres ont répété .
On est toujours novice pour mourir.
Elle est seule dans la mort. Elle est seule dans la solitude de la terre. Le fils est seul dans son chagrin. Solitude commune, partagée. Le fils quitte la mère pour la dernière fois. Sans se retourner. Sans pleurer. Ses larmes, il les a versées il y a bien longtemps. Ses larmes ont disparu avec son enfance. Avec sa mort, il est passé de l’enfance à la vieillesse en quelques pelletées. Il sait qu’il restera toute la vie un enfant aux yeux de la mère.
Patrick n'a qu'un amour.
Unique et exclusif.
Lui pour lui.
Lui et lui, lui avec lui.
Lui, un tout petit mot renfermant un si grand égoïsme.
Elle ne pleurait pas pour rien, elle riait de tout. Ils vont lui manquer ses rires francs, ses rires exubérants, ses rires parfois gênants. Peut-être étaient-ils forcés pour conjurer le mauvais sort. Ses rires et surtout ses sourires portés en bouclier pour repousser les agressions de la vie. Ces sourires qu'elle lui a transmis. Tous ces sourires éteints que portent les gens tristes.
Elle n’en a jamais voulu à cet homme pervers et alcoolique. Souvenirs pleins de tendresse. Elle en parle avec ce sourire de l’innocence des enfants qui désespèrent d’être aimés. Il lui portait l’attention qui lui manquait tant. Elle s’est trompée, en prenant son intérêt pour de l’amour. Ces abus dont elle a été victime l’ont empêchée d’aimer et de s’aimer. C’est une des choses qu’elle a en commun avec son mari. Lui aussi est incapable d’aimer et de s’aimer.
Les gens manquent de tout. Comme ils n’ont rien, ils se satisfont de peu. « Les bonnes sœurs n’ont jamais été méchantes avec moi. Elles n’étaient pas tendres mais justes. » Elle est si jeune, à peine deux ans. Elles ont de la pitié sans lui donner d’amour. Son père ne vient jamais la voir. Pas de nouvelles non plus des autres frères et sœurs. C’est la guerre. Le temps des privations. Privée de tout, privée d’amour.
Depuis longtemps, le fils a cherché à percer le secret de ses origines. Il voulait savoir qui était vraiment la mère. Son intuition l’a incité à découvrir les causes de son mal-être. Aller au plus profond du mal pour le combattre. Enquêter pour connaître la vérité. Interroger par pur égoïsme. Comprendre pour ne pas souffrir comme elle. Savoir pour conquérir sa propre liberté.
Le corps ferme et tonique de la mère quand elle avait trente ans. Sa peau est si fine, si fripée, si flasque, maintenant. La peau de la mère est si douce que son contact sous la main en est presque repoussant. Ses muscles ont fondu. Sa bouche s’est enfoncée en une fente goyesque et son menton a décidé de se projeter en avant pour faire contrepoids aux dents disparues.
Elle ne pleurait pas pour rien, elle riait de tout. Ils vont lui manquer ses rires francs, ses rires exubérants, ses rires parfois gênants. Peut-être étaient-ils forcés pour conjurer le mauvais sort. Ses rires et surtout ses sourires portés en bouclier pour repousser les agressions de la vie. Ces sourires qu’elle lui a transmis.
Muette dans sa nouvelle prison. Enfermée dans une fosse sans lumière. Ancienne vivante, nouvelle morte. Seule dans le noir et le froid. Sous terre, elle aura enfin la paix. Il l'espère. Il est seul, tout seul à l'enterrement de la mère. Seul face à la mère. Il lève la tête. Les oiseaux chantent joyeusement dans le ciel pour saluer la mort qui vient de se coucher.
À quoi ça sert la guerre ? À rien. Quitte ou double. Il dit la vérité au médecin pendant les trois jours d’incorporation. Coup de poker. Réformé. P4. Débile léger. Réformé par le même médecin qui a exempté Yves Saint Laurent quelques années plus tôt. Avant de tamponner le document qui le libérera de ses obligations, le vieux militaire lui souhaite le même destin que son idole.
Elle a commencé sa vie dans un hôpital, elle la terminera dans un EHPAD. Funeste acronyme de cinq lettres qui signe sa mort certaine. Lieu au rendement insolent, en déficit d'humanité. Endroit sinistre aux prix délirants. Machine à tuer en toute impunité. EHPAD masculin qui a écrasé la féminine maison de retraite. Interdit de s'éloigner de la vie active afin de se reposer. Interdit de réfléchir, de se réfugier, pour se préparer à passer de vie à trépas. Labyrinthe de couloirs tous identiques, aux portes suffisamment larges pour permettre le passage simultané du cercueil du partant et du lit à roulettes du nouvel arrivant.
La mère aimante les enfants. Partout où elle passe, ils viennent à elle spontanément, en toute confiance. Ils savent naturellement qu’elle les comprend mieux que n’importe qui. Elle les accueille avec une gentillesse infinie et une patience sans limites. Elle leur parle d’un ton si juste qu’elle peut en faire ce qu’elle veut.
Il est sûr que son premier amour sera le dernier. Il accepte tout et perd sa liberté. Il donne et s’abandonne. Par peur d’être quitté. Encore plein d’illusions, il croit qu’il est aimé. Il ne le sait pas encore mais Patrick n’a qu’un amour. Unique et exclusif. Lui pour lui, lui et lui, lui avec lui. Lui, un tout petit mot renfermant un si grand égoïsme.