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Citations de Emmanuel Roblès (141)


Nouvelle lettre de Camus :
Francine m'a écrit l'histoire des villas à Bouzaréa. Si tu en as le temps, cherche encore autour de toi. J'ai envie de mener une vie un peu retirée et la Bouzaréa ferait mon affaire. Cherche encore autour de toi, sinon j'aurais tous les jours chez moi un régiment de camarades qui me boufferont tout mon temps.
Ici, il fait un vent à décorner les bœufs. Les arbres et les bois qui étaient tout jaunes hier ont perdu leurs feuilles en une nuit. La maison hurle de tous les côtés. Nous attendons un départ collectif et aérien.
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De la rue, on entendait la musique et les rires. Quelques marches à descendre sous une voûte aux briques apparentes, et l'on plongeait dans une lumière bleutée. Sur une estrade, un accordéoniste, velu jusqu'aux yeux, jouait un air sautillant dont les notes semblaient s'envoler, se heurter aux murs, aux poutres du plafond, comme des oiseaux apeurés. Les jeunes filles étaient nombreuses, en robes courtes, les jambes nues jusqu'au-dessus du genou, et dans leur visage à peine fardé, leurs yeux luisants avaient des éclats de petits miroirs.Un gamin servait des boissons tièdes et pétillantes, roses ou jaunes.
Silvia choisit des places au fond, près d'une porte vitrée qui donnait sur une cour dont on distinguait le carrelage de ciment, tout crevassé, sous la lumière pourpre du Vésuve.
Très dignes, assises sur des bancs, les bras croisés sur leurs vastes mamelles, quelques duègnes surveillaient le comportement de demoiselles dont elles avaient la charge.
Je remarquai l'une des jeunes filles ; à peine seize ans, des petits seins hauts et durs, de magnifiques cheveux noirs encadrant un visage triangulaire de chatte malicieuse. Je l'observai tandis qu'elle parlait avec son cavalier, un beau gaillard au corps délié, au buste moulé par un tricot blanc au col marqué d'une bande rouge. Quelques fresques ornaient les murs latéraux et représentaient des scènes de pêche ou de vendange dans les parages du Vésuve. Le trait avait cette souplesse et cette grâce naïve que j'admirais déjà en Algérie chez les artistes qui décoraient les cafés maures.
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Nous visitâmes des villas, des temples, des jardins et des boutiques de la via dell'Abbondanza. Sylvia me montrait des fresques et des mosaïques, attirait mon attention sur les sillons creusés par les charrois dans les dalles de la chaussée, sur l'usure des margelles à l'endroit où s'appuyaient les mains, sur les graffites le long de certains murs, sur mille signes et milles traces qui auraient dû m'émouvoir et qui cependant n'atteignaient pas mon coeur. C'est que des sentiments trop puissants me retenaient dans l'heure présente. Sylvia prenait visiblement plaisir à me guider, à me faire admirer les beautés et les curiosités de ces ruines qu'elle avait mainte fois parcourues. Elle me conduisit à l'amphithéâtre et à la caserne des gladiateurs lorsque déjà le jour déclinait. La mer virait au violet et le sommet enneigé du Vésuve s'éteignait lentement comme une lampe qui s'épuise. De la campagne, le moindre appel, le moindre bruit nous parvenait, aérien, mélancolique. Il était temps de rentrer.
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MONTSERRAT : Je veux voir le général. Son Excellence me fera fusiller pour avoir trahi, pour avoir préféré la cause des hommes que nous opprimons à la fidélité au Roi. Il me fera fusiller pour tout ce qu'il voudra. Ça m'est égal. Je consens à mourrir en traître. Je suis un traître dans ce camp, je l'avoue. Et c'est parce que je suis un homme ! Que je ne suis pas une machine à tuer, une machine aveugle et cruelle !...
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Je ne sais si Dieu est aussi cruellement jaloux de sa gloire que ne le sont ses propres serviteurs.
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Je fis le tour de la pièce. De son oeil vert un chat me guettait. Il était couché sur l'appui d'un castelet, parmi des marionnettes, la patte droite en avant, la peau des doigts d'un joli cuir noir et je me souvins qu'au Japon, au cimetière pour chats de Go-To-Ku-Ji, j'avais vu la fresque des matous sur la façade du temple, la patte levée pour un mystérieux salut. Selon les légendes chinoises et japonaises l'âme d'une personne morte de mort violente pouvait être recueillie dans le corps d'un chat et même parler par sa bouche.
"Maneki Neko", dis-je doucement, en lui caressant l'échine.
C'était la formule magique qu'on m'avait apprise à Tokyo pour faire parler un chat dont le maître avait été tué. Mais celui-ci se contenta de frissonner sous ma main.
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Sainte-Rose se souvint de tous les visages, de tous les événements qu'il avait connus depuis qu'il était tombé du ciel, par une aigre journée d'hiver, au bord de la mer d'Italie. Quelque chose de triste et d'exaltant s'était alors emparé de lui comme si, à Rome, au printemps de mil neuf cent quarante-quatre et dans sa vingt-huitième année il avait approché le mystère de sa propre existence. Et à l'instant de dire adieu à Luca et à son frère il eut le sentiment qu'il disait aussi adieu à sa jeunesse, et qu'elle ne serait désormais derrière lui qu'un peu de neige au creux d'un rocher.
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Encore un coup de sifflet. Une voix grondeuse monta :
"Lumière au trois !"
Ce cri parut exaspérer davantage le chahut hystérique de la D.C.A. Sandra avait légèrement replié sa robe mais gardait les seins à découvert. Elle écoutait paresseusement Sainte-Rose qui disait :
"En Allemagne il arrive que des aviateurs alliés, abattus par la Flak ou la chasse, soient fusillés en l'air par les civils pendant qu'ils descendent du ciel en parachute, et quand ils touchent la terre ils ne sont plus que des cadavres déchiquetés. Si une telle aventure m'advenait, je crois qu'au-delà de ma terreur et de mon désespoir je n'en voudrais pas trop à mes assassins. Les maisons éventrées, les décombres, les enfants écrasés sous les ruines, cela existe. Ce que nous ressentons, nous, là-haut, n'est pas une compensation. Autre chose..."
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A gauche dans les lointains brouillés par la pluie ou la brume, Rome surgit enfin. Comme à travers un aquarium, on distinguait les coupoles et les campaniles parmi les formes bleuâtres des édifices modernes et les taches plus sombres des collines. Prise dans ces vapeurs, une planète jaune et noire dérivait lentement et Sainte-Rose reconnut le dôme de la basilique Saint-Pierre. La grisaille ajoutait à la ville un aspect inaccessible et rendait plus lugubre la maigreur hivernale des campagnes qui s'étendaient en avant des premières lignes de maisons. On aurait dit une cité au bord d'une mer figée, une cité morte, dépeuplée à jamais avec de profondes ténèbres dans les rues et une sorte d'écume au ras des toits. Aucune fumée. Rien ne bougeait. Parfois une lueur perçait entre deux nuages, se posait sur quelques hautes façades, approfondissait davantage l'aspect de désolation, d'abandon définitif. Sainte-Rose contemplait ce spectacle à travers le pare-brise.
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Dehors le soleil de mars était clair, des branches verdissaient et Filangeri sentit sa propre vie aussi fragile que ces minuscules bourgeons. Toute son existence il l'avait consacrée au culte de la beauté et il avait oublié qu'un rien suffisait à réveiller dans l'épaisseur de la conscience humaine la cruauté du temps des hordes. Sa mère avait été servante et son père carrier. Il pensa à eux, morts depuis tant d'années et les vit dans le décor de sa jeunesse, sur les contreforts onduleux des Apennins. Alors, tout sollicitait son amour : un renard tapi dans les herbes, un arbre gonflé de vent, un oiseau dans les nappes de soleil, la roue de la noria et son eau cascadeuse, et la lampe de porcelaine, le soir, protectrice et apaisante. Il ne s'attendrissait pas à évoquer l'enfant ébloui qu'il avait été mais trouvait dans ces souvenirs un remède contre la haine et la désespérance, car l'essentiel, devant ce corps torturé et ce regard millénaire de la douleur, était de ne pas se désunir, de ne pas glisser hors de soi, de demeurer fidèle à l'être qu'il avait construit en lui-même dans la passion de vivre et d'admirer. "Soif", gémit l'inconnu. De nouveau Filangeri se leva, se rendit au robinet et revint, les mains dans l'attitude de l'offrande, semant des gouttes qui étincelaient comme des diamants.
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- Chère Madame, que vous êtes pressée de partir! Mais si vous quittez l'île, vous ne savez même pas ce qui vous attend de l'autre côté!
- Mais du moins quelque chose nous attend. C'est cet inconnu qui nous attire! C'est vers lui que nous voulons aller! Pendant des années, quand je voyais de ma maison le bateau entrer dans la rade, je me disais : un jour viendra où je partirai, un jour, j'aurai assez d'argent, je pourrai monter sur ce bateau et m'en aller... et j'avais l'impression d'être libre!
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- Holberg n'a été qu'une étape dans mon existence, une de ces villes qu'on traverse en voyage. J'ignore ce que tu veux lui dire, mais pense à ceci : que tu es pour moi un pays dont je ne sortirai plus jamais.
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Faire mourir des milliers de créatures que Dieu a sorties du néant et qu'il se réserve de rejeter au néant, c'est presque égaler Dieu. C'est en tout cas lui faire concurrence.
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Les grands principes sont comme les cataclysmes. Ils font toujours une effroyable consommation de créatures !
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Chacun de a sa vérité qu'il défend, et sa vie, et ce qui est plus important que sa vie.
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Ce Monsieur Camus a bien du talent. Il sait émouvoir.
-Il a parlé avec son cœur.
-La formule est frappante, dit Omar en souriant et toujours de sa voix délicate .Mais il ne voit pas que le fait le plus important, ce soir, ce n’est pas son beau discours.
Qu’est-ce donc, alors ?
-Notre discipline, Monsieur Varennes.
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Roblès présenta la séance en quelques mots, dit le dessein du Comité, etc […] Puis Camus commença à lire sa conférence. Il était pâle, son visage osseux pris dans la lumière de la petite lampe de bureau placée à sa droite.
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[...]Car si quelque chose vaut plus que la vie, alors il faut éventuellement accepter de périr pour que ce soit sauvé. Mais si cette chose, ou cet être, n’existent que par rapport à soi, et à notre temps de vivre ? Alors il faut d’abord survivre[...]
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Ce serait trop beau si on pouvait faire de la vie ce qu'on voulait , c'est la vie qui vous mène
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Venant de la basse-cour, un bruit l'intrigua et comme elle se savait seule — la tante de Marc était descendue au village — elle poussa une persienne, celle de droite, et ce qu'elle vit la laissa interdite. A vingt mètres d'elle, contre le bâtiment d'en face, juché sur une étagère du réduit où le fermier abritait ses poules pondeuses, une bête la regardait avec une telle intensité qu'elle prit peur. Son immobilité la rassura et grâce aux filets de soleil qui traversaient le toit de planches elle distingua un corps couleur de feu, une longue queue touffue, des yeux luisants au-dessus d'un fin museau. La coupe triangulaire de la tête, les oreilles en cornet, la truffe frémissante ajoutaient à un air de malice presque moqueuse.
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