°°° Rentrée littéraire 2022 # 47°°°
Je referme ce roman impressionnée par l’ambition de l’autrice qui a construit un scénario incroyable tissé de milles fils, de milles chemins de traverse sur deux siècles, et qui au final se tient parfaitement. Impossible de le résumer, ni souhaitable d’ailleurs tant il recèle de surprises. Disons que les thématiques principales tournent autour de la question de l’héritage et de la transmission, ainsi que des spoliations des œuvres d’art possédées par des Juifs durant la Deuxième guerre mondiale puis leur restitution.
Le fil conducteur du récit est un coffret marqueté dans laquelle la future Comtesse de Ségur, la jeune Sophie Rostopchine, glisse un trésor, son journal intime rédigé en 1812 sur le chemin de l’exil qui la conduit à Paris après la disgrâce de son père, le comte Fiodor Rostopchine, gouverneur général de Moscou, qui a fait incendier la ville pour ne rien laisser à Napoléon Ier. La Part des cendres raconte l’épopée du coffret et son contenu secret qui passe de mains en mains, disparaît et réapparaît de 1812 à 2019.
Etant donné la densité des informations historiques injectées dans sa fiction, Emmanuelle Favier a fourni un travail d’érudition vertigineux. J’ai appris énormément de choses. Dans un décor ample couvrant la Russie, la France, l’Ukraine, les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Algérie ou encore l’Italie, elle fait croiser de très nombreux personnages fictifs et historiques, spoliateurs, pillards, trafiquants, résistants, redresseurs de torts, belles âmes. De ce très fourni panorama géographico-historique, émergent des portraits intimes, essentiellement féminins.
Un personnage a particulièrement attiré mon attention : Rose Valland, une de ces femmes invisibilisées à laquelle Emmanuelle Favier donne la place qu’elle méritait du fait de son action exemplaire au service de l’Art. Cette attachée de conservation au Jeu de paume entre en résistance dès que la galerie devient le lieu de stockage des œuvres d’art spoliées aux Juifs français par les Nazis avec Hernann Goering aux manettes qui cherchent des œuvres pour le projet de musée à Linz imaginée par Hitler ou pour sa propre collection dans son château de Carinhall. Durant tout le pillage, sous la direction d’un autre grand résistant, Jacques Jaujard, directeur des musées nationaux et du Louvre, elle relève clandestinement le mouvement des biens volées, fournit des informations essentielles aux Alliés. Après la guerre, elle œuvre à la restitution de près de 60.000 œuvres d’art.
Cela fait beaucoup d’informations à digérer dans cette imposante fresque. Je me suis souvent essoufflée dans cette cavalcade qui passe d’un lieu à l’autre, d’un personnage à l’autre, d’une date à l’autre. D’autant que les interpellations trop nombreuses convoquant le lecteur dans de longues parenthèses ( « où nous retournons un instant … », « précisons ici pour le lecteur ambitieux ... », « nous aurons l’occasion de la revoir... » ) m’ont agacée et fait décrocher. Cela ajoute de la grandiloquence à une écriture déjà très ouvragée, emplie de vocabulaire rare ( pas mal d’avoir un dico pas loin ). A cause de cela, je n’ai pas été convaincue par la totalité des chapitres. Disons que le caractère roboratif du récit aurait mérité d’être allégé de quelques coupes.
Si j’ai tout de même raccroché à chaque fois, c’est parce que la thématique de la transmission, incarnée métaphoriquement par le coffret, est très pertinente et irrigue toute la lecture. Porter atteinte à un bien culturel, c’est porter atteinte à l’humanité, que ce soit pour le désir de posséder ou d’éradiquer un peuple. Rendre un objet spolié, croûte ou chef d’oeuvre, c’est soigner les liens tissés, par d’autres, entre les générations. Un objet est chargé de la mission de transmettre qui nous sommes, d’où nous venons. Tout cela, Emmanuelle Favier le dit fort bien, avec sensibilité, et ça compte à l’heure où les dernières générations ayant un lieu direct avec la Deuxième guerre mondiale disparaissent et où se posent la question d’autres restitutions de biens volés à l’époque coloniale.
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"Voici un premier roman étrange, inhabituel , mystérieux, mélancolique à la structure narrative proche du conte , un écrit que l'on pourrait qualifier de roman "d'ambiance" qui nous interpelle !
L'auteur, à l'aide d'une prose délicate , comme éthérée, conte l'histoire tragique et contrariée de Manushe et d'Adrian , leur rencontre, leurs aspirations et leurs tourments.........
Dans les BALKANS , au cœur de contrées campagnardes reculées, traditionalistes " les vierges jurées" sont des femmes qui ,socialement, deviennent des hommes : elles partagent les prérogatives masculines , fumer, boire de l'alcool, négocier les conflits familiaux , et même utiliser les fusils , à une seule condition, elles doivent rester chastes totalement ....... et renoncer à leur féminité.
Elles en font le serment , Manushe est l'une d'elles .
Un jour, un homme frappe à sa porte. Il s'appelle Adrian .
Il s'installe au village , il a renoncé à sa vie de femme .......je n'en dirai pas plus sinon à dévoiler l'intrigue .
C'est un roman très original à propos d'un sujet :ces femmes albanaises, "les vierges jurées", dont je n'avais aucune connaissance .
Il nous parle de "l'identité et du genre,"de l'acceptation et du regard sur soi, de la difficulté de s'intégrer lorsque l'on est différent , du courage certain qu'il faut avoir pour exister et acquérir la liberté de choisir sa vie !
J'ajouterai que l'auteur évoque aussi le désir, la découverte de son corps et de celui de l'autre lors de très belles pages sensuelles .
Difficile de qualifier ce livre tout à fait dépaysant , inattendu, ambigu , baignant dans un climat poétique où l'auteur hésite sans cesse entre réalité, poésie et conte ........
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Pour avoir refusé un mariage arrangé, Manushe a dû renoncer à sa condition de femme, elle est devenue une « vierge jurée » et a pris l’engagement de vivre sans homme.
Mais, lorsqu’ Adrian, personnage énigmatique, arrive au village il sème le trouble dans son cœur et réveille une sensualité qu’elle croyait enfouie.
A partir de là, une étrange relation s’installe. Ils apprennent peu à peu à se connaître. Nous les suivons dans de longues promenades sur des sentiers souvent nimbés de brume révélant peu à peu des paysages grandioses, magnifiquement décrits.
Je me suis laissée bercer d’une rive à l’autre de cette rivière, comme envoûtée par une histoire hors du temps.
J’ai tout aimé, les personnages, l’intrigue, l’écriture.
Emmanuelle Favier réussit avec délicatesse à nous parler de l’identité, du désir, de la liberté de vivre une vie de femme.
La plume précise et élégante a accru mon plaisir à découvrir ce très beau premier roman.
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Dans son second roman, "Virginia", Emmanuelle Favier retrace les années de jeunesse de Virginia Woolf, dépeint sa tristesse, ses peurs et sa solitude au sein d’une famille recomposée de 8 enfants dont elle est l’avant-dernière, son besoin désespéré d’aimer et d’être aimée, sa difficulté, déjà et dès l’enfance, à être pleinement au monde, comme son appétit de connaissance et de lecture et ses velléités - de plus en plus affirmées - d’écriture. C’est un portrait brossé de l’intérieur qui dit par petites touches les ressentis, les désarrois intimes et - éducation victorienne oblige - jamais exprimés d’une enfant puis d’une jeune femme hypersensible que tout interpelle, écorche et blesse.
Un tempérament solitaire, angoissé et mélancolique, corseté par une société victorienne bien-pensante, rigide, terriblement convenable, ennuyeuse et fade, mais une personnalité forte, également, moqueuse et volontiers rebelle, nourrie par une intelligence acérée. Emmanuelle Favier nous guide ainsi pas à pas jusqu’aux 22 ans de Virginia Woolf - qui n’est encore que Virginia Stephen, dite “Gina” ou “Miss Jane” : 1904, 22 ans… Année cruciale pour Virginia, qui voit à la fois la mort du père (9 ans après celle de la mère), la rencontre avec Leonard Woolf et sa seconde naissance - cette fois en tant qu’écrivain.
Pour ce faire, Emmanuelle Favier opte pour une approche assez étrange : un “nous” narratif qui associe le lecteur à l’écriture du récit tout en introduisant une double distanciation - spatiale et temporelle - avec ce qui, collectivement, donc, s’y raconte. Le procédé, original, aurait pu être extrêmement intéressant. Mais à force de nuances dans la nuance, de détails dans les détails, de retouches dans le discours, de (faux) remords dans l’énonciation, le récit n’avance pas et traîne désespérément en longueur - tout entrecoupé qu’il est en permanence de digressions et d’incises destinées à rappeler au lecteur (promu au rôle de co-narrateur) qu’il est là sans y être vraiment, qu’il voit - mais de trop loin -, qu’il sait - mais c’est dans l’avenir et donc prématuré -, que la focale - mal réglée - est imprécise et peut-être trompeuse, que la vision est décidément floue - et que rien de ce qui est dit là ne saurait être certain...
Ce “Virginia” d’Emmanuelle Favier, quoique fort bien écrit, ne m’a pas vraiment convaincue, parce qu’il s’enferme dans un choix narratif qui devient très vite artificiel, multiplie les coquetteries et les afféteries littéraires et n’a ni le souffle créatif que l’on est en droit d’attendre d’un roman, ni la rigueur d’une véritable étude biographique. A ce titre, il n’apporte pas, à mon avis, grand chose à son sujet qui fut, par exemple, il y a quelques années, mieux servi par Viviane Forrester. A tout prendre, rien ne vaut la lecture de son journal ( à tous points de vue monumental), de sa correspondance et - bien entendu - de son oeuvre pour connaître de Virginia Woolf tout ce qu’il importe de savoir de cette femme solitaire et tourmentée comme de l’immense écrivain qu’elle fut et qu’elle demeure.
Ce n’est pas, cependant, un mauvais livre : le récit est sensible et très documenté, l’analyse est fine et l’écriture est belle. Mais c’est un roman qui m’a mise à la peine, que je me suis littéralement forcée à lire jusqu’au bout - par amour pour Virginia Woolf et pour son oeuvre bien plus que par intérêt pour le travail d’Emmanuelle Favier - et qui me laissera surtout le souvenir d’une lecture un peu agacée et passablement ennuyeuse. Un rendez-vous un peu manqué, donc, en ce qui me concerne, avec cette nouvelle - et belle - plume de la littérature française dont je n’avais encore jamais rien lu.
[Challenge Multi-Défis 2020]
[Challenge Plumes féminines 2020]
[Challenge Notre-Dame de Paris]
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Très beau roman plein de poésie où les mystères identitaires s'entrechoquent en laissant d'indélébiles empreintes au fond des personnalités troublées par ces collisions inévitables dans une société archaïque, dure pour la femme, injuste envers toute forme d'amour véritable.
Deux héroïnes portent cette histoire, Manushe, vierge jurée, et Adrian, grande et attirante fille dont le père voulait qu'elle fût un garçon. Leur rencontre va permettre à chacune de conter à l'autre les misères de sa vie, fracassée sur l'autel de la volonté des plus forts.
Elles sont toutes deux magnifiques, impressionnantes dans la volonté qui les anime pour contrer cette adversité qui les persécute, seront-elles réunies dans un amour enfin protégé, à l'abri des traditions et des jalousies, voire des haines?
Lisez ce beau texte pour le découvrir, vous y ressentirez également la puissance des montagnes, les ombres profondes des lacs et la persévérance, disons le courage des rivières, pour être fidèle à un titre original comme tout ce très beau roman.
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Immense déception! Le projet était ambitieux, le résultat ne me semble pas à la hauteur de l'immense travail de recherche que l'auteure a du faire an amont ..
Déception donc. Un petit coffret passe de main en main .. de Moscou en 1817 à nos jours, Ce roman est avant tout un constat amer sur les pillages et spoliations qui parcourent les siècles. Idéologie, pouvoir et surtout avidité insatiable à l'origine de ces exactions ne peuvent être en aucun cas excusables ni tolérés.
Suit alors un inventaire des faits, guerres napoléoniennes, guerre de 14/18, guerre 39/40 , etc.... tout dire à une vitesse supersonique relève de l'utopie. Profonde lassitude du lecteur averti et désintérêt du néophyte qui ne peut pas suivre. A moins que cet ouvrage ne s'adresse qu'à une intelligentsia avertie à même de comprendre la signification de certains mots employés et qui soit sensible à l'écriture souvent pompeuse et prétentieuse d'Emmanuelle Favier:
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué!!
J'ai résisté, j'ai consulté le dictionnaire à maintes et maintes reprises, je suis allée au bout .désolée Madame vous ne m'avez pas convaincue
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Quel style magnifique dans ce roman! Déjà le titre et la belle couverture au lynx forment une splendide porte d'entrée. L'intérieur n'a rien à envier à l'extérieur, tant du point de vue de l'écriture que de l'histoire.
Emmanuelle Favier m'a ainsi permis de prendre connaissance de la coutume, ici en Albanie, des vierges jurées. En se refusant au mariage, ces femmes, via une cérémonie, renoncent à leur sexe et à toute union pour devenir des hommes aux yeux de la communauté. Elles peuvent ainsi disposer des prérogatives masculines au sacrifice de toute féminité. En commençant ma lecture, je me suis demandé à quel siècle se situait l'intrigue. Quelle ne fut pas ma surprise de voir apparaître au cours du récit les termes "voitures", "télévision", ... Ce système, ainsi que d'autres éléments du droit coutumier de ces villages de la montagne, me semble si archaïque qu'il m'est encore difficile de penser qu'il existe encore de ces vierges jurées de nos jours.
L'auteure emporte notre empathie avec ses personnages de Manusche et d'Adrian, aux destinées si proches et lointaines à la fois. Elle met beaucoup d'âme dans ces deux figures qui m'ont beaucoup émue.
Outre le thème de ces vierges jurées, la question de la construction de soi est au coeur du roman. Elle transcende les genres, notamment avec le cas de la jeune Dirina en proie à d'inexplicables crises d'angoisse existentielle. Cette construction passe également par le rapport à autrui qui aide souvent à se définir.
Comme je le disais plus haut, le récit déjà fort et poignant est sublimé par une écriture pleine de finesse et de poésie. Sous la plume d'Emmanuelle Favier, montagnes, lacs et autres paysages prennent vie sous mes yeux par la seule force évocatrice de ses mots. La fugace mais intense rencontre entre Adrian et le lynx est d'une beauté âpre et symbolique.
Une merveilleuse découverte donc que ce primo-roman. Je lirai avec plaisir les vers et les nouvelles de l'auteure après sa prose romanesque. En attendant de futures publications.
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Merci aux 68 premières fois qui me permettent de découvrir ce superbe roman d'Emmanuelle Favier, Le Courage qu'il faut aux rivières…
Ce roman porte en filigrane les codes traditionnels encore en vigueur dans certaines régions de l'Europe balkanique, Albanie et Kosovo surtout ; ces Kanun, liés aux traditions, sont une sorte de droit coutumier pour les tribus qui remonterait au XVème siècle.
Dans les Balkans, en Albanie notamment, les vierges jurées sont des femmes qui, socialement, deviennent des hommes ; tenues en haute estime, elles ont alors accès aux prérogatives masculines comme fumer, boire de l'alcool, mener les troupeaux, utiliser les fusils et négocier les conflits familiaux. En contrepartie, elles sont soumises à l'obligation de chasteté. Quand des familles n'ont pas assez d'hommes pour s'occuper des tâches qui leur sont normalement dévolues, des femmes peuvent alors assumer des fonctions masculines.
C'est toute la construction du genre qui est ainsi questionnée par Emmanuelle Favier ; pour reprendre une citation de Tahar Ben Jelloun citée en épigraphe de la troisième partie, « être femme est une infirmité naturelle […], être homme est une illusion et une violence […], être tout simplement est un défi ».
L'auteure nous livre dans son livre trois magnifiques portraits majeurs de femmes : la vierge jurée, la fille reniée et transformée, la fille née du viol de sa mère… Ces femmes vont en croiser d'autres, plus rapidement esquissées mais tout aussi superbement évoquées : prostituées, femme en mal d'enfant, épouses et mères… les destins vont se croiser, se séparer, se retrouver.
Faces à elles, le monde des hommes est bien sombre : ivrognes et chasseurs brutaux, pères autoritaires, proxénètes sans scrupules…, société masculine fortes de traditions et d'impunités. Quelques personnages cependant forcent l'admiration et le respect : un déménageur poète, un adolescent rêveur et aventureux, un chef de village ouvert à la culpabilité…
Dans ce roman, Emmanuelle Favier jongle donc entre archaïsme et monde contemporain, baladant le lecteur dans un entre-deux à la fois très concret et très poétique. L'écriture est belle, la langue est soutenue, le vocabulaire recherché… Ceux qui, comme moi, sont sensibles à « comment c'est écrit » seront comblés.
Le noeud thématique et métaphorique des rivières m'a touchée, ces « rivières qui pour former l'étendue [continuent] de braver la roche, le gel et la sècheresse », ces rivières dont les femmes partagent le courage, rivières allégoriques de sang et de lait mêlées… J'y ai lu un rappel du mythe d'Ophélie, fantasme féminin lié à la nature, à la virginité et à sa perte, victime sacrifiée et sanctifiée, femme au statut ambigu qui ne peut pas être mère… Je ne peux pas aller trop loin dans cette analyse pour ne pas risquer de divulguer trop avant dans la trame narrative mais il y a vraiment quelque chose à creuser dans la façon originale dont Emmanuelle Favier s'approprie et reprend ce mythe littéraire, dans une notion d'universalité et d'éternité, dans une temporalité floue, à la fois proche de nous et suffisamment imprécise pour faire autorité.
Pour moi, ce roman est un coup de coeur, un de ces livres qui me font dire « merci » quand je le referme.
Merci Emmanuelle Favier.
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Voilà un roman qui aurait mérité un résumé un peu plus exhaustif, voici celui de l'éditeur Albin Michel :
De l'incendie de Moscou au manoir de Kerlan en passant par Dresde, Odessa, la Carinhall de Goering, Nuremberg et New York, deux siècles de tumulte ou le fol itinéraire d'un petit coffret contenant un trésor, symbole de la grande Histoire des spoliations et des guerres.
Fresque monumentale où l'on croisera les monstres et les héros modestes de l'Histoire, les crapules et les martyrs, La Part des cendres entrelace avec génie les fils de cette toile qui fait l'humanité – son courage, sa ferveur et son avidité
Avec un tel résumé, j'espérais quelque part retrouver le plaisir d'une lecture similaire à celle de la cité des nuages et des oiseaux d'Anthony Doerr, où un objet liait les femmes et les hommes dans le temps, autour d'une symbolique.
Bon, ce fut laborieux au début (tout comme fut la rédaction de cette critique), j'ai même eu du mal à trouver le temps de lire (fausse excuse), je dirais presque que cela en était devenu une corvée. Je ne concevais pas l'abandon, je m'échinais en me disant que j'étais fatigué et pas dans le bon état d'esprit pour lire. Mais non rien n'y faisait.
Le roman ouvre sur Sophie Rostopchine, que nous connaissons mieux en tant que Comtesse de Ségur, elle est jeune, toute jeune à peine 18 ans et on suit son exode vers la France depuis sa Russie natale, dont elle écrit quelques pages de ce périple qu'elle glissera dans le fameux coffret. Je m'attendais à voir le coffret être l'élément central du livre, et bien non du tout, c'est au plus un point de repère et un fil conducteur pour ne pas perdre le lecteur dans cette fresque historique.
Après ça part un peu dans tous les sens, toujours de façon chronologique bien sûr, mais au final ça se destine à être un récit historique de l'art à travers le temps, aussi bien pictural que littéraire. La plume est lourde, comme volontairement pédante. de plus, l'autrice est friande de digressions ce qui rend le tout confusant ; au sein d'un même chapitre, on change de lieu, de point de vue, des fois même de temps.
Une très importante partie de cette fresque historique, sera consacrée à la Seconde Guerre Mondiale et à la violence des Nazis au sujet de l'art, des spoliations et des restitutions. Je pense même que cet énorme passage aurait presque mérité un ouvrage historique à lui tout seul tellement c'est bien documenté. En revanche cette ambivalence dans le genre historique/roman, permet à l'autrice de donné son avis sur les personnages historiques qu'elle nous racontera, quasiment toujours partie prenante, rien de neutre, comme si cette ambivalence permettait sous couvert du roman de donner son avis personnel sur des faits historiques. Car oui, on va en croisé du monde, même brièvement, La comtesse De Ségur, Tolstoï, Goering, Hitler, Woolf, Yourcenar ect ; mais ce ne serons pas des personnages « actifs » des énonciations dans une trame historique que nous connaissons plus ou moins selon nos connaissances personnelles.
J'avoue m'être questionné sur le prisme par lequel j'avais attaqué ma lecture, je pensais lire un roman avec tout ce qu'il y a d'imaginé par un auteur. Mais je faisais fausse route, plus les pages défilaient et plus ma frustration enflaient. J'ai posé le bouquin deux jours puis ai corrigé ma vision du livre, je l'ai enfin pris comme un récit historique ou l'histoire du coffret est à reléguer au second plan.
Et bien j'ai appris énormément de choses, parce que Madame Favier à fait un travail de recherches historiques colossal, et ça se sent ; c'est pour ça qu'elle avait des choses à dire et à raconter comme tout un chacun, ravi de faire partager ses connaissances. Il aurait été préféré un style plus sobre, du vocabulaire beaucoup trop lourd qui n'a pas aidé non plus à l'immersion, des fois inutile, juste comme je le disais plus haut, pédant sans être utile.
Au final, je me suis accroché, j'ai changé mon angle de lecture, et comme pour nous remercier, l'autrice, nous fait du dernier cinquième du livre un roman au sens premier du terme.
Ou l'on va suivre trois femmes sur trois générations, Georgette la grand-mère, Blanche la mère et Mathilde la fille qui deviendra notre personnage principal, notre point d'ancrage après avoir été baladé au fil des siècles. Etrangement la plume se fit plus agréable. le coffret se fera plus présent dans l'intrigue après avoir disparu de toute narration pendant un petit bout de temps. J'ai également aimé le personnage de Mérédith de Cornulier qui deviendra l'amie de Mathilde, un personnage fantasque qui vient mettre un peu de lumière.
Finalement, un bouquin aux qualités historiques indéniables, mais il faut savoir à quoi on s'attaque avant de se lancer.
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E.FAVIER nous offre un roman d'une grande originalité tant par son sujet que la façon de l'aborder avec le destin croisé de deux femmes ,Manushé et Adrian. Chacune, pour des raisons différentes doit travestir son identité et endosser le statut de l'homme. A leur côté on rencontre aussi Dirina et Gisela, deux portraits émouvants. Le décors ,en Albanie à la fois sauvage, très beau et dur, parfois oppressant et triste semble refléter l'intériorité de ces femmes: fortes et pourtant d'une sensibilité extrème. La souffrance leur est commune, le besoin de se connaître et se révéler aussi. A travers ce roman, on perçoit qu'E.Favier, au delà de la découverte de cette pratique encore existante dans les balkans "des vierges jurées", vient interroger la notion de "genre" et ce qui crée finalement , le sentiment d'être femme ou homme ou peut-être plus fortement encore la réalité et le sens "du genre". C'est un roman qui ne peut laisser indifférent qui bouscule intelligemment les "évidences". C'est aussi une belle histoire d'amour.
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S'inspirant des 'Vierges jurées' de l'Albanie profonde, Emmanuelle Favier construit habilement et dans une très belle écriture la rencontre pleine de tendresse de deux jeunes filles ayant subi ou désiré endosser le statut d'homme. Mais, dans un pays oú demeurent les codes d'honneur et les dettes de sang, les pires chatiments menacent celles qui rompent leurs voeux de chasteté.
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J'ai abandonné la lecture à la 270 ième page. Très rare que j'arrête la lecture d'un roman, je me force souvent pour finir même si la lecture ne me plait pas.
Ici le roman est trop décousue, pas fluide ce qui a rendu la lecture compliquée.
Pourtant l'idée est bonne, partant des spoliations et pillages dans l'Histoire, on suit des personnalités , des faits historiques, des guerres... Et on perd très vite l'intérêt de l'histoire.
Peut être un essai historique aurait eu plus 'intérêt, qu'un roman noyé dans l'étalage des connaissances historiques.
Bref immense déception.
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Manushe habite dans un village des Balkans, elle est une vierge sous serment: pour avoir les mêmes droits qu’un homme (et ne pas en être esclave donc), elle a refusé de se marier et a fait le serment de rester vierge. Elle vit simplement, dans la ferme familiale, et est respectée du village.
Pourtant, lorsqu’Adrian frappe à sa porte et demande aux villageois l’autorisation de rester avec eux, et qu’il devient l’un des leurs, Manusche sent que quelque chose se réveille en elle, quelque chose qu’elle n’avait jamais connu ni même rêvé. Mais Adrian n’est pas celui qu’elle croit, et va peut être la bouleverser d’une façon encore différente.
Très belle histoire que nous livre là Emmanuelle Favier. Autant je n’avais pas aimé le premier livre d’elle que j’avais lu (Virginia) autant celui-là m’a plu et bouleversé.
À la fin du livre, Emmanuelle Favier nous apprend que l’histoire est vraie: dans les Balkans, des femmes ont prêté serment de rester vierge pour ne pas être à la merci des hommes, et que certaines vivent encore avec ça.
Ici, le personnage central, Manusche, femme qui a accepté de renoncer à sa féminité, reste une femme et affronte les difficultés liées à son engagement, notamment lorsque ses désirs se réveillent. L’évolution de la relation entre elle et Adrian, qui se rapproche mais qui cache un secret qui pourrait bien lui valoir la mort, est extraordinaire. Le roman est très court et il n’y a pas de temps mort, du coup, j’ai vraiment été scotchée, emportée par cette histoire merveilleuse - si l’on arrive à oublier le postulat de départ, à savoir que seuls les hommes sont libres, et que pour l’être aussi, une femme doit renoncer à en être une… à méditer.
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Un livre étrange, et aussi beau qu’étrange.
Dans un pays des Balkans, Manushe vit comme un homme, c’est une « vierge jurée », ayant renoncé à sa vie de femme pour ne pas épouser l’homme choisi par sa famille.
Un jour, un homme frappe à sa porte, puis s’installe au village.
Cet homme aussi, pour de toutes autres raisons a renoncé à sa vie de femme.
C’est un roman inattendu, inhabituel, surprenant.
Avec une imagination incisive et intelligente, l’auteur va mêler le destin de ces deux femmes.
On se croit au Moyen-âge dans une société moderne.
On s’y perd parfois dans les allers-retours dans le temps, mais cette histoire est d’une grande force, écrite d’une écriture maîtrisée et sensible, réaliste et poétique.
Un premier roman sur l’identité plus que prometteur qui fut une très belle découverte.
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Attirée par le titre et la couverture de ce roman, je m'attendais à une histoire proche d'un Nature Writting ...Que nenni !
Le début du roman instille d'emblée une ambiance mystérieuse avec l'arrivée d'un étranger, Adrian , dans un village isolé des Balkans et sa rencontre avec Manushe , une femme qui vit seule par choix . Elle a refusé étant jeune fille d'épouser l'homme plus âgé auquel son père voulait l'unir et est devenue une Vierge jurée décidant de bannir son état de femme et de rester chaste .
Histoires de femmes, de filles, de mères, d'épouses ... pour lesquelles les choix sont imposés, tracés ou limités . Leur liberté , au cas où elles oseraient la prendre , les laisse en marge de la communauté des hommes mais nul ne peut effacer le désir .
Emmanuelle Favier par l’ambiguïté de ses personnages et de situations pose en filigrane la question du genre .
Roman surprenant qui bouscule un peu le lecteur et assez bien résumé par la citation de la troisième partie:
"Être femme est une infirmité naturelle dont tout le monde s’accommode.
Être homme est une illusion et une violence qui justifie et privilégie.
Être tout simplement est un défi."
Tahar Ben Jelloun , L'Enfant de sable
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On entre dans ce roman sur la pointe des pieds, avec Manushe, vierge jurée, qui a renoncé à la vie conjugale pour être elle-même, vierge, propriétaire, maîtresse de son destin.
Dans son village des Balkans, elle est respectée par toute la communauté.
Survient Adrian, qui sait la faire frémir et accéder à sa féminité, à son désir d'amour.
Magnifique livre trop court, d'une écriture poétique et prudente, qui ne nous quitte pas de sitôt.
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