Payot - Marque Page - Estelle Nollet - Le bon, la brute, etc.
La chance n'est qu'un putain de mot qui a été inventé pour remplacer le talent.
« Putain, comment j’ai fait pour naître ici ? On dirait que c’est un endroit qui n’existe pas. Pourtant, merde, c’est bien là que je vis. » (p. 10)
C'est dur de se dire que le temps qu'il nous en reste ou non, passe toujours de la même façon. L'horloge elle se fout bien de nos peurs, alors que sur son cadran on suit le tic-tac de nos angoisses et puis un jour il se fatigue.
J'ai toujours trouvé ça dingue de voir des files de gens devant les Apple Store attendre des heures ou des jours pour pouvoir acheter le dernier smartphone qui leur permettra de pianoter sur internet de l'exacte même façon que le précédent. J'ai toujours trouvé ça dingue de perdre son âme pour un bout de plastoc et de métaux rares qui polluent les rivières et le corps des enfants. Je me demande d'ailleurs quel genre d'âme c'était. Et comment le lavage de cerveau peut encore fonctionner. J'ai toujours trouvé ça dingue et puis je suis toujours passé à autre chose, dans la dinguerie à notre époque il y a le choix.
Alors j'ai essayé de savoir si elle pouvait lire dans mes pensées,j'ai pensé bleu. Elle ne l'a pas su. Elle ne peut pas lire dans mes pensées. Pourtant on dirait qu'elle y habite.
« Ils se tenaient par la main les doigts tressés et tricotés, ils s’accrochaient l’un à l’autre mais c’était pour ne pas tomber, comme quand on fait dix nœuds à une corde trop usée qui un jour ou un autre, fatalement, irait lâcher. » (p. 99)
Elle se pencha pour l'embrasser, la voiture fit une petite embardée de tendresse.

On est la lie de l'humanité. Des fions dans le trou du cul du monde. Pas moyen de partir, et de toute manière l'envie que se carapate chaque jour un peu plus.
On ne vit pas, on attend. Et on n'attend rien. Et quand on sort en crabe comme si on n'avait plus qu'une patte, on traverse la route sans regarder en riant ivres morts et en se tapant dans le dos mais c'est pour se donner du courage, pour qu'on se revoie demain, et tous on espère qu'elle va passer, la bagnole. Celle qui n'aura pas le temps de freiner.
Mais il y a pas de bagnoles par ici. Des camions pour la décharge juste. Ils vont, ils viennent, et eux et leurs chauffeurs il partent très vite pour oublier encore plus vite. Parce que le reste du monde doit-être fait de gens bien. Et qu'il n'y a que les connards qui s'échouent ici. Ceux qui n'ont pas de bol. Ou ceux qui y sont nés.
Putain, comment j'ai fait pour naître ici ? On dirait que c'est un endroit qui n'existe pas. Pourtant, merde, c'est bien là que je vis.
« En cet instant précis, il se dit qu’il suivrait jusqu’au bout du monde non la personne avec qui il aimerait vivre, mais celle auprès de qui ça ne le dérangerait pas de crever. » (p. 24)
Dans les rues il marchait toujours la tête baissée et il se demandait si l’attraction terrestre allait finir par les aspirer, ses yeux, s’ils allaient se décrocher dans un petit cri et tomber, deux globes d’un blanc laiteux sur le bitume, leur cornée s’y éraflant et leurs iris bleus trempant dans une flaque de boue, roulant dans le liquide terreux, piétinés par mille semelles, explosant comme des raisins. Mais ils ne tombaient pas.