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Citations de Fernando Pessoa (1993)


Je suis devenu un personnage de roman, une vie lue. Ce que je ressens est seulement ressenti (bien malgré moi) pour qu’il soit écrit que cela a été ressenti. Ce que je pense arrive aussitôt en mots, mêlés à des images qui le défont, s’ouvre en rythmes qui sont déjà quelque chose d’autre. A force de me recomposer, je me suis détruit. A force de me penser, je suis devenu mes pensées, mais je ne suis plus moi. Je me suis sondé, et j’ai laissé tomber la sonde ; je passe ma vie à me demander si je suis profond ou non, sans autre sonde aujourd’hui que mon regard qui me montre — clair sur fond noir dans le miroir d’un puits vertigineux — mon propre visage, qui me contemple en train de le contempler.

(…)

J’ai créé en moi diverses personnalités. J’en crée constamment de nouvelles. Chacun de mes rêves s’incarne, dès son apparition, en quelqu’un d’autre, qui se met à rêver à ma place.
Pour créer, je me suis détruit ; je me suis extériorisé au-dedans de moi à tel point qu’en moi, je n’existe plus qu’extérieurement. Je suis la scène vide où passent divers acteurs, jouant diverses pièces.

(…)

Je suis si bien devenu la fiction de moi-même que tout sentiment spontané que je peux éprouver s’altère aussitôt, dès sa naissance, pour devenir un sentiment de l’imaginaire : me souvenir se transforme en rêve, le rêve en l’oubli du rêve, et me connaître revient à ne pas penser à moi-même.
Je me suis dévêtu de mon propre être à tel point qu’exister, c’est d’abord me vêtir. Je ne suis moi-même que déguisé. Et, autour de moi, tous les couchants inconnus dorent en mourant des paysages que je ne verrai jamais.
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Cesser, dormir, remplacer cette conscience intercalaire par des choses meilleures, mélancoliques, chuchotées en secret à un être qui ne me connaîtrait pas !... Cesser, couler agile et fluide, flux et reflux d'une vaste mer, le long de côtes visibles dans la nuit où réellement l'on dormirait !... Cesser, exister incognito, extérieurement, être le mouvement des branches dans des allées écartées, une chute de feuilles légères, plus devinée que perçue, haute mer des lointains et fins jets d'eau, et tout l'indéfini des parcs dans la nuit, perdus dans des entrelacs sans fin, labyrinthes naturels des ténèbres !... En finir, cesser d'être enfin, mais avec une survivance métaphorique, être la page d'un livre, une mèche de cheveux au vent, l'oscillation d'une plante grimpante dans l'encadrement de la fenêtre entrouverte, les pas sans importance sur le fin gravier du chemin, la dernière fumée qui monte du village endormi, le fouet du charretier oublié au bord d'un sentier matinal... N'importe quoi d'absurde, de chaotique, d'étouffé même — n'importe quoi, sauf la vie...
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Je n'ai ni ambition ni désir.
Être poète n'est pas mon ambition.
C'est ma façon à moi d'être seul.
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Ah, qui sait, qui sait
Si je ne suis pas déjà parti jadis,
bien avant moi
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J’ai songé, autrefois, à me livrer à une étude spéciale des Quatre Evangiles. J’avais lu avec enthousiasme un ouvrage sur ce sujet, et l’avais acheté sur une impulsion. J’en avais fait venir d’autres, les attendant avec impatience. Quand ils sont arrivés, je ne les ai même pas lus.
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Je n’ai jamais eu d’idées sur un sujet quelconque sans chercher aussitôt à en avoir d’autres.
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Passage des heures


25 mai 1916

Extrait 10

Toi, dont la venue est si douce qu’elle paraît un éloignement,
dont le flux et le reflux des ténèbres, quand la lune respire
  doucement,
ont des vagues de tendresse morte, un froid de mers de songe,
des brises de paysages irréels pour l’excès de notre angoisse…
Toi, et ta pâleur, toi, plaintive, toi, toute liquidité,
arôme de mort parmi les fleurs, haleine de fièvre sur les bords,
toi, reine, toi, châtelaine, toi, femme pâle, viens…
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Plutôt le vol de l’oiseau…


Plutôt le vol de l’oiseau qui passe sans laisser de trace,
que le passage de l’animal, dont l’empreinte reste sur le sol.
L’oiseau passe et oublie, et c’est ainsi qu’il doit en être.
L’animal, là où il a cessé d’être et qui, partant, ne sert à rien,
montre qu’il y fut naguère, ce qui ne sert à rien non plus.

Le souvenir est une trahison envers la Nature,
Parce que la Nature d’hier n’est pas la Nature.
Ce qui fut n’est rien, et se souvenir c’est ne pas voir.

Plutôt le vol de l’oiseau qui passe sans laisser de trace,
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Je regardais la mer et j’oubliais de vivre, je ne sais si j’étais heureuse. Je ne serai plus jamais ce que peut-être je n’ai jamais été. Le passé n’est rien d’autre qu’un rêve. D’ailleurs, j’ignore même si tout n’est pas un rêve. Si j’examine attentivement le moment présent, il me semble qu’il est déjà passé.
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« Si je pouvais atteindre un jour à une envolée de style qui concentrerait en moi toute la puissance de l’art – j’écrirais alors une apothéose du sommeil. Je ne connais pas de plus grand plaisir, dans toute mon existence, que celui de pouvoir dormir. L’abolition intégrale de la vie et de l’âme, l’éloignement total des êtres et des gens, la nuit sans mémoire et sans illusions – et n’avoir plus, enfin, ni passé ni avenir… »
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J'ai beau appartenir, de cœur, à la lignée des romantiques, je ne trouve de paix que dans la lecture des classiques. Leur étroitesse même, par laquelle s'exprime leur clarté, m'apporte je ne sais quel réconfort. J'en retire une impression joyeuse de vie ample, qui contemple de vastes espaces sans les parcourir. Les dieux païens eux-mêmes s'y reposent de mystère.
L'analyse hypercurieuse des sensations (parfois même de celles que nous croyons avoir), l'identification du cœur et du paysage, la révélation anatomique de tous nos nerfs, l'usage du désir comme volonté, et de l'aspiration comme pensée – autant de choses qui me sont trop familières pour, chez autrui, m'offrir nouveauté ou apaisement. Dès que je les éprouve, je voudrais, par cela même, éprouver autre chose. Et lorsque je lis un classique, c'est cet autre chose qui m'est donné.
Je l'avoue sans fard et sans honte. Nulle page de Chateaubriand, nul chant de Lamartine – ces pages qui m'apparaissent si souvent comme la voix même de ce que je pense, ces chants qui semblent si souvent m'être dits pour une meilleure connaissance – non, aucune de ces pages ne sait m'enchanter et me soulever comme le fait un simple texte en prose de Vieira, ou bien telle ode de ceux, bien rares parmi nos classiques, qui ont su vraiment suivre les traces d'Horace.
Je lis, et me voilà libre. J'acquiers l'objectivité. Je cesse d'être moi, cet être dispersé. Et ce que je lis, au lieu d'être un vêtement que je porte, que je distingue à peine et qui parfois me pèse, devient la vaste clarté du monde extérieur, tout entière admirable, le soleil qui nous voit tous, la lune qui parsème d'ombres le sol paisible, les grands espaces qui débouchent sur la mer, la masse noire des arbres qui balancent leurs cimes vertes, tout là-haut, la quiétude figée des bassins dans les jardins, les chemins couverts qui descendent, sous les tonnelles que forme la vigne, les pentes brèves des vallées.
Je lis comme si j'abdiquais. Et, de même que la cape et la couronne royales n'ont jamais autant de grandeur que lorsque, à son départ, le roi les abandonne sur le sol – de même je dépose, sur les mosaïques des antichambres tous les trophées de l'ennui et du rêve, et je gravis les escaliers, avec, pour seule noblesse, celle de voir.
Je lis comme si je passais. Et c'est chez les classiques, chez ce gens calmes qui, s'ils souffrent, point ne le disent – c'est chez eu que je me sens voyageur sacré, que je suis oint pèlerin, contemplateur sans raison d'un monde sans but, Prince du Grand Exil qui a fait, en partant, au dernier mendiant l'aumône ultime de sa désolation. 
Page 89, n° 55 – 5 avril 1930.
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La vie est un voyage expérimental accompli involontairement.
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Dormir et redormir.
De l'autre côté de moi, bien loin derrière l'endroit où je gis, le silence de la demeure touche à l'infini. J'écoute la chute du temps, goutte à goutte, et aucune des gouttes qui tombent n'est entendue dans sa chute. Je sens mon cœur physique oppressé physiquement par le souvenir, réduit à rien, de tout ce qui a été ou de tout ce que j'ai été. Je sens ma tête matériellement posée sur l'oreiller, qu'elle creuse d'un petit vallon. La peau de la taie d'oreiller établit avec ma peau le contact d'un corps dans la pénombre. Mon oreille interne, sur laquelle je repose, se grave mathématiquement contre mon cerveau. Mes paupières battent de fatigue, et mes cils produisent un son d'une faiblesse extrême, inaudible, sur la blancheur sensible de l'oreiller relevé. Je respire, tout en soupirant, et ma respiration est quelque chose qui se produit – elle n'est pas moi-même. Je souffre sans penser ni sentir. L'horloge de la maison, endroit fixe au cœur de l'infini, sonne la demie, sèche et nulle. Tout est si vaste, tout est si profond, tout est si noir et si froid. 
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La vie se ramène pour nous à ce que nous pouvons en concevoir. Aux yeux du paysan, pour lequel son champ est tout au monde, ce champ est un empire. Aux yeux de César, pour qui son empire est encore peu de chose, cet empire n'est qu'un champ. Le pauvre possède un empire ; le puissant possède un champ. En fait, nous ne possédons jamais que nos impressions ; c'est donc sur elles, et non sur ce qu'elles perçoivent, que nous devons fonder la réalité de notre existence.
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Fernando Pessoa
on les appelle "charnelles" ces personnes qui donnent tout émotionnellement, âme, coeur, corps et esprit. Celles qui, une fois entrées dans ta vie te changent entièrement, celles qu'on écoute au delà de la peau, jusqu'à l'intérieur de l'os, celles qui de la passion en font une raison, celles dont si tu tombais amoureux, eh bien, il faut d'abord en trouver !
Seulement après cela, tu me comprendras !!!
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De même que nous avons tous, que nous le sachions ou non, une métaphysique, de même, que nous le voulions ou non, nous avons tous une morale. J'ai une morale fort simple — ne faire à personne ni bien ni mal. Ne faire de mal à personne, parce que non seulement je reconnais aux autres, tout comme à moi, le droit de n'être gêné par personne, mais aussi parce que je trouve qu'en fait de mal nécessaire en ce monde, les maux naturels suffisent largement. Nous vivons tous, ici-bas, à bord d'un navire parti d'un port que nous ne connaissons pas, et voguant vers un autre que nous ignorons ; nous devons avoir les uns envers les autres l'amabilité de passagers voyageant ensemble. Et ne pas faire de bien, parce que je ne sais ni ce qu'est le bien, ni si je fais réellement le bien lorsque je crois le faire. Sais-je quels malheurs je peux entraîner en faisant l'aumône ? Sais-je quels maux je peux causer si j'éduque ou instruis ? Dans le doute, je m'abstiens. Et il me semble même qu'aider ou conseiller c'est encore, d'une certaine manière, commettre la faute d'intervenir dans la vie d'autrui.

Texte n° 208.
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Suis ta destinée.
Arrose tes plantes,
Aime tes roses.
Le reste est l'ombre
D'arbres étrangers.
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Fernando Pessoa
Oui, je sais bien
Que je ne serai jamais quelqu'un
Je ne sais que trop
Que je n'accomplirai jamais une oeuvre.
Je sais enfin
Que je ne me connaitrai jamais .
Oui, mais à présent,
Tant que se prolonge cette heure,
Ce clair de lune, ces frondaisons,
Cette paix dont nous jouissons,
Laissez-moi croire
Ce que jamais, au grand jamais je ne serai.

(" Poèmes païens ")
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Je considère ma vie comme une auberge où je dois séjourner jusqu'à l'arrivée de la dilignce de l'abîme... La nuit descendra et la diligence arrivera pour tous...
Si ce que je laisse écrit sur le livre des voyageurs peut, relu quelque jour par d'autres que moi, les distraire eux aussi pendant leur séjour, ce sera bien. S'ils ne le lisent pas ou n'y trouvent aucun plaisir, ce sera bien également.
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Chacun de nous a son propre alcool. Je trouve assez d’alcool dans le fait d’exister. Ivre de me sentir, j’erre et marche bien droit. Si c’est l’heure, je reviens à mon bureau, comme tout le monde. Si ce n’est pas l’heure encore, je vais jusqu’au fleuve pour regarder le fleuve, comme tout le monde. Je suis pareil. Et derrière tout cela, il y a mon ciel, où je me constelle en cachette et où je possède mon infini.
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