La lune. Ongle vernis d'or au contour élimé, elle décorait timidement le ciel, entre les nuages gris aux soupçons bruns et les particules d'étoiles qui poudraient l'horizon
"D'ailleurs d'être en face de ce cadavre avait déjà ouvert la vanne à palabres. Ils se déchiraient en conjectures sur la personnalité de la jeune femme, sur les circonstances du meurtre, se demandaient ce qu'il fallait que la société fasse de cette nouvelle race de gamines qui s'accordent tous les risques avec le diable pourvu qu'on leur offre des bibelots, du cosmétiques et même du chou blanc, quelle génération!"
Dèkoungbé, un des quartiers de Godomey, ville de la banlieue de Cotonou. De simple bourgade au début des années quatre-vingt, il était devenu, en l'espace d'une décennie, l'une des zones les plus populeuses et les plus tumultueuses, à mi-chemin entre village, brousse et foutoir. Foutoir, surtout lorsque arrivent les pluies, la saison dite des chiens.
D'ailleurs, avec l'orage d'il y a deux jours, la crue ne s'était pas fait prier pour s'installer. Les eaux débordaient de partout. Elles sinuaient dans les rues, croupissaient dans les maisons, faisaient gonfler les ordures en même temps qu'eles arrachaient aux latrines leurs sympathiques contenus.
Cotonou. L'air chaud. Les plaintes hâlées de la mer. Les rires contagieux des petites gens. Les rondeurs ovales de la Béninoise, en pagne ou en bouteille. Et les nuits brassées par les bruits des zomatchis, ces moto-taxis au ventre dégoulinant d'essence kpayo...
Mais à Cotonou, il y a un adage qui se vérifie toujours : "Quand la béninoise en bouteille ne vous enivre pas, c'est la Béninoise en pagne qui y parvient."
A cinq pas, une petite gargote, avec un étal éclairé par des lampes blanchâtres, l'attira. Il se dirigea aussitôt vers la vendeuse. Au passage, une amazone au décolleté sauvage et aux lèvres fumantes de clope, lui décocha un sourire-invitation. Light ignora l'appel et alla s'asseoir sur un banc de la gargote. Une fillette, aussitôt, s'approcha de lui pour prendre commande.
- Riz au poulet.
- Boisson ?
- Coca.
Devant lui, la rue gagnait en animation. A 21 heures, les filles, comme des éphémères après la pluie, sortaient du néant et venaient se positionner sur le trottoir. Il y en avait pour tous les goûts et pour toutes les chaudes-pisses.
Stéphane ne pouvait plus quitter la danseuse du regard. Après les bras, les hanches, c'était maintenant dans son entrejambe qu'elle invitait le public à plonger les yeux. Sa mini-jupe noire, plaquée sur son corps, étaient devenue accessoire sur ses longues jambes emprisonnées par ses jarretelles aux mailles de toiles d'araignée. Mais dans ses mouvements, la mini devenait hyper-mini qui se rétrécissait, se retroussait vers le haut, laissant la vedette au slip, un string dentelé, perforé au milieu de petits trous amicaux.
Le jeune Breton ne risqua pas ses yeux sur l'alentour pour se rendre compte de ce qui se passait. Sinon, il aurait vu les autres clients, debout ou affalés sur leurs chaises, en train de s'agiter, de discipliner les bosselures de leurs pantalons. Il en aurait vu d'autres, la langue sur la poitrine, en train de répandre de la bave. Certes, lui, le Breton, n'était pas encore tout liquide, mais montaient inexorablement en lui la même soif irrépressible, la même envie sauvage de savourer la danseuse jusqu'à plus sec.
Lui vint en tête cette citation piochée dans la sagesse populaire locale : "Si tu as été mordu par un serpent, le lendemain, quand tu vois un ver de terre, il faut t'enfuir."
Tu sais, l'ami, expliqua Ignace avec une pointe de fierté, ceci est mon Titanic [une pirogue]. Attention, il n'aura pas le même destin que l'autre, mais il m'aidera à transporter les cargaisons les plus envieuses d'essence kpayo [= contrefait] [...] Oui, je convoie de l'essence de contrebande depuis le Nigéria jusqu'au débarcadère de Djassin, après l'archevêché de Porto-Novo. (p.192)
un homme pleurait. il appelait la mort à la rescousse. Un homme attendait. Il demandait à être inspiré par la raison. Et le courage de tuer.