Frances Hodgson Burnett

Sarah l’avait oubliée d’autant mieux qu’Ermengarde était partie passer quelques semaines chez elle. Quand elle revint, elle ne vit pas Sarah d’un jour ou deux jusqu’au moment où elle la croisa dans un couloir, les bras chargés de vêtements qu’elle portait au sous-sol pour les repriser. On lui avait déjà appris comment faire les reprises. Sarah était pâle et semblait différente de d’habitude, elle portait la robe noire trop petite qui mettait à découvert de trop longues jambes maigres dans leurs bas noirs.

Il pensa que l’avidité de ce regard était due au fait qu’elle n’avait pas mangé depuis longtemps. Il ne savait pas qu’elle avait faim de la vie chaleureuse et joyeuse qu’on menait chez lui et dont son joli visage rose était le témoin. En réalité, elle avait terriblement envie de le prendre dans ses bras et de lui donner un baiser. Il ne vit que les grands yeux, le visage et les jambes maigres, le panier ordinaire, les pauvres vêtements. Aussi mit-il la main à sa poche. Il y trouva la pièce et s’avança gentiment vers elle.

Le lendemain de sa rencontre avec Ram Dass et le singe, Sarah était dans la salle de classe avec les petites. Elle avait terminé sa leçon et ramassait les cahiers d’exercices tout en songeant à ce que certains grands personnages avaient dû supporter à un moment où ils dissimulaient leur véritable identité. Son expression était celle qui exaspérait Miss Minchin au plus haut point et comme cette dernière se trouvait à côté, elle fonça sur Sarah et lui donna une paire de claques exactement comme l’avait fait la femme du vacher à Alfred le Grand parce qu’il avait laissé brûler des gâteaux. Sarah sursauta. Les coups la tirèrent brusquement de sa rêverie et, sans vraiment se rendre compte de ce qu’elle faisait, elle se mit à rire.

Que se serait-il passé si, au lieu de se cacher les yeux, elle les avait levés vers la lucarne, précisément à ce moment-là ? Je ne le sais pas exactement mais la fin de ce chapitre aurait probablement été différente. Car si elle avait regardé, elle aurait certainement été très surprise par ce qu’elle aurait vu. Elle aurait vu un visage sombre qui, tout proche de la vitre l’observait avec beaucoup d’attention.

Le fait est qu’elle ne regarda pas. Elle resta assise, sa tête brune enfouie dans les bras, pendant un moment. Elle s’installait toujours de la sorte quand elle voulait supporter quelque chose en silence. Puis elle se leva et, lentement, se mit au lit.

L'après-midi du lendemain, trois des membres de la Grande Famille étaient assis dans la bibliothèque du monsieur indien où ils faisaient de leur mieux pour le réconforter. Ils avaient été invités à s’y rendre très précisément pour cela. Depuis un certain temps, en effet, le monsieur vivait dans l’expectative et, ce jour-là en particulier, il attendait un certain événement avec une vive inquiétude. M. Carmichael allait revenir de Moscou où son séjour s’était prolongé de semaine en semaine. En arrivant là-bas, il n’avait d’abord pas retrouvé la trace de la famille qu’il était parti chercher. Quand il avait fini par les localiser et qu’il s’était rendu chez eux, on lui avait dit qu’ils étaient en voyage. Comme il n’était pas parvenu à les joindre, il avait décidé de rester à Moscou pour attendre leur retour.

-Les choses arrivent aux gens par hasard, avait-elle coutume de dire. Un grand nombre de hasards heureux m'ont favorisée. Il se trouve que j'ai toujours aimé les leçons et les livres, et que je me souviens facilement de ce que je veux apprendre. Le hasard a fait que mon père est beau et intelligent et qu'il peut me donner tout ce dont j'ai envie. Peut-être que je n'ai pas du tout un bon caractère mais que si on a tout ce qu'on désire et si tout le monde est gentil, alors on ne peut pas s'empêcher d'avoir un caractère heureux ?

Sara dit que cela n'a rien avoir avec le physique ou l'argent, mais avec ce qu'on pense et ce qu'on fait.

Le sentiment d'être éternel est l'un des plus étranges, des plus troublants, que l'homme puisse éprouver au cours de sa vie.

Parfois, à l'heure douce et grave où le ciel pâlit et s'éclaire, un homme se tient sur son seuil, les yeux levés vers cette merveilleuse alchimie de tons roses et rouges, prêt à crier de bonheur, suspendu à l'éclat du premier rayon, dans l'étrange, dans la quotidienne majesté du lever du jour, toujours nouvelle, toujours semblable, depuis des milliers et des milliers d'années... Il peut alors éprouver cette impression, même si elle ne dure qu'un instant.

Il l'éprouve aussi parfois quand, seul dans une forêt, il voit le soleil se coucher et ses rayons obliques répandre une lumière frisante sous les branches, une lumière d'or, douce et profonde, porteuse d'un message indéchiffrable.

Parfois, c'est dans la paix d'un ciel immense, par une nuit bleue étoilée, que vient à l'homme ce sentiment d'éternité. Parfois aussi, il passe fugitivement dans l'écho d'une musique lointaine. Parfois dans un regard.

Tant et si bien qu'ils en vinrent à rire tous les deux pour des riens, comme seuls des enfants peuvent le faire quand ils sont heureux d'être ensemble. Ils riaient tellement qu'à la fin cette petite fille délaissée, fermée, incapable d'amour, et ce petit garçon malade, obsédé par la mort et la maladie, ne se montraient pas moins bruyants, pas moins gais, pas moins expansifs que n'importe quels autres enfants à qui la nature a donné la bonne humeur et la santé.

C'est étonnant comme il faut parfois peu de temps pour que des choses extraordinaires se réalisent!

Il n'aurait pas dû se marier, dit-il d'un air sentencieux, tout en se levant pour aller chercher une allumette. Ah! les femmes! Je n'ai jamais compris à quoi ça peut bien servir!

J'ai toujours détesté les enfants, les miens encore plus que les autres. Mais celui-là je l'aime. Et il m'aime, ajouta-t-il avec un sourire amer. Je ne suis bien vu de personne, je ne l'ai jamais été, mais cet enfant, il m'aime, lui! Il ne m'a jamais craint, il a toujours eu confiance en moi. Il aurait tenu ma place mieux que je l'aurai fait moi-même. Je le sais. Il aurait fait honneur à notre nom.

Les enfants sont généralement idiots ou insupportables - ou les deux à la fois, comme les miens.

- Vous ne cessez donc jamais de songer à votre mère? demanda-t-il.
- Non, jamais, répondit Fauntleroy, et elle ne cesse jamais de penser à moi. Je ne vous oublierais pas, vous non plus, si je ne vivais plus avec vous. Je crois que je penserais d'autant plus à vous!
- Ma parole! s'exclama le comte après l'avoir observé un instant. Je crois que vous en seriez capable!

J'ai toujours aimé apprendre des choses comme celles-là, expliqua-t-il, parce qu'on ne sait jamais ce qu'on sera obligé de faire plus tard.

Ce doit être bien agréable quand tout le monde vous aime!

Elle m'a dit qu'il n'est peut-être pas si facile d'être très riche, que si l'on a tout ce que l'on désire, on risque parfois d'oublier que tout le monde n'est pas aussi fortuné.

L'enfant ne regagnait jamais le château, avec les baisers de sa mère sur les joues, sans emporter dans son coeur quelques paroles simples et pures qu'il se serait gardé d'oublier.

Elle m'a dit que c'était vrai, que nous devions chercher ce qu'il y a de bon chez les gens, et tâcher de devenir comme eux.

Vous devez être très fier de votre maison, dit-il. Je n'en ai jamais vu d'aussi belle, mais après tout je n'ai que sept ans et demi, et je n'ai pas encore vu grand-chose!