Qui connait le Haut-Adige, le Sud-Tyrol, les provinces autonomes de Bolzano et de Trente ? Qui sait qu'il s'agit, sous ces noms bigarrés, de la même région, autour des Dolomites, où l'on parle, outre l'italien et l'allemand, une vieille langue romane, l'une des plus rares d'Europe : le ladin !
On découvre tout cela, et bien d'autres choses, en lisant le roman de Francesca Melandri. On se régale de la cuisine savoureuse du Tyrol. On suit avec émotion l'histoire d'Eva, et celle de sa mère Gerda. Enfances pauvres et difficiles, dans ce village de montagne déshérité, jusqu'à l'extraordinaire prospérité surgie de l'exploitation de l'or blanc, de l'équipement en remontées mécaniques, du développement du tourisme chez l'habitant et de l'hôtellerie, où Gerda, belle fille et courageuse, a su s'imposer comme cuisinière de talent. Dans le roman, Eva, sa fille, jeune femme libérée et professionnelle, est en route vers la Calabre. Elle va voir une dernière fois celui qui fut comme son père, qui n'a pu vivre avec sa mère et qui est en train de mourir. Au cours d'un long voyage en train de mille trois cent quatre-vingt-dix-sept kilomètres, du nord au sud de l'Italie, surgissent les paysages changeants de la péninsule derrière la vitre du compartiment, avec en en surimpression ou flash-back, ses souvenirs et toute l'histoire de son Sud-Tyrol natal. Histoire douloureuse de ce territoire des marches, arrachée à l'empire autro-hongrois après la première guerre mondiale pour être confié à l'Italie, qui, avec Mussolini le colonisera sans ménagement. Histoire qui, d'une certaine manière, annonce et condense l'histoire de l'Italie toute entière. Apparaissent les figurent mythiques du sud Tyrol d'autrefois et d'aujourd'hui : Andreas Hofer, bien sûr, libérateur éphémère d'Innsbruck à l'époque napoléonienne; Silvius Magnago, gouverneur du Tyrol pendant près de quarante ans, qui réussit, au milieu des attentats qui ravagent la province, à obtenir un statut d'autonomie pour son pays; Aldo Moro, fin négociateur, "à la voie basse et éraillée", dont on retrouve en mai 1978 le corps plié sous une couverture dans une voiture en plein centre de Rome.
Le lecteur retrouvera bien d'autres évocations fortes, où se mêlent petite et grande histoire, au gré des insomnies et des rêves d'Eva, dont le brusque sommeil rythme ce roman passionnant. L'Europe, parmi d'autres bienfaits trop souvent oubliés, a aidé à panser ces blessures. Et au Sud-Tyrol aujourd'hui, les enfants parlent l'allemand et l'italien, et aussi l'anglais avec les touristes qui se pressent à Val Gardena.
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