Citations de François Reynaert (205)
Au xe siècle, Kafur, un eunuque noir, est gouverneur d’Égypte. On ignore s’il fut ou non un bon dirigeant. Il n’est resté célèbre qu’à cause des méchants vers qu’Al-Mutanabbi, un des plus grands poètes arabes, écrivit sur lui. Il avait d’abord été son courtisan. Après une brouille terrible, il se vengea en salissant la mémoire de son ancien protecteur de la pire des façons.
Moralement, l’esclavage, dans son principe même, est une horreur. Le monde entier aujourd’hui s’accorde sur ce point, au moins officiellement, puisque toutes les nations l’ont aboli.
La langue utilisée dans les textes impériaux peut être le turc ottoman, une langue savante, complexe, enrichie d’emprunts au persan et à l’arabe. Ces deux dernières langues sont utilisées aussi. Elles sont prisées par l’élite à cause du prestige de la culture perse et du poids de la tradition coranique.
Le pouvoir du sultan est absolu. Il est « l’ombre de Dieu sur terre ». Tout lui appartient. Quiconque travaille un lopin de son immense territoire n’a droit qu’à l’usufruit. Il possède droit de vie et de mort sur chacun.
Comme Dieu a donné à la main plusieurs doigts, il a donné aux hommes plusieurs voies .
Les croisades ont eu sur le monde musulman l’effet d’un coup de fouet. Elles ont réveillé une notion qui sommeillait depuis des siècles, une notion qui avait été l’un des moteurs de la grande conquête arabe des viie et viiie siècles et avait été presque oubliée depuis : le djihad. Saladin le proclame, c’est sous cette bannière qu’il veut faire l’unité de tous les croyants. Il faut chasser les infidèles, Dieu promet le paradis à celui qui meurt pour cette cause !
L’art de vivre, à la cour ou chez les plus riches, est d’un épicurisme qui rendrait fous bien des puritains d’aujourd’hui. La plupart des califes boivent de l’alcool, parfois immodérément, ce qui ne les empêche pas d’être de pieux pratiquants qui font comme il convient leurs prières et le pèlerinage. Au dire de tous les amoureux de la langue, le plus grand des poètes arabes est Abu Nuwas. Contemporain de Haroun al-Rachid, il est l’éternel compagnon de débauche de son fils Amin, qui le protège. Ses vers chantent le vin et l’amour des éphèbes avec une audace qui lui vaudrait aujourd’hui, dans bien des endroits, les foudres de la censure.
L’univers chiite est un monde duel qui oppose toujours une vérité apparente des choses à une vérité cachée. Cela se retrouve jusque dans l’appréhension du Livre saint lui-même. Ce que le fidèle y lit n’est qu’apparence. Le sens profond des mots est un mystère qui ne peut être percé que par le personnage central, l’imam, c’est-à-dire un de ces hommes « impeccables et infaillibles » que Dieu a envoyés sur terre pour guider l’humanité.
La loi puise à deux sources. Celle du Coran, d’abord. Le Prophète l’a « reçu », disent les musulmans, mais il ne l’a pas écrit. Chaque fois que l’ange Gabriel lui parlait, Mahomet récitait en public ses révélations, que ses compagnons s’empressaient de noter sur tout ce qui leur tombait sous la main, des matériaux divers, du papyrus, des morceaux d’argile, ou même, rapporte la tradition, des omoplates de chameau. Selon l’orthodoxie islamique, il faut attendre quinze ans après sa mort pour qu’un de ses compagnons, le calife Othman – le troisième de ses successeurs –, fasse rassembler ces textes épars afin d’établir du livre saint une version qu’il veut officielle et unique.
Tout bon musulman connaît la célèbre réplique du Prophète à l’homme qui lui demanda un jour ce qu’était le « meilleur islam » : « C’est de donner à manger [à ceux qui ont faim], de donner le salut à ceux que l’on connaît et aussi à ceux que l’on ne connaît pas. »
À cause de la fascination pour les pyramides, qui n’a jamais quitté l’Occident depuis le xviiie siècle, d’innombrables passionnés sont capables de se promener avec aisance dans le dédale des dynasties pharaoniques qui ont régné au bord du Nil pendant des millénaires.
Je déteste la nostalgie, cette maladie de vieillard qui étouffe l'époque. Des petits signes d'amis perdus de vue, de copains d'enfance, du lycée, de la fac, j'en reçois parfois. L'internet prête à cela. C'est rapide, sans façon, pratique. On donne trois nouvelles, j'en renvoie deux, oui tout vas bien, comme ça me fait plaisir, parfois on arrive même à se retrouver pour boire un verre, au bout du deuxième on ne sait plus quoi se dire, et voilà, on se promet de se revoir très vite, en sachant déjà qu'on ne se reverra jamais.
D’un point de vue catholique, les saints ont une grande importance théologique : ils font don au monde de l’exemple de leurs vertus, et comme on est sûr qu’ils sont au paradis, ils peuvent servir aux fidèles d’intercesseurs auprès de Dieu.
On comprend rarement les choses quand on les vit […] souvent, les contemporains d’une époque donnée souffrent de ce que l’on pourrait appeler l’angle mort, c'est-à-dire l’incapacité à voir le problème qui, un peu plus tard, paraîtra énorme, l’incapacité à sentir la fumée d’un feu qui couve et qui est prêt à flamber
Rien n’est plus trompeur que l’histoire comme on la raconte, rien n’est plus prudent que de s’interroger face à n’importe quel récit pour savoir qui l’a exhumé et pourquoi.
Le public considère souvent l’histoire comme une science exacte. Tous les historiens savent à quel point elle est une science humaine, soumise aux obsessions, aux tabous, aux structures mentales d’un moment. Chaque époque a inventé sa façon de raconter l’histoire.
Les français […] dès lors qu’il s’agit de leur histoire, on les retrouve accrochés à de veux clichés patriotards qui ventent la légende d’une France éternelle.
Entre 1945 et le début du XXIème siècle, la société française s’est considérablement transformée […] Elle est devenue un Etat urbanisé, jouant son développement sur le secteur tertiaire, où la révolution individualiste a rendu les mœurs plus libres, les solitudes plus grandes et les solidarités relâchées […] Elle est un pays riche et puissant qui n’arrive pas à guérir cette plaie ouverte depuis près de quatre décennies : le chômage de masse, qui rejette sur le bord du chemin une part toujours plus grande de la population […] Elle est en paix, solidement allée à ses voisins par une Union européenne qui devrait enthousiasmer, et pourtant ennuie.
Le fanatisme islamiste ne tombe pas du ciel, si l'on ose écrire. On l'a vu, il trouve son origine dans la succession de crises que le monde musulman a connues depuis deux siècles. Il est donc clairement une maladie de l'islam, exactement comme l'Inquisition espagnole fut un dérivé pervers du christianisme, et le nazisme un cancer propre au XX siècle occidental. Est-ce pour autant qu'il faille résumer le christianisme aux tenailles dont se servaient les bourreaux de Torquemada, et la modernité européenne à l'incendie du Reichstag ? Comment ne pas voir que la majeure partie des victimes de ces errements européens furent des Européens, comme la majorité des victimes de l'islamisme sont musulmanes ?
Faire porter la responsabilité des folies d'extrémistes sur l'ensemble d'une communauté est non seulement une erreur mais aussi une faute. La stratégie terroriste ne court qu'après un seul but : semer la panique. Les extrémistes cherchent à déstabiliser l'adversaire pour le forcer à rejeter les musulmans en bloc, de manière à pousser ceux-ci dans les bras des fanatiques qui prétendent les représenter. Il faut tout faire pour éviter ce piège grossier.
L'humanisme, en plaçant l'Homme au centre de la création, lui donne une position de domination sur la nature qui, contrairement à la place qu'elle tient dans notre monde, n'a rien de sacré.
Les désastres écologiques qui peuvent menacer jusqu'à l'existence du monde montrent à quelles extrémités cette domination mal maîtrisée peut aboutir.