Rencontre avec Benoît Peeters, l'inclassable. Scénariste de bandes dessinées, parmi lesquelles « Les Citées obscures », « Revoir Paris » réalisées avec son confrère et ami François Schuiten, qui ouvrent une voie royale aux utopies.
Grand amoureux d'Hergé qu'il a lu et relu, si bien qu'il a décidé de faire une thèse sur les bijoux de la Castafiore sous la direction de Roland Barthes. Sémiologue, romancier, il publie à la rentrée un essai sur Alain Robbe-Grillet « L'aventure du Nouveau Roman » aux Éditions Flammarion. Il a entre autres écrit « 3 minutes pour comprendre les 50 moments-clés de l'histoire de la bande-dessinée » publié aux Éditions le Courrier du livre.
Passionné par la création et les récits mixtes, Benoît Peeters n'envisage pas l'art sans transmission, c'est pourquoi il devient le premier titulaire d'une chaire dédiée à la bande -dessinée au Collège de France.
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Rien de plus effrayant que l'inconnu,
rien de plus dangereux que l'ignorance.
« Jette les yeux sur moi, ô mon fils »…Ça ressemble au texte qu’on retrouve sur la stèle des rêves, au pied du Sphinx de Gizeh. Il s’agit de la parole du dieu Ré s’adressant en rêve à Thoutmôsis IV pour lui demander de l’aide. Peut-être que ce rêve est une sorte d’appel à l’aide…
Il faut être toujours ivre. Tout est là: c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Ce n’est pas un monde parfait qui nous est présenté (on y fait la fait la guerre, il y a des esclaves, la justice punit lourdement), mais un état rigoureusement organisé par les hommes de façon à ce que les vertus l’emportent sur les vices, que règne l’égalité et que le pouvoir soit exercé sous le contrôle des citoyens.
(François Rosset, à propos de l’Utopia de Thomas More)

D’après vous, où se niche l’âme d’une ville ?
C’est ce qu’on ne voit pas ! C’est pour cela que j’aime le dessin, car il apporte quelque chose que la photographie ne peut pas nous donner. Le dessin révèle, il sublime; pour exister, il doit trouver la dimension invisible. Et Bruxelles est une des villes les plus intéressantes quand on s’intéresse à ce qui ne se voit pas. Le charme de Bruxelles ne se donne pas comme ça, il faut du temps, contrairement à Paris qui est grandiloquente, mais qui a tendance à cacher la misère sous le tapis. Bruxelles, c’est le contraire, on n’y a pas éjecté les communautés fragiles en banlieue, elles vivent au coeur de la ville. En s’y promenant, on voit des gens, des maisons, des jardins et des personnages formidables… Et puis c’est une ville d’artistes, car Bruxelles est très ouverte et cosmopolite, elle est accueillante pour les artistes, ils s’y sentent bien. L’âme d’une ville, c’est quelque chose de troublant et subtil. C’est très compliqué de faire visiter Bruxelles à un touriste, par exemple. On a envie de lui dire « Ne regarde pas par là, mais plutôt par ici ». Alors qu’en fait, on doit accepter qu’elle est comme elle est: un chaos de bric et de broc qui est au final sa plus grande richesse. Elle est à l’image du monde qui est le nôtre. Bruxelles nous projette au coeur même de notre époque avec ses tensions et ses contradictions. C’est pour cela que je l’aime tant !
[Interview publiée dans "So Soir", supplément du journal "Le Soir", 18/12/2021]
Peut-être suis-je simplement tombée au mauvais moment... je ne peux pas croire que les parisiens soient tous aussi agressifs.
Le sentiment que nous imposait cette vision était celui d'une forme d'organisation humaine qui avait disparu mais dont les vestiges, bien loin de présenter des caractères archaïques, montraient au contraire tous les traits d'une évolution technique qui égalait ou même dépassait tout ce qui nous était familier. Il était à peu près inconcevable qu'en un site ignoré de tous se soit développée et éteinte une civilisation à ce point semblable à la nôtre, mais qui en avait poussé plus loin encore les performances. Une autre hypothèse consisterait à admettre que nous avions sous les yeux les restes des établissements, gigantesques, de pionniers venus de notre monde dont l'aventure tenue secrète avait été interrompue pour une raison qui nous échappait encore. Et, dans ce cas, nous étions en train de contempler les ruines de notre propre futur.
Dès qu'on se risque à articuler des phrases, on entre dans une tâche ou un processus sans fin. Ou bien on s'expose à la censure qui vous coupe la parole, car nous vivons sous le joug d'une tyrannique exigence de vraisemblance et n'acceptons de reconnaître que la banalité la plus familière.

B.P. : Quels sont tes premiers souvenirs de dessin pendant l'enfance ? Quel genre de dessins faisais-tu ?
F.S. : Les dessins dont je me souviens, ou dont j'ai retrouvé la trace, sont de deux types. Il y avait bien sûr des dessins d'imagination semblables à ceux de beaucoup d'enfants : des voitures, des tanks, des bonshommes... Mais il y a eu aussi, très tôt, des dessins d'observation. J'ai beaucoup dessiné la maison dans laquelle je vivais, une maison que mon père avait fait construire d'après ses propres plans et qui avait une forme simple, avec une immense toiture ; elle était donc assez facile à dessiner. Le dessin dont je me souviens le mieux représentait le cèdre du Liban qui était dans le jardin. J'avais passé beaucoup de temps devant cet arbre, et quand mon père a vu le dessin, il a été impressionné. Il m'a dit : «Tu l'as vraiment regardé... Je crois que tu deviendras dessinateur.» Il l'a dit de façon assez solennelle et bien sûr c'est quelque chose qui m'a marqué.
B.P. : Quel âge pouvais-tu avoir ?
F.S. : Six ou sept ans, je crois... Il avait été frappé par la manière dont j'avais représenté les branches qui descendaient vers le sol en s'entrecroisant, un peu comme des mains qui se frôlent. Pour lui, ce côté très observé était le signe qu'il y avait là autre chose qu'un joli dessin d'enfant... Mon père connaissait la valeur du dessin d'enfant, son audace sa liberté, la force qui est parfois la sienne, mais il n'avait pas une admiration béate pour autant. Il pensait que le dessin d'enfant avait aussi ses clichés et pouvait vite rencontrer ses limites. Comme il sentait que j'étais mordu, il m'a incité à apprendre, à progresser, à maîtriser des outils différents. Il me donnait des exercices : par exemple, il me montrait un dessin, le retournait et me demandait de le reproduire. Il me poussait aussi à utiliser de nouvelles techniques : le papier découpé, l’aquarelle, etc.
Il n'y a pas de présence sans trace et pas de trace sans disparition.