Avec Patrick ARTUS, Françoise BENHAMOU, André CARTAPANIS, Hippolyte D'ALBIS
Dans l'arène où sévissent les populistes, la question économique est au coeur de la dénonciation des élites et de « leur » politique dictée par les intérêts bien compris des banques et des marchés, elle serait favorable à une globalisation tous azimuts, européenne avant d'être française, indifférente aux effets de la désindustrialisation, de la pauvreté, des inégalités.
Or l'argumentaire économique des populistes n'est jamais analysé comme tel, jamais confronté non plus aux expériences politiques que ces derniers ont pu soutenir.
Cette session présentera un livre publié par dix-sept économistes, tous reconnus dans leur domaine, visant à analyser et déconstruire toute une palette de thématiques chères aux populistes, du protectionnisme aux migrations. Ainsi se trouvent démontés des « faits », des « données », voire des « analyses », qui relèvent en réalité du storytelling, de la mauvaise foi, d'éléments chiffrés piochés çà et là en fonction de leur capacité à conforter des a priori et des ambitions politiques.
Ce livre intitulé "Des économistes répondent aux populistes" a été publié par les Éditions Odile Jacob.
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Herbert Simon, prix Nobel d'économie en 1978, mit en évidence le paradoxe qui associe la richesse de l'information à la pauvreté de l'attention : "Ce que l'information consomme est assez évident : elle consomme l'attention de ses destinataires. Par conséquent, l'abondance d'information entraîne la pauvreté de l'attention et le besoin de répartir efficacement cette attention parmi la surabondance des sources d'information."
L'attention est rare et chère, tandis que l'information est prolixe et de moins en moins chère. L'attention est la matière première de l'économie culturelle.
Passer de la liseuse à la tablette n'est pas indifférent.
La liseuse propose la duplication de l'expérience de lecture du livre papier, tandis que la tablette, qui supplée le jouet au pied du sapin au moment des fêtes, met le texte en concurrence avec le jeu, et le livre avec le journal, dans un contexte où l'inattention prévaut.
Et l'inattention est le nerf de la guerre numérique
Le numérique entretient un rapport ambivalent au temps. Sur l'étagère virtuelle, la place est infinie. La durée de vie des oeuvres n'a donc pas de terme. C'est le fantasme de la fin de la rareté des espaces de présentation.
Mais le temps du numérique est aussi un temps court. La vie des oeuvres est bornée par l'exigence d'immédiateté, l'impératif de l'urgence, le réflexe du zapping. Le numérique allie le sentiment de l'infini et celui de l'immédiat.
Cette tension entre des contraires se retrouve du côté de la création et de sa relation au marché. L'écriture est lente. La reconnaissance est rarement rapide. Mais le marché appelle l'instantanéité, la rencontre d'une offre et d'une demande en un moment donné.
Les glissements progressifs de l'acte d'achat, de l'unité à l'abonnement et au streaming, à l'oeuvre en d'autres secteurs culturels, pointent aussi du côté du livre. Emportant avec eux de nouveaux modèles économiques où l'accès prévaut sur l'acquisition, ils questionnent toute l'organisation de la chaîne du livre.
Des textes faciles, collages de morceaux choisis sur la Toile, conduisent à interroger les marges du droit d'auteur. J'ai Lu publie "Chers voisins: mots doux & petites querelles de voisinage" qui reprend des messages de Tumblr. Les droits vont aux gestionnaires des sites, les internautes ayant accepté de la abandonner lors de leur inscription. Mais tous les éditeurs ne sont pas aussi scrupuleux. En janvier 2014, Larousse doit arrêter la commercialisation des "Perles des tweets et du Net". L'éditeur avait jugé superflu de contacter les auteurs des messages compilés. L'éditeur s'était pour l'occasion transmué en apprenti pirate, prêt à de petits compromis avec le droit moral dès lors que le texte, disponible sur le Net, n'appartenait plus à personne. L'affaire montrait surtout à quel point les notions d'auteur, d’œuvre, d'originalité prennent l'eau dans la vie numérique.
Les éditeurs sont partagés entre tradition et innovation.
Leur prudence s'explique aisément : crainte de creuser sa propre tombe en entrant dans un marché où les expériences de la presse et de la musique n'incitent guère à se précipiter, volonté de défendre les libraires qui représentent encore l'essentiel des ventes, souci de préserver les marges des filiales de diffusion-distribution sensibles à la baisse des volumes, prudence dans un contexte économique difficile.
Comment dessiner des compromis recevables entre des objectifs souvent en tension : incitation à la prise de risque, recherche de l'excellence artistique, démocratisation, équilibre financier des établissements, entrée dans l'ère numérique, sauvegarde des emplois artistiques, adhésion à des valeurs universalistes, respect des diversités ?
Le streaming sonne la révision de la notion de propriété des biens culturels : l'achat est celui d'un service et non plus d'un bien.
Le streaming fait basculer la consommation plutôt du côté du robinet qui coule que de celui des bouteilles achetées à l'unité.
Le numérique permet-il de dépasser les frontières géographiques pour proposer des titres sur des bassins linguistiques ?
L'influence de la France en Afrique francophone pourrait transiter par la construction d'un marché assorti d'une tarification adaptée au pouvoir d'achat local.
Ces deux voies, celle du multilinguisme et celle de la francophonie, n'ont pas encore été assez exploitées.
A rebours de l'idée trop simple de l'équivalence entre le numérique et le global, les barrières linguistiques et les logiques nationales sont encore tenaces.
La révolution numérique apporte une dimension nouvelle à ce programme : elle porte en elle l'appropriation des œuvres par les internautes, leur capacité à les modifier, à les partager, à passer de consommateur à prescripteur et coproducteur, brouillant les clivages traditionnels entre des fonctions sur lesquelles étaient adossés les modèles économiques antérieurs.