Retrouvez le live du Camion qui Livre pour cette quatrième étape 2019 à Collioure avec Frédéric Couderc et Mickaël Thévenot.
L'hôpital ressemble à un parc de montagnes russes, un train lancé à toute allure, qui hésite à l'aiguillage entre espérance et abattement.
Nina venait des photos terrifiantes affichées sur les mirs de Hambourg, des tirages effroyables, réalisés à la libération des camps d’extermination, pour que chacun mesure l’étendue des crimes hitlériens, ces hommes qui avaient des loups dans la tête…
Dans le musée étincelant de soleil, Ariane ne fut d’abord qu’une illusion. À sa place, Gabriel imagina Véro, ses yeux tendres et ses lèvres pulpeuses. Cette femme lui ressemblait tant qu’on eût dit sa fiancée, à l’époque où il étudiait aux Beaux-Arts : sa silhouette haut perchée sur ses talons Bally, sa façon de croiser les jambes, de sourire, tout cela le percutait de plein fouet. Malgré les années, ses souvenirs le pétrifiaient encore. Et puisque l’horreur s’infiltrait toujours jusqu’à l’os, il endura un instant sa terreur, le cauchemar de tout ce qu’elle avait vécu.
Gabriel crispa les poings pour ne pas trembler comme une feuille. Il jeta un coup d’œil circulaire à la mezzanine et tâcha de se reprendre en fixant la mer par-delà le port et la capitainerie. Il releva la tête et inspira profondément. C’est ainsi qu’il repoussait les courants du passé et retrouvait son souffle. Lui parvint un parfum de femme, des effluves de fleurs blanches. Bientôt l’odeur recouvrit tout. Elle prit le pas sur ses rêveries. Véro se dilua. Ariane s’imposa dans son champ de vision.
Ils se trouvaient à moins d’un mètre l’un de l’autre, admirant le tableau d’un figuratif argentin. Chacun de leur côté, ils détaillaient avec attention les dockers à l’ouvrage, les grues, les bateaux, les sacs de blé et de charbon. Rien ne manquait à ce spectacle coloré du Nouveau Monde parti pour ravitailler l’ancien.
– Le grupo de La Boca, murmura soudain Ariane.
Intriguée, elle se pencha pour lire une notice à moitié retranscrite, accrochée au panneau mobile avec ce titre énigmatique : « Quand vous traversez le port, évitez les condamnés à mort ! »
C'est uniquement quand les négationnistes ont commencé à dire que les chambres à gaz n'avaient pas existé que j'ai commencé à témoigner. Je ne pouvais pas me taire car cela revenait à tuer mes camarades une seconde fois.
Nous [les écrivains] traversons d'intenses phases de doute, et à présent c'est mon "sujet" qui me préoccupe. La narration viendra d'elle-même ; avec l'expérience, la trame n'est pas ce qu'il y a de plus compliqué. Le signal d'alarme, qui pourrait me clouer sur place, c'est un avertissement, disons, moral. Je ne veux pas d'un résultat sentimental. Je ne veux pas inscrire ce projet dans le flot des livres qui esthétisent la Seconde Guerre mondiale.
Cette période de hauts et de bas dura tant bien que mal jusqu'aux législatives du mois d'août 1949 remportées sur le fil par les conservateurs. Car une fois ce résultat acquis, Smith lui expliqua un beau matin qu'il souhaitait passer à autre chose. Il ne concevait pas de passer du temps dans un pays «normal». Avant de s'envoler pour promener son regard perçant en Indochine, il plissa les yeux dans la fumée de sa cigarette à l'image d'un Clarke Gable et laissa Viktor s'en retourner à Hambourg sur ces mots:
— Gamin, je crois que tu as un bel avenir devant toi.
À Hambourg, Viktor fit le tour des rédactions. Durant deux années il trouva de bons angles et sa carrière de pigiste décolla. Il avait le chic pour dénicher les bons faits divers, des histoires qui racontaient en creux la nouvelle société allemande, déballaient la violence sourde d’un pays qui n'était pas seulement vaincu, mais encore un vaste marécage hitlérien qui comptait en son sein des milliers et des milliers de psychopathes. p. 253
Pourquoi oublions-nous ? Pour nous protéger ? Qu'est ce qui nous empêche d'aller voir et de régler son compte au passé si tout est là, à portée de connexions entre neurones ? Le cerveau enfouirait-il des scènes douloureuses des les tréfonds de la mémoire pour nous permettre d'avancer cahin-caha sur le chemin de l'existence ?
Viktor respira un bon coup, il gambergeait, s’apprêtait à leur adresser la parole, mais quelque chose le retint. Comme avec Koch, il se rendit compte qu’il ne maîtrisait pas les codes et les faux-semblants des expatriés d’Accra. Il jouait gros à s’exposer aussi simplement. Il tourna les talons et se dirigea vers le salon en prêtant attention à ces notes de piano qui s’envolaient pour se perdre dans les ombres du jardin. Une interprétation s’achevait, une autre commençait. Il reconnut sans hésitation les premières notes du Nocturne no 20, op. Posthume. C’était l’air de Vera. On jouait partout Chopin, mais la première chose à laquelle il pensa, bien sûr, fut qu’elle lui adressait un signe
Il fit jouer on cigare entre ses doigts et s'en débarassa une fois encore sur la chaussée. Un geste assuré, un comportement de vainqueur. Comme rien de lui résistait, il se pencha vers moi pour m'embrasser. Instinctivement, je me laissai faire et entrouvris légèrement les lèvres. Les yeux clos, je goûtais pour la première fois aux contours de sa bouche. L'amour tombait comme foudre, au premier baiser, suivant le principe de la réaction en chaîne de la bombe atomique.
Va... Va vers le ciel, vole vers les étoiles, disparais dans l'invisible. Ne t'en fais pas, trop de gens t'aiment, nous ne t'oublierons jamais.