On se regarde, sans parler : les yeux ne mentent pas. Jamais.
Je n’ai plus la force de lutter seule. J’ai mal, et pourtant je ne souffre pas. Je ne sens plus mon corps, je n’entends plus mon cœur…
La mémoire olfactive est une garce qui aime torturer le corps à laquelle elle est rattachée.
Les rafales violentes semblent vouloir m’apporter l’oxygène qui me manque : je suffoque. Pour la première fois depuis cinq ans, je me sens libre. Libérée. J’ai souvent fantasmé cet instant, celui où, prise d’un courage qui me faisait défaut jusqu’alors, j’oserais m’affranchir de ces chaînes, invisibles mais bien réelles. Je viens de perdre mon emploi, Greg m’a quittée par message après deux ans de relation, maman est morte il y a un an. Ma vie part en ruine. Pourtant, je me sens libre. Libérée. Dans un numéro d’équilibriste, je profite de l’abri que m’offre le petit préau pour troquer mes stilettos contre une paire de baskets bien plus confortables.
Je ne regrette rien, pas même d'avoir pris tout ce temps avant de sauter le pas.
Toutes ces étapes, bien que désagréables, douloureuses pour certaines, m'étaient nécessaires. Toutes ces épreuves que j'ai traversées sont autant de pièces du puzzle de cette nouvelle vie que j'ai construite, à laquelle je me suis finalement autorisée à rêver.
Accepte ce qui est, laisse aller ce qui était, aie confiance en ce qui sera. Cette citation du Bouddha, peinte à même le mur qui me fait face, me rappelle, chaque fois que j’entre, le chemin déjà parcouru autant que l’avenir qui s’offre à moi. Je sais maintenant, à la lueur de ceux que j’ai surmontés, qu’aucun obstacle n’est infranchissable. Ils ne sont que des pierres dont je me sers pour construire le pont qui me mènera à l’étape suivante. J’accueille chaque petit bonheur comme un cadeau et, plus que tout, je m’autorise enfin l’insouciance dont la vie m’a privée si longtemps. Le temps obéit à ses propres règles ici. La seule que je me fixe désormais est de n’en suivre aucune, sinon celle de mes envies.
Bip... Bip… Bip…
Je ne vois rien. Pourquoi… Où suis-je ? Au milieu de ce silence assourdissant, seul ce bruit monotone m'indique que je ne suis pas seule. Il y a quelqu'un. Forcément. Quelque part.
Bip… Bip… Bip…
Ce son, encore et toujours, qui se répète à l'infini… Je rassemble mes souvenirs, je me concentre sur ce métronome qui semble rythmer mon existence. Depuis quand ? Pourquoi ?
[…]
Bip bip bip bip bip bip bip
Le rythme du bruit mécanique s'accélère à mesure que je me noie dans mes larmes invisibles. Je suffoque, j'abandonne… Je n'ai plus la force de lutter seule. Pourquoi personne ne vient à mon secours ? Je… Je… J'ai mal et pourtant, je ne souffre pas. Je ne sens plus mon corps, je n'entends plus mon cœur…
Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip
Je m'attendais à une réflexion sur l'heure très matinale que je lui impose, et m'étonne qu'elle n'en fasse pas mention.
- Je suis sûre que, quelle que soit la surprise que tu me réserves, elle justifie largement le fait de me lever avant les poules. Ta vie en dépend, mais pas de pression, hein !
Elle dit ça sur un ton très neutre, et d'un air tout ce qu'il y a de plus sérieux, ce qui, la connaissant, traduit une colère froide qu'elle tente de maîtriser. Evidemment, j'explose de rire au moment où je croise le regard de Bruno, qui m'imite lorsqu'il me donne l'accolade pour me saluer.
- Bon courage, mon vieux, me glisse-t-il à l'oreille. Je préfère être à ma place qu'à la tienne.
- Oh, ça va les gars, je vous dérange pas ? intervient Anna qui a tout entendu.
Il faut savoir apprécier ce que la vie nous offre au lieu de pleurer ce dont elle nous prive.
Mes petites rondeurs adolescentes me complexaient, même si, objectivement et avec du recul, je les trouvais plutôt bien placées. En tout cas, Cécile avait réussi à m’en convaincre. Je ne suis ni grande ni petite : un mètre soixante-six. Et demi, j’y tiens. Non, ma particularité à moi, mon vrai atout charme, je le sais désormais, ce sont mes cheveux. Mon complexe d’enfance, qui m’a valu tant de moqueries tout au long de mes années de primaire. Jusqu’à ce fameux jour où Cécile m’a montré comment apprivoiser ma longue crinière rousse, comment dompter mes boucles indisciplinées à coups de fer à lisser.