Citations de Gérald Tenenbaum (58)
Lazare travaillait et souffrait dans la durée. Comme une litanie, lui virevoltait en tête ce passage du livre de Job, cité à foison par son oncle Gilbert : "Qu'il soit éprouvé jusqu'au bout". Dans le texte fondateur, le bout, autrement dit la limite humaine du supportable, possède un sens précis, il suffit de mener la lecture à son terme. Mais où se situait la limite dans sa situation ? Quelle était la nature de la condamnation, et jusqu'où était-il censé mener ce combat éperdu et muet".
"Il serait facile de se réfugier dans l'écriture, de dissoudre l'indicible dans le papier, de marquer la pause en posant ses marques.Mais les mots restent des pierres isolées sur un chemin impossible à tracer.Des phrases , parfois des membres de phrase viennent lui chanter dans la tête. Ils sont là , en elle, comme les relents d'une oeuvre qu'on a connue jadis, comme les bribes d'un poème appris par coeur, sur lequel les années ont tant pesé qu'on a renoncé à en retrouver le fil."
Sur l'avenue Córdoba, qui incise le quartier des Colegiales, les frênes blancs bourgeonnent. On dit que question folioles, ces arbres-là préfèrent l'impair : ils vont par sept, comme les mètres de Verlaine. L'aspiration, par nature, se nourrit du déséquilibre.
André ferme les yeux, et sourit aux anges - on s'interroge bien sur leur sexe, pourquoi pas sur leur parfum ?
Quand on part pour une semaine, on se charge toujours trop, mais quand on part pour la vie, on va sans peine à l'essentiel.
Si le chemin de l'autre passe par mon propre jardin, que suis-je qu'il n'est pas ?
Qu'est-il que je ne suis pas ?
Que suis-je finalement que je ne sais pas ?
Certains agencements de notes ne se contentent pas de faire vibrer les tympans, ils mettent l'âme en mouvement.
- Pour le maître, et je crois me souvenir que Maïmonide a été dans le même sens, les migrants doivent conserver trois attributs essentiels : les vêtements pour se couvrir, les mots pour se comprendre et les noms pour se penser.
Peut-on porter le deuil comme on porte un parfum ?
La mémoire, pour moi, c’est comme un tremblement, voyez-vous, un aller-retour entre ce qu’on a vécu et ce qu’on vit, voire entre ce qu’on aurait pu et ce qu’on pourrait encore vivre.
Quels rapports cachés entre les mots choisis par les mathématiciens pour désigner leurs projections mentales et leurs avatars communs ? Pourquoi tel mot plutôt que tel autre ? Que cela nous révèle-t-il de la pensée mathématique ? Que cela exprime-t-il des couches profondes de nos paroles ?
« Jusqu’à combien sais-tu compter ? » demandent les enfants avant d’apprendre, presque déçus, qu’il n’y a aucune limite. Au début, ils n’y croient pas tout à fait. Ensuite, ils continuent à se méfier. Peut-être toute leur vie.
Alors que Joseph [...] vient inviter Graciela à danser un tango, Keïla pose en silence un regard intérieur sur le temps à perdre et les occasions manquées.
Cependant, les projets des hommes se heurtent à la fatalité comme les vagues à la falaise. Frapper le roc ne saurait l'ébranler ou l'émouvoir, ce qui est gravé dans la pierre ne peut être changé.
Les regards se croisent comme on croise le fer, les arrière-pensées se toisent. Finalement, la trêve est conclue.
Mon père vendait des bijoux pour envelopper la lumière, le tien des vêtements pour envelopper le corps, toi tu composes des vies pour envelopper les âmes.
Rock de fusion, douce expression. Keïla se dit en aparté que la fusion est probablement le sort ultime de toute activité humaine. A la conclusion de l'aventure, les corps eux-mêmes se rassembleront avec les éléments donc ils sont constitués et les âmes se réuniront. L'impossible quête trouvera enfin son terme.
Le champ des possibles est un univers. Le hasard, c'est ce que nous pouvons en attraper.
Ceux qui n'ont pas reçu leur temps sont piégés dans le temps : où iraient les jours qui n'ont pas été vécus, où iraient les joies, où iraient les peines, et où iraient les enfants qui n'ont pas été engendrés ?
Les sens de Samuel sont en éveil, à fleur de peau, comme ce parfum qu'elle porte et qui lui donne à la fois l'envie de laisser faire et celui de prendre l'initiative.
Il y a si longtemps qu'il ne s'est pas ainsi senti exister. Il en va de sa perception de la vie comme de celle de la respiration, elles ne sont palpables qu'à certains instants privilégiées. Lorsque vie et parfum se conjuguent, l'instant devient magnétique et le temps cristallise.