Citations de Gérard Bessette (21)
Le désoeuvrement explique bien des choses.
"Il est étonnant comme le temps passe vite quand on ne fait rien. Pourvu qu'on ne soit pas libre. Je veux dire pourvu qu'un "devoir" vous force à rester en place. Autrement, ça ne tient plus. Ainsi moi, si je n'étais pas obligé de travailler à la librairie Léon pour gagner ma vie et qu'on me demandât de passer des heures d'affilée perché sur un tabouret, j'en serais complètement incapable."
"Selon moi, un lecteur sérieux, c'est celui qui lit consciencieusement les livres qu'il achète, moins pour passer le temps ou pour y découvrir des obscénités que pour y chercher des idées, des théories, des critiques, peut-être contraires à ses propres conceptions, mais susceptibles de le faire penser."
10 mars
Ma première démarche en arrivant à Saint-Joachim, ç'a été de me chercher une chambre. Il ne me restait qu'une cinquantaine de dollars et je ne voulais pas coucher à l'hôtel. Une fois installé là, je me connais, j'y serais resté indéfiniment.
En descendant de l'autobus, j'étais très fatigué. Je suis entré dans le petit restaurant qui sert de terminus pour m'acheter des cigares. Comme la vendeuse me rendait ma monnaie, j'ai aperçu, sur une étagère, l'hebdomadaire local, le Courrier de Saint-Joachim. Je l'ai pris. Il datait de trois jours. Ça n'avait pas d'importance.
Je suis allé m'asseoir sur un des bancs de bois dans le coin du restaurant et j'ai ouvert la feuille à la section des petites annonces.
(...)
J'ai noté les adresses dans un calepin, puis j'ai demandé à la serveuse le plan de la ville. Elle a paru surprise puis, après s'être gratté le front, elle a fouillé dans un tiroir rempli de paperasses, dont elle a finalement extrait une carte jaunie. Elle a cru nécessaire de m'avertir qu'elle datait de plusieurs années. Elle a précisé que je pourrais m'en procurer une récente à la Librairie Léon. C'était l'établissement où je devais me présenter le lendemain en qualité de commis. Je ne tenais pas m'y rendre à l'avance. J'ai assuré la serveuse que le vieux plan ferait très bien l'affaire.
Je suis retourné m'installer dans un box à table de formica où j'ai étalé la carte de Saint-Joachim. Ce n'est pas une ville à topographie compliquée. Dans une direction nord-sud, parallèlement…
Sa réplique claqua comme un fouet. Il criait à tue-tête. C'était fort désagréable.
-Pourquoi ne m'avez-vous pas averti de sa visite ici vendredi, espèce de... de...
Je ne lui laissai pas le temps de me faire savoir à quelle espèce, selon lui, j'appartenais.
Le Libraire;
"Elle s'enquit alors si, à mon avis, les Joachinois avaient un parler spécial. J'exprimai l'opinion que chaque ville, chaque patelin possédait ses idiotismes, son accent, mais que le parler de Saint-Joachin ne me paraissait ni plus ni moins original que les autres. Un Français s'en trouverait peut-être un peu dérouté, mais je n'éprouvais, moi, nulle difficulté à comprendre. J'ajoutais toutefois que j'étais fort mauvais juge en cette matière, attendu que j'écoutais toujours le moins possible ce que les gens me disaient".
"-Je ne crois pas que les livres doivent être rangés aussi méticuleusement que des objets de piété. Autrement, n'est-ce pas, ça pourrait effaroucher les clients. Ils auraient peur de bouquiner, de déranger l'ordonnance...Evidemment il ne faut pas non plus tomber dans l'excès contraire. Les clients doivent pouvoir trouver ce qu'ils cherchent." (p. 28-29)
"-Tu aimes toujours les livres ? me demanda-t-il. Esquissant une moue d'indifférence, je lui déclarai que les livres brûlaient moins longtemps que le charbon, mais que, faute d'autre combustible, il m'arrivait de m'en servir." (p. 20-21)
Au bout d'un certain temps, M. le Curé est descendu et m'a demandé de la même voix confidentielle si nous n'avions pas en stock “ certains livres dangereux ”. Je l'ai regardé l'air perplexe en relevant les sourcils et l'ai prié de m'éclairer sur ce qu'il entendait par “ livres dangereux ”. Un soupçon d'impatience a percé dans sa voix : “Vous savez bien ce que je veux dire, voyons! Des livres qu'il ne faut pas mettre entre toutes les mains.” Je lui ai répondu que je n'en savais rien, attendu que je ne lisais pas moi-même et que, même si j'avais lu, je n'aurais pas osé porter de jugement là-dessus. Il m'a fixé quelques instants sans bouger. Il se demandait sans doute si j'étais aussi stupide que j'en avais l'air.
Il faut dire aussi que chez mes confrères, on m'a toujours pris pour un excentrique, un cynique. Si bien que je peux leur faire les pires impolitesses sans qu'ils s'en formalisent. Il fut un temps où je prenais plaisir à forcer mon personnage, car il est agréable de pouvoir injurier impunément les gens.
- Vous savez bien ce que je veux dire, voyons ! Des livres qu'il ne faut pas mettre entre toutes les mains.
Je lui ai répondu que je n'en savais rien, attendu que je ne lisait pas moi-même et que, si j'avais lu, je n'aurais pas osé porter de jugements là-dessus. Il m'a fixé quelques instants, sans bouger. Il se demandait sans doute si j'étais aussi stupide que j'en avais l'air.
Pour la première fois depuis des mois, à moins que ne fût des années, j'éprouvais la naïve impression que je pouvais encore servir à quelque chose; remplir un rôle utile. Ce n'était pas raisonné, évidemment. Mais j'avais beau me dire que c'était le scotch, un reflux de mon exaltation de tout à l'heure; me répéter qu'il fallait tuer cette illusion dans l’œuf, rien n'y faisait.
"toutes les lectures qu'on aime ne sont rien d'autre que des prétextes à projection"
-Carco, me rétorqua-t-il, n'est pas à l'index. Il n'est mentionné ni dans Sagehomme ni dans Bethléem... Il est vrai que les éditions que j'ai sont plutôt vieilles...
Il s'interrompit pour planter ses regards dans les miens. Il s'attendait sans doute à une réaction révélatrice. Mais comme ce renseignement ne m'intéressait en rien, je me contentai de prendre une nouvelle gorgée de scotch. C'était du bon.
Le Libraire;
"Grâce à ma visière, on croit maintenant que je lis. Il n'y a que Mlle Placide qui ne soit pas dupe. Elle a remarqué que je ne tourne jamais les pages de mon bouquin. (Ce qu'elle ignore, c'est que même éveillé, je ne les tourne pas d'avantage. Peu importe)".
Mais ceux que je peux difficilement supporter, ce sont les crampons qui s'imaginent que je suis là pour leur donner des renseignements, des consultations littéraires. Seule la pensée que je serai obligé de déménager si je les rudoie trop m'empêche de les foutre à la porte."
Je n'ai pas pu m'empêcher d'ajouter
Pour
cela, il n'avait consulté personne, car il était célibataire..
Page 227
Même bonne, une femme est toujours plus ou moins vipère avec un homme qu'elle aime. (p.92).
Dans le vaste domaine des connaissances humaines
nous héritons d'un lot d'idées et de notions qui nous sont
transmises par nos aînés ou par de prétendus savants et
théologiens, que, sans les vérifier, nous acceptons comme
articles de foi. Moi, j'ai voulu à la lueur de la raison et
de mes connaissances juger par moi-même et j'ai par suite
mis de côté un tas d'opinions léguées par des gens qui ti-
rent leur autorité de notre paresse cérébrale et du fait
qu'ils ont vécu des siècles avant nous.
p. 267
- L'un de vous brandira le flambeau du journa-
lisme afin d'éclairer les dévoreurs de pulpe sur les in-
cendies, disparitions de chiens, soldes de sous-vête-
ments, indispositions d'actrices, horoscopes du jour et
autres événements cruciaux de la vie contemporaine.
Quoi de plus noble, Messieurs, quoi de plus admirable
que de répandre ainsi la culture et le goût du beau
chez les masses ouvrières, que de semer la bonne pa-
role
p. 200.