La bagarre est le premier roman de
Gérard Bessette (un autre bouquin de lui, plus connu, est
le libraire). Paru en 1958, il est annonciateur de la Révolution tranquille qui devait secouer la Belle province quelques années plus tard. En effet, dans
La bagarre, on entre dans le Québec moderne. Fini la littérature du terroir, les histoires de cultivateurs, de bûcherons et de draveurs. La littérature se tourne vers le futur : la ville, Montréal. Là, on retrouve une bande de jeunes hommes dont le protagoniste, Jules Lebeuf, issu de la classe ouvrière, un peu à la dérive, désabusé (il croyait que les études lui promettaient un avenir doré mais il découvre qu'il est un intellectuel raté). Entre le travail et l'université, il erre dans les rues, de club en boîte de nuit (La Bougrine est un de leurs repères préférés), sinon à la maison, à boire du whisky et à jouer aux cartes en compagnie de Kenneth Weston, un Américain qui étudie en ville, Marguerite, Augustin Sillery, fils de bourgeois et quelques autres. Ils sont jeunes, ils sont (plutôt) ouverts d'esprit, ils souhaitent un bel avenir sans trop compromettre le présent. Ils veulent avoir du bon temps. Comme beaucoup de jeunes (et de moins jeunes) de nos jours…
La bagarre tourne définitivement le dos une époque révolue et rien ne le signale autant que l'inclusion de personnages issus de minorités. Cela aurait été impensable, quelques années plus tôt, dans un ouvrage exclusivement composé de Canadiens français (peut-être quelques Anglais, pour la forme). Ici, un Américain fait partie des protagonistes, ils croisent des Italiens, des Mexicains, des Noirs, etc. Quebec goes international!
C'est que la nouvelle génération n'est pas tournée vers la campagne et le passé mais tournée vers le monde qu'ils veulent comprendre. Par exemple, ils rencontrent un Chinois qui leur explique qu'il a dû quitter son pays à cause de l'invasion japonaise de 1937. À l'époque, la majorité n'aurait pu situer le Japon sur une carte.
La bagarre se démarquait également par une certaine verve. Les dialogues sont vivants, Bessette privilégiant la langue de la rue. Ça sonne très réaliste. On ne tombe dans le joual mais tout près. Certains ont dû crier au meurtre de la langue française! C'était avant
Michel Tremblay et plusieurs autres courageux qui ont popularisé le parler du peuple. Ceci dit, la narration est dans un français impeccable. Des romans comme ceux-là étaient nécessaire dans les années de grande noirceur que constituaient l'époque Duplessis. Mais la plume de Bessette ne se démarque pas vraiment non plus. Pour tout dire, je trouve qu'elle a un peu mal vieilli, tant par son style que par le propos qui n'est plus vraiment d'actualité. Dans tous les cas, le roman est bien pour quiconque veut comprendre cette époque de bouleversements, les origines du Québec moderne.