Oh, vous savez ce que c'est, quand un livre est encensé, ça déclenche une petite poussée "avocat du diable" qui aime chercher la petite bête. En tous cas chez moi… Et ce Mage récolte tous les compliments, même des plus pointus des gens informés.
Là, ma petite bête, ça a été "C'est beau comme du Annezzo", ce qui n'est pas bon signe venant de moi (mais inattaquable, puisque ça m'autoflagelle au passage !).
Disons qu'il y a de la formule, de l'envolée lyrique notamment sur les amours du personnage principal, le fameux mage (Vadim Baranov), qui sonne un peu tape-à-l'oeil fatal. D'autant que je sortais d'une immense immersion dans l'immense livre de Don Delillo Underworld - Outremonde. J'étais encore toute humide de cette traversée à la nage épique dans un océan de style qui me va droit au coeur, le silence après du Delillo est encore du Delillo et le livre suivant n'avait qu'à bien se tenir…
Là, disons qu'il y a eu suspicion de pose. Rien de grave.
Une autre critique, serait celle des propos sur "vous les Occidentaux" qui brasse un peu large. Vous l'Occident, vous croyez que vous êtes les meilleurs, vous vous voyez comme démocrates pleins de pureté, vous pour qui seul l'argent compte, etc. Est-ce l'auteur qui parle ainsi et balance une pseudo-claque au lecteur ?..
... ou bien ce même auteur décrit son héros Baranov comme un donneur de leçon du haut de sa russitude ? Voilà, ça donne des leçons, et ça vise beaucoup beaucoup de millions de gens - les Occidentaux - dans de grosses généralités punitives. Je voyais déjà le lecteur bien-pensant hocher la tête en plissant les yeux avec une délectation masochiste, oui cet homme a tout compris, oui nous pétons plus haut que notre gloire (passée), tellement vrai… Ça, ça m'a un peu agacée.
Bon voilà, j'en ai fini avec le petit négatif.
Sinon, ah bah oui c'est foutrement intéressant.
A priori le livre a été écrit sans doute en 2022, avec la guerre en Ukraine déjà bien avancée, mais avant la chute de Prigojine le 23 août 23, (sans parler du 7 octobre 23 en cumul des massacres, ailleurs).
L'auteur nous propose Putin (écrit à l'anglaise, pardonnez mon accent) sur un plateau, comme si vous y étiez. Depuis ses débuts au pouvoir, jusqu'à son invasion de l'Ukraine. Le mage Vadim est plus un narrateur/observateur, qu'un intervenant. Putin suit son chemin à son rythme, a droit de vie et de mort sur son peuple, et au passage, sur les voisins et anciens territoires soviétiques. Putin a envie de bombarder, il bombarde. Putin a envie de faire tuer une journaliste qui le taquine, un dissident au goulag, il les tue. Putin a envie de poser une bombe dans deux immeubles en faisant croire que ces bombes viennent des Tchétchènes, il le fait, - sans pour autant aller sauver les victimes jusque dans les chiottes des immeubles effondrés - les chiottes, il les réserve à ceux qui ont l'heur de le contrarier.
Putin, c'est le loup de la fable de La Fontaine, et l'agneau, c'est Navalny, Karamourza, Orlov, l'Ukraine, l'Europe, l'Occident, nous. Comme dans la fable, il cherche à justifier ses actes en utilisant des mensonges éhontés, des arguments qui ne tiennent pas la route, parce qu'il aime bien se donner le beau rôle de l'offensé qui se défend, quand même. Et comme dans la fable, quand ça le lasse de dégoter n'importe quel prétexte, il arrête et chope l'agneau par la gorge, pour aller le manger sans autre forme de procès. Pardon, cette comparaison ne vient pas du livre, là c'est moi qui adore cette fable en la trouvant incroyablement d'actualité. Chaque mot colle si bien avec ce qui a pu se passer avec les daeshiens en 2015-16-17++, et ce qui se passe actuellement avec le tsar - les points communs entre ces deux destroyers ne se limitant pas à ça d'ailleurs.
Vadim raconte son entrée inattendue dans le monde sourd de la poutinerie, quand il n'était qu'un joyeux créatif à la télévision durant les années relâchées de Gorbatchev. On le charge de convaincre Putin, le modeste agent du KGB relégué à Dresde puis rapatrié au service d'Elstine au moment de la chute du mur, qu'il peut être sacré nouveau Tsar de toutes les Russies. Vadim devient son ombre, son maître de cérémonie, son metteur en valeur, et souvent son unique interlocuteur à peu près lucide. Ensemble ils élaborent quelques coups, puis petit à petit, Putin ordonne et Vadim obéit, sans plus créer grand chose, sinon la gloire ultime de rester en vie lui-même.
Et on comprend que c'est une prouesse, quand Putin évoque Staline, pour expliquer sa propre attitude dictatoriale. "Croyez-vous que les Russes glorifient encore Staline malgré les horreurs qu'il a commises, comme s'ils avaient oublié ? Que non, ils n'ont rien oublié, ils le glorifie justement parce qu'il a commis ces horreurs, ils aiment ça, un homme fort qui sait tenir le pays."
Da Empori fait parler Prigojine, avant qu'il ne se wagnérise. Vadim explique à Ivgueni à quoi servent ses usines à trolls qui s'infiltrent dans tous les rézossoss et media du monde afin d'attiser les haines et de monter les gens les uns contre les autres - opération chaos.
Concept intéressant : d'après Vadim Baranov le mage, c'est au moment où les démocraties auront compris que cette infiltration a eu lieu à tout instant, partout, depuis des années,
auront compris que l'armée des trolls nous a agité des Gilojines ou des antivasques à foison dans des manifs ultraviolentes, pour ne parler que de la France,
auront compris que les trolls attrapent n'importe quel sujet clivant (jusqu'aux punaises de lit !) pour y balancer leurs déjections,
c'est quand les démocraties comprendront l'énorme influence des trolls putiniens depuis une dizaine d'années…
que les putiniens auront gagné.
Parce que là, ça ne dira pas aux gens qu'il y a des 5G dans les vaquecins, ou des nazis drogués au gouvernement ukrainien,
ça dit au gens que leur cerveau est pris, et qu'ils sont foutus. Ils sont maintenant à la disposition de Putin comme I.A., Inintelligence Artificiellement créée. Corvéables à merci pour semer le chaos.
Sur ce point, que je trouve bien intéressant, je dirais que non, ouf, nous apprenons jour après jour le mal que font ces trolls, ces infiltrations, mais il reste quand même un majorité de gens "normaux" qui ne cèdent pas à ces influences néfastes. M'enfin, ça mérite réflexion. Ça mérite au moins méfiance…
Et d'autres concepts, qu'il faudrait étudier un par un, tous intéressants, moi j'ai surtout noté ce double concept-là et le concept Staline.
De ces livres dont on sort en ayant l'impression d'appartenir à une élite secrète, celle qui sait, celle qui reste dans l'ombre mais a tout compris du monde. Limite, on se sent un peu en danger en parcourant ces pages, genre si j'apprends ça, "ils" vont me retrouver et m'abattre discrétos… Ça m'avait fait la même chose avec des livres sur la CIA (Les 6 jours du Condor, par exemple), cette impression qu'après cette lecture, on devient une cible pour ces forces obscures autant qu'impitoyables. Et ce petit point rouge virevoltant sur mon col de chemise… En oubliant que des dizaines de milliers de gens ont lu et apprécié ce Mage, et que personne, ni eux ni nous ni l'auteur sa famille ses éditeurs, n'a glissé du balcon de sa villa d'Antibes ou de son yacht sur le lac Léman.
N'empêche, je l'ai échappée belle.
Á lire ? Que oui, jusqu'au bout, au désespoir de voir le monde se fracasser aux pieds d'un vieux schnock sinistre, un parmi d'autres…
Et reprendre deux fois des pâtes.
Non parce que comme on dit dans la famille de ma mère : надо пропадать, будь то в музыке… Tant qu'à crever, que ça soit en musique ! Ou au moins le ventre plein…
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