Présentation lors de la chronique littéraire de Bob Garcia sur France 3
Ne soyez pas stressé mon ami, laissez le temps agir. Vous savez, il est un dicton africain qui dit : vous, vous avez une montre, nous, nous avons le temps.
L'avis de recherche est maintenant étendu à tout le territoire.
L'absence, l'évaporation, la disparition, on l'appelle comme on veut, de Pierre est maintenant inquiétante, mais cela ne change rien à la donne.
Je doute que Lily soit douée pour le bonheur. Le bonheur est l’antithèse de la réflexion dans la mesure où, à en croire nos médias et à entendre nos élites bien pensantes, il est simple à trouver. En réalité il est au raisonnement ce que l’aiguille est à la meule de foin, introuvable. Le bonheur serait un gros fromage et Lily n’en veut qu’une miette, cela suffit pour calmer son jeune appétit, trop, provoquerait une indigestion. Vous imaginez, un trop plein de bonheur, insoutenable, en plus très mauvais pour le business: plus d’anti-stress, médicaments, cigarettes, alcool bref une catastrophe économique. Pas de danger pour le grand capital, je suis comme Lily, je ne crois pas au bonheur ou plutôt si, mais au faux, celui du produit marketing, la pure invention à but lucratif de l’homme dans toute sa démence. Il n’y a qu’à voir les différentes formes qu’il a revêtues au cours des temps. Homme bon est décidément mon oxymore préféré.
Apanage de l’intelligence, Lily aura son cortège de sujets de satisfaction et de petits plaisirs mais sa vie se passera à ordonner ses accords et ses contradictions en essayant de se convaincre à profiter de l’instant :
Le bonheur est un équilibre.
Elle ne croit pas à l’uniformité, elle sait que la différence n’est jamais heureuse. L’homme vraiment intelligent est un pédagogue, il éclaire les pensées et, du coup, amortit les inégalités tel un édredon :
Le bonheur est un discernement.
Elle s’y emploie déjà malgré son jeune âge et Léonard a compris cet esprit brillant en lui offrant ce simple croquis de chat, son refuge d’enfant :
Le bonheur est un souvenir.
Il a mis pile dedans, normal, il est médium
Et vient l’annonce faite à Marina, la mort de l’enfant. Silence. Elle me fixe, ne semble pas comprendre. Puis lentement s’assoit sur son lit face à la baie vitrée. Un couple de corbeaux est là, sur la pelouse blanchie, à l’écoute, une voiture passe non loin d’eux.
Un coup d’œil au toubib avant qu’elle ne plonge la tête entre ses mains et sanglote. Le toubib me fait signe de ne pas intervenir, il faut la laisser s’épancher, vider toutes les larmes de son corps et avec un peu de chance un morceau de sa folie viendra avec. Désencombrer son esprit, l’épurer, c’est ce que le docteur Angot s’efforce de faire depuis son internement et il a pris la décision de lui annoncer la nouvelle dans ce but, une sorte d’électrochoc rédempteur, un pari. Nous sommes immobiles dans la chambre à supporter le râle continu de Marina et à observer les deux corbeaux, symboles de tristesse et de malheur, s’escrimant, par des évolutions spectaculaires, à trouver une pitance en piquant le sol durci.
Le spectacle de ces volatiles pourrait être un mauvais présage mais Lily m’a affirmé qu’ils sont les plus intelligents du règne animal, conjuguant prudence, sociabilité, courage et fidélité, « les couples restent unis pour la vie », argument massue et en guise de conclusion elle avait été jusqu’à conspuer La Fontaine qui, à ses yeux, faisait passer l’oiseau noir pour prétentieux, hâbleur, bref un peu benêt, tout l’inverse de ce qu’il est. Un des corbeaux a l’air de nous fixer à travers le vitrage, plusieurs secondes. Lily a raison, l’oiseau n’a de noir que son plumage. Les pleurs s’estompent, se fondent et s’arrêtent. Marina se redresse, nous fait face et les yeux encore mouillés nous assène :
Quand est-ce qu’on l’enterre?
On est encore loin du compte, mais si les résultats sont confirmés dans l'après-midi, le processus enclenché dés l'aube demain matin risque d’accélérer la compréhension des éléments précités . Dans le cas contraire, j'envisage de rendre mon tablier. En fait, je crois tellement peu à cette deuxième hypothèse que j'ai pris un billet pour Paris ce soir à dix -neuf heures onze, en deuxième classe. Arrivée vingt-deux heures trente-cinq. Yves viendra me chercher et Martine a préparé ma chambre.
Je serai présent demain à six heures pour assister à l'hallali du prédateur.
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Et que dire de Manon, surnommée La Puce, la jeune mariée, la frêle jeune fille. Elle ne connaîtra pas l'extase ou, si elle l'a connue, elle restera unique et ça personne n'a pu le rapporter, si ce n'est l'hommage rendu par les habitants de la vallée, notamment une des deux cuvettes formées par le cataclysme, le lac de La Puce. Lac né des sanglots de la jeune mariée sentant son bonheur s'échapper. L'histoire raconte que ce lac disparaîtra le jour où la petite aura fini d'avaler ses pleurs en s'évanouissant dans la rocaille, aspirée par un esprit, signe d'une paix retrouvée.
... Il faut dire que Viloc choisit rarement la simplicité avec son « bureau des rêves », comme le nomme son mentor, quand il bouscule l’administration avec ses intuitions basées sur le souffle du vent, la force des marées, voire la couleur de la lune. Il a du mal avec l’équilibre, l’équilibre entre le conventionnel et la marge, entre l’évidence et le supposé. Comme en art, l’impressionnisme, le cubisme ou encore l’abstrait ont bousculé les règles en leur temps, eh bien lui, Anselme Viloc, ne cesse de prendre des contre-pieds. Non pas pour semer une zizanie quelconque, non, parce que c’est comme ça. Son ressenti s’exprime ainsi et les chemins qu’il prend sont toujours de traverse. Allez savoir pourquoi ? Sans doute l’air revigorant du Bassin. Avant, au début de sa carrière, en Savoie, ce n’était qu’un flic de papier bien ancré dans des rapports écrits, précis, dans un français à faire pleurer plus d’un écrivain reconnu et ça lui suffisait ; son papier s’est peu à peu transformé en cerf-volant grâce à une intuition d’un nouveau genre mêlant observation, écoute et sensibilité...
Son existence se résume à son travail. La vérité est son Graal, la justice son étendard. Le commissaire Lacorde est une sorte de représentation de la Vertu à la plastique ratée et, chose vérifiable, souvent la laideur parait suspecte alors que la beauté rassure comme si l’effluve capiteux n’était garant que de qualité.
En fait, on me prédestine, le hasard n’existe pas. Serions-nous déterminés ? le fatalisme ne me correspond pas, non pas du tout ! cela me fait froid dans le dos… et mon libre arbitre nom de Dieu ? Je l’ai mon libre arbitre ! Il est à moi puisque j’ai le choix, puisque je dois choisir
- Les clapotis de l’endroit sont synonymes d’anchois, prévient le gars, un local buriné, blanc de barbe et de cheveux, et s’il y a des chasses ici, il doit y avoir du bar dans le nord, poursuit-il en opinant du bonnet.
- Des chasses ?
- Oui, ah, vous n’êtes pas du coin, on appelle ça des chasses, quand les mouettes piquent dans l’eau pour se nourrir et quand il y a anchois, il y a bar et loubines si vous voulez…Les pêcheurs sont à l’affut e ces chasses et vont pêcher à proximité, surtout dans la passe nord. Ceux qui ont des bateaux rapides sont avantagés bien sûr.