Citations de Hannah Kent (146)
Les lacs tendaient au ciel leur sombre miroir, retenaient en eux la lune et les étoiles, jusqu'à ce que le battement d'ailes d'un canard, surpris au milieu des roseaux, vienne troubler les flots et couvrir de rides le reflet de la nuit.
Une femme qui pense n'est jamais tout à fait innocente, vous comprenez? On ne peut pas lui faire confiance. Voilà la vérité, que ça vous plaise ou non.
Après le bruit et l'agitation de la ville, la solitude avait failli la rendre folle. Par chance, elle était encore jeune, à l'époque. Aussi avait-elle gravi tant bien que mal les contreforts pelés de la montagne pour converser avec les nuages massés au sommet. Là-haut, elle côtoyait des forces immuables qui la réconfortaient. Elle pouvait s'asseoir dans l'herbe fouettée par le vent, arracher des pierres et les lancer en contrebas sur ces paysans soupçonneux qui craignaient les femmes qu'aucun homme, aucun foyer ne tenait en laisse. Là, au sommet des montagnes, devant cette inflexible beauté, le sentiment de sa différence - même si elle en ressentait tout le poids, même si cette poignante et perpétuelle douleur pesait sur son coeur - n'était plus qu'une ombre dérisoire et fugitive au sein d'une histoire plus grande qu'elle.
Comme la fine pellicule de glace sur l'eau d'un étang, la vérité est trop fragile pour mériter notre confiance.
Ils disent que je dois mourir. Ils disent que j'ai volé à ces hommes leur dernier souffle et qu'ils doivent voler le mien. Comme si nous étions des bougies - je vois palpiter leurs flammes graisseuses dans l'obscurité et le mugissement du vent. Et je crois entendre des pas déchirer le silence. D'horribles pas qui viennent à moi, qui viennent pour éteindre et emporter ma pauvre vie dans un ruban de fumée grise. Je me disperserai dans l'air nocturne. Ils nous éteindront tous, un à un, jusqu'à ce qu'ils ne s'éclairent plus qu'à la lueur de leurs propres bougies. Où serai-je alors ?
Nous ne manquions de rien,contrairement à Gudrúnarstadir, à Gafl ou à Gilsstadir, où j'avais souffert de la faim. Là-bas, il m'était même arrivé de devoir nourrir les gamins avec des bouts de chandelle et de mâchonner un peu de cuir bouilli pour tromper mon estomac!
Je me souviens de son apparence, du temps qu’il faisait ce jour-là, de la lumière sur son menton hérissé de barbe, mais l’instant lui-même, cet instant pur, encore vierge, de la rencontre, échappe à mon emprise. Je ne sais plus ce que c’était de ne pas connaître Natan. De ne pas l’aimer. Dès lors, comment pourrais-je décrire l’instant où j’ai compris que je venais de trouver ce que je désirais ardemment sans le savoir ? Mon esprit en a perdu la trace. Seul demeure le souvenir de ce désir. Un désir si vif, si apte à me pousser vers les ténèbres, qu’il m’a terrifiée.
Comment fait on pleurer un renardeau ?
On brise ses pattes avant. Comme ça, il ne peut plus s'échapper. Les parents l'entendent gémir. Ils s'élancent hors du terrier pour le secourir, et on n'a plus qu'à les attraper. C'est imparable. Les renards n'abandonnent jamais leurs petits.
Femme qui pense n'est jamais tout à fait innocente, vous comprenez ? On ne peut pas lui faire confiance. Voici la vérité, que ça vous plaise ou non, mon révérend !
"Est-ce déjà l'été ? [...] Je devine que le temps s'est adouci, que le vent a perdu son mordant. Je ferme les yeux et j'imagine la vallée au coeur de l'été, quand les jours s'étirent en longueur, quand le soleil réchauffe les os de la terre, quand les cygnes affluent vers le lac, quand les nuages s'écartent pour révéler l'immensité du ciel : d'un bleu clair, si clair qu'on en pleurerait.
Nos souvenirs sont aussi mouvant qu'un tas de neige poudreuse en plein vent. Aussi trompeurs qu'une assemblée de fantômes s'interrompant les uns les autres. Seule demeure en moi la certitude que ma réalité n'est pas celle d'autrui. Partager un souvenir, c'est risquer d'entacher ma mémoire des faits.
J'ai trouvé une station baleinière qui empestait la mort et le chaos, peuplée d'hommes blancs sans dents, au visage graissé par la méchanceté que leur insufflait leur avidité pour les peaux de phoques.
Sigga ne savait rien des cauchemars et des fantômes. Une nuit, alors que nous tricotions dans le badstofa à Illugastadir, nous avons entendu un corbeau. Porté par le vent du large, son cri nous a glacées jusqu'aux os. J'ai expliqué à Sigga qu'il ne faut jamais appeler ni nourrir un corbeau pendant la nuit. Les oiseaux qu'on entend croasser dans l'obscurité sont des esprits, ai-je ajouté. Ils te tueraient s'ils posaient les yeux sur toi. Je l'ai terrifiée, j'en suis certaine - sinon, pourquoi aurait-elle médit sur mon compte par la suite ?
À quoi sert Dieu, si ce n'est à nous extraire un instant du bourbier dans lequel nous pataugeons ? Nous sommes tous des naufragés. Englués dans une tourbière de misère.
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La mort est le docteur des pauvres.
C'est injuste. Les gens prétendent vous connaître sous prétexte qu'ils savent ce que vous avez fait, mais ont-ils pris la peine d'écouter ce que vous avez à dire? Bien sûr que non! Dans cette vallée, vous aurez beau vous démener pour vivre en bon chrétien, si vous commettez une erreur, elle ne vous sera jamais pardonnée. Même si vous avez opté pour ce qui semblait être la meilleure solution. Même si une voix s'écrie au plus profond de vous-même "Je ne suis pas celui que vous croyez!" Seule compte l'opinion que les gens ont de vous. Elle définit qui vous êtes. page 151
Qui ne lit pas est aveugle.
Femme qui pense n'est jamais tout à fait innocente , vous comprenez ?
Cette précision lui valut un regard incrédule, bientôt suivi d'un grand éclat de rire.
- Seigneur... Ils ont choisi une souris pour apprivoiser un chat.
Nous ne faisons plus qu'un. Je perçois chacun de ses mouvements. Son cri se grave dans ma mémoire.
Il flotte longuement dans l'air comme un nuage de cendres au dessus d'un volcan.
J'étais au bord des larmes. C'était trop vif, trop réel.
J'avais trop éprouvé, trop ressenti. Mes émotions m'empêchaient de voir cet instant pour ce qu'il était.