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Citations de Hannah Kent (146)


« Agnes jeta un regard à la marmite, puis s’affaissa brusquement au sol. Margrét crut d’abord qu’elle avait perdu connaissance – non : elle voulait boire. Penchée au-dessus du faitout, elle y puisait à pleines mains et s’abreuvait avec l’impatience d’une bête à l’étable. L’eau graisseuse coulait sur son menton et dans son cou avant de s’immiscer dans les plis crasseux de sa robe. Sans réfléchir, Margrét plaqua sa main sur le front de la jeune femme et la tira vivement en arrière. Agnes tomba en poussant un cri. L’eau gargouillait encore dans sa bouche de manière si pathétique que Margrét en eut le cœur serré. Les yeux mi-clos, la bouche ouverte, Agnes ressemblait à ceux que la boisson, la maladie ou un deuil trop brutal ont rendus fous. Elle gémit, frotta sa bouche et sa robe du plat de la main, puis elle se dressa sur ses coudes et tenta de se relever.
— J’avais soif.
Margrét poussa un long soupir. Son cœur cognait dans sa poitrine.
— Demandez-moi une tasse, la prochaine fois. »
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« Agnes jeta un regard à la marmite, puis s’affaissa brusquement au sol. Margrét crut d’abord qu’elle avait perdu connaissance – non : elle voulait boire. Penchée au-dessus du faitout, elle y puisait à pleines mains et s’abreuvait avec l’impatience d’une bête à l’étable. L’eau graisseuse coulait sur son menton et dans son cou avant de s’immiscer dans les plis crasseux de sa robe. Sans réfléchir, Margrét plaqua sa main sur le front de la jeune femme et la tira vivement en arrière. Agnes tomba en poussant un cri. L’eau gargouillait encore dans sa bouche de manière si pathétique que Margrét en eut le cœur serré. Les yeux mi-clos, la bouche ouverte, Agnes ressemblait à ceux que la boisson, la maladie ou un deuil trop brutal ont rendus fous. Elle gémit, frotta sa bouche et sa robe du plat de la main, puis elle se dressa sur ses coudes et tenta de se relever.
— J’avais soif.
Margrét poussa un long soupir. Son cœur cognait dans sa poitrine.
— Demandez-moi une tasse, la prochaine fois. »
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Le 30 mai 1829

A l’attention du sous-révérend Thorvardur Jónsson,

Breidabólstadur, canton de Vesturhóp

Mon révérend,
J’espère que cette lettre vous trouvera bien portant et prospère dans votre paroisse de Vesturhóp.
Tout d’abord, je tiens à vous adresser mes félicitations sincères, quoique tardives, pour l’obtention de votre diplôme dans le sud de l’Islande. Vous êtes un jeune homme zélé, apprécié de vos paroissiens. J’étais ravi d’apprendre que vous aviez regagné le nord du pays sitôt vos études terminées, afin de débuter votre aumônerie sous le contrôle de votre père. Savoir qu’il existe encore dans nos contrées des hommes de valeur prêts à servir Dieu et ses fidèles m’emplit d’une joie immense.
Je vous écris aussi aujourd’hui en ma qualité de commissaire de police pour vous demander une faveur. Comme vous le savez, un crime terrible a récemment endeuillé la vie de notre communauté. Les meurtres haineux commis l’an dernier à Illugastadir me paraissent emblématiques, par leur violence même, de la dépravation et de l’impiété qui règnent dans ce canton. En tant que chef de la police du Húnavatn, je ne peux tolérer le moindre débordement de la part de nos concitoyens. Aussi ordonnerai-je l’exécution des meurtriers dès que la Cour suprême de Copenhague m’en aura donné l’autorisation. C’est dans cette perspective que je viens requérir votre aide, sous-révérend Thorvardur.
Vous avez certainement gardé en mémoire la circulaire que j’ai adressée aux membres du clergé il y a presque dix mois, les informant du double meurtre et les invitant à le condamner avec la plus extrême vigueur auprès de leurs paroissiens. Permettez-moi cependant de revenir sur ces événements – pour que vous en ayez, cette fois, une connaissance plus approfondie.
Dans la nuit du 13 au 14 mars 1828, trois individus ont perpétré un acte abject à l’encontre de deux hommes qui vous étaient peut-être familiers : Natan Ketilsson et Pétur Jónsson. Les corps calcinés de Pétur et de Natan ont été retrouvés à Illugastadir parmi les décombres de la ferme de Natan, dont les bâtiments avaient brûlé pendant la nuit. Un examen attentif des cadavres a permis d’y déceler des blessures manifestement infligées dans l’intention de tuer. Une enquête a été ouverte, suivie d’un procès pour homicides volontaires. Le 2 juillet 1828, les trois suspects – un homme et deux femmes – ont été reconnus coupables par le tribunal du canton, présidé par moi-même, et condamnés à être décapités. Comme le prescrit l’Ancien Testament, « celui qui frappera mortellement un homme sera puni de mort ». Ces condamnations ont été confirmées par le tribunal d’appel, qui s’est réuni à Reykjavík le 27 octobre dernier. Le dossier se trouve actuellement à la Cour suprême de Copenhague, qui entérinera, selon toute vraisemblance, les attendus de mon jugement. Le condamné se nomme Fridrik Sigurdsson. C’est le fils du fermier de Katadalur. Les deux femmes, nommées Sigrídur Gudmundsdóttir et Agnes Magnúsdóttir, sont filles de ferme.
Ces trois individus sont incarcérés dans le nord du pays, et y resteront jusqu’à leur exécution. Fridrik Sigurdsson est détenu à Thingeyrar, sous le contrôle du révérend Jóhann Tómasson. Sigrídur Gudmundsdóttir vient d’être transférée à Midhóp. Nous avions prévu de laisser Agnes Magnúsdóttir en détention à Stóra-Borg jusqu’à son exécution mais, pour des raisons que je n’ai pas le loisir de développer ici, elle sera transférée le mois prochain à Kornsá, dans la vallée de Vatnsdalur. A la suite d’un désaccord avec son directeur de conscience, elle a mis à profit l’un des derniers droits qui lui restent pour réclamer un autre pasteur. Et c’est vous qu’elle a désigné, sous-révérend Thorvardur.
Ce n’est pas sans hésitation que je vous confie cette mission. Je suis conscient que vos responsabilités se sont jusqu’à présent limitées à l’éducation spirituelle des plus jeunes membres de votre paroisse – tâche d’une valeur indiscutable, mais de faible portée politique. Peut-être vous jugerez-vous trop novice pour conduire cette femme vers notre Seigneur et son Infinie Miséricorde. Dans ce cas, je ne m’opposerai pas à votre refus. C’est une charge que j’hésiterais à confier à des pasteurs chevronnés.
Si toutefois vous acceptiez de préparer Agnes Magnúsdóttir à sa rencontre avec le Seigneur, sachez que vous devrez vous rendre régulièrement à Kornsá si les conditions climatiques le permettent. Là, il vous faudra dispenser la parole de Dieu à la condamnée, lui inspirer du repentir et l’amener à accepter la justice des hommes. Ne laissez pas, je vous prie, l’orgueil ou la sympathie – s’il en naissait entre vous et cette femme – guider vos choix. Quoi qu’il arrive, mon révérend, si vous doutez de votre propre jugement, quêtez le mien.
J’attends votre réponse et vous saurais gré de la confier à mon messager.

Le commissaire de police du canton
Björn Blöndal
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Ils disent que je dois mourir. Ils disent que j’ai volé à ces hommes leur dernier souffle et qu’ils doivent voler le mien. Comme si nous étions des bougies – je vois palpiter leurs flammes graisseuses dans l’obscurité et le mugissement du vent. Et je crois entendre des pas déchirer le silence. D’horribles pas qui viennent à moi, qui viennent pour éteindre et emporter ma pauvre vie dans un ruban de fumée grise. Je me disperserai dans l’air nocturne. Ils nous éteindront tous, un à un, jusqu’à ce qu’ils ne s’éclairent plus qu’à la lueur de leurs propres bougies. Où serai-je alors ?
Parfois, je crois revoir la ferme brûler dans la nuit. L’étau de l’hiver meurtrit mes poumons. Au loin, le feu se reflète dans la mer. L’eau ondule et semble vaciller sous les flammes. Je me suis retournée cette nuit-là. Un instant seulement, pour voir l’incendie. Quand je passe ma langue sur ma peau, je sens encore le goût du sel. Et l’odeur de roussi.
Il n’a pas toujours fait aussi froid.
J’entends des pas venir à moi.
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Savoir ce qu'une personne a fait, et savoir qui est cette personne sont deux choses différentes.
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Il me semble que tous ceux que j'ai aimés m'ont été arrachés, me laissant arpenter seule la terre dans laquelle ils sont enfouis.
Peut-être est-ce mieux ainsi. Aujourd'hui, je n'ai plus personne à aimer. Plus personne à enterrer.
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– Si j'étais jeune et simplette, croyez-vous que la police et les juges auraient pointé le doigt vers moi ? Non. Ils auraient accusé Fridrik. Ils auraient dit qu'il nous dominait, qu'il nous a forcées à tuer Natan pour mettre la main sur sa fortune. Toute la vallée savait que Fridrik rêvait de délester Natan d'une partie de ses biens. Mais quand la police m'a interrogée, quand ils ont compris que j'avais la tête sur les épaules, ça ne leur a pas plu. Femme qui pense n'est jamais tout à fait innocente, vous comprenez ? On ne peut pas lui faire confiance. Voilà la vérité, que ça vous plaise ou non, mon révérend !
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Je porte un nid de pierres dans la poitrine ; et dans ce nid ? Rien. Je ne suis plus qu'une coquille vide. Stérile. N'attendez pas : je ne produirai plus rien. Je suis le poisson moribond dans l'air glacé, l'oiseau déjà mort sur la grève. En moi, tout s'est asséché. Je ne suis pas certaine de saigner quand ils me trancheront le cou.
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Toute la vallée savait que Fridrik rêvait de délester Natan d'une partie de ses biens. Mais quand la police m'a interrogée, quand ils ont compris que j'avais la tête sur les épaules, ça ne leur a pas plu. Femme qui pense n'est jamais tout à fait innocente, vous comprenez ? On ne peut pas lui faire confiance. Voilà la vérité, que ça vous plaise ou non, mon révérend !
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Nous ne faisons plus qu'un. Je perçois chacun de ses mouvements. Son cri se grave dans ma mémoire.
Il flotte longuement dans l'air comme un nuage de cendres au dessus d'un volcan.
J'étais au bord des larmes. C'était trop vif, trop réel.
J'avais trop éprouvé, trop ressenti. Mes émotions m'empêchaient de voir cet instant pour ce qu'il était.
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" La trahison d'un ami est pire que celle d'un ennemi."
( p 211)

Il adorait la manière dont elle reconstruisait le monde avec des mots. Elle inventait un langage pour décrire ce que nous ne pouvons que ressentir.
(p 230)
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Comme la fine pellicule de glace sur l'eau d'un étang, la vérité est trop fragile pour mériter notre confiance.
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Ils disent que je dois mourir. Ils disent que j'ai volé à ces hommes leur dernier souffle et qu'ils doivent voler le mien. Comme si nous étions des bougies - je vois palpiter leurs flammes graisseuses dans l'obscurité et le mugissement du vent. Et je crois entendre des pas déchirer le silence. D'horribles pas qui viennent à moi, qui viennent pour éteindre et emporter ma pauvre vie dans un ruban de fumée grise. Je me disperserai dans l'air nocturne. Ils nous éteindront tous, un à un, jusqu'à ce qu'ils ne s'éclairent plus qu'à la lueur de leurs propres bougies. Où serai-je alors ?
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Nous ne manquions de rien,contrairement à Gudrúnarstadir, à Gafl ou à Gilsstadir, où j'avais souffert de la faim. Là-bas, il m'était même arrivé de devoir nourrir les gamins avec des bouts de chandelle et de mâchonner un peu de cuir bouilli pour tromper mon estomac!
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Je me souviens de son apparence, du temps qu’il faisait ce jour-là, de la lumière sur son menton hérissé de barbe, mais l’instant lui-même, cet instant pur, encore vierge, de la rencontre, échappe à mon emprise. Je ne sais plus ce que c’était de ne pas connaître Natan. De ne pas l’aimer. Dès lors, comment pourrais-je décrire l’instant où j’ai compris que je venais de trouver ce que je désirais ardemment sans le savoir ? Mon esprit en a perdu la trace. Seul demeure le souvenir de ce désir. Un désir si vif, si apte à me pousser vers les ténèbres, qu’il m’a terrifiée.
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C'est alors que je les ai vus : une petite assemblée d'hommes et de femmes se tenait là, immobile, les yeux rivés sur moi. J'ai mis un moment à comprendre ce qu'ils faisaient. Car ce n'était pas moi qu'ils regardaient. Pas moi qu'ils voyaient. J'étais deux hommes morts. J'étais une ferme en feu. J'étais le couteau. J'étais le sang.
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[...] Tóti aimerait que je lui parle de ma famille, mais le peu que je lui ai raconté n'a pas eu l'heur de lui plaire. Il n'est pas accoutumé aux arbres généalogiques qui poussent dans la vallée : noueux, aux branches enchevêtrées, hérissées d'épines.
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[...] - Jón Thórdason a proposé de les tuer.
- Pardon ?
- Jón Thórdason. Il s'est présenté à Hvammur il y a quelques semaines pour leur annoncer qu'il était prêt à exécuter Fridrik, Sigga et Agnès. Trois coups de hache contre une livre de tabac, voilà ce qu'il voulait.
Il secoua la tête.
- Une livre de tabac, répéta-t-il.
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[...] Ils m'ont arraché une déposition qui faisait de moi une femme vile et malveillante. Tout ce que j'ai dit m'a été volé ; tous mes mots ont été altérés jusqu'à ce que cette histoire ne soit plus mienne.
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[...] La poussière la mettait au désespoir. Il y en avait partout ! [...] Sèche en été, la tourbe répandait constamment de la poussière et de l'herbe sur les lits ; froide et humide en hiver, elle produisait des moisissures qui tombaient sur les couvertures de laine et infestait les poumons de toute la famille. La ferme avait commencé à se désintégrer. Elle se transformait en taudis, et son état de délabrement gagnait ses habitants : l'an passé, deux domestiques étaient morts des suites de maladies causées par l'humidité.
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