je sais la transparence de la mer,
celle des feuilles ivres qui s’engouffrent dans un ciel,
je sais la transparence de l’orage ou du silence
des ombres parfois,
et toujours celle du cœur
de la langue par laquelle je regarde le monde embué,
je sais la transparence de l’hiver
qui nous dénude jusqu’au rien
ce bord léger des choses que l’on touche
pour ne cesser d’entendre les voix humaines qui nous broient
la stupeur qui traverse l’histoire,
la souffrance serait-elle nouée à la beauté,
je sais la transparence de la mémoire tatouée de lumière
qui nous happe,
je sais si peu
de celle des heures et du mystère
qui s’ouvre telle une lampe au bout des doigts
le désordre n’atténue pas le don lumineux
ni ces vents durs contre lesquels on écrit
je sais la transparence que l’on caresse,
celle où l’on baigne comme au milieu des vagues
qui soufflent et nous révèlent
ce qui est libre et vaste.
(Portraits imaginaires).
Tu aurais lu tous les livres sur les rayons
les nouveaux comme les anciens, les grands
et petits formats, ceux qui traînent
depuis des mois, entamés
ou pas même ouverts, ceux
d’auteurs complices
Tu aurais lu les plus sombres
les légers, les illisibles et même ceux
qui cassent comme
glaces du fleuve, t’inventent un estuaire
ceux qui bousculent
t’abandonnent au milieu ou te poussent
du haut d’une falaise vers ton dénouement
ceux qui creusent, touchent ton cœur
remuent encore, une fois rangés
sur le rayons, ceux
qui ont mis ta vie sens dessus dessous
et ne se referment pas, tournent encore
autour de toi, ceux qui s’accumulent
sur la table du sommeil
que tu croyais connaître
par cœur, n’entrent pas
dans la poche des heures, courbent
l’échine, ont l’épine à l’envers, restent
sur le dos de la couverture
cachent leur vrai visage, ceux qui
à la fin, te diront que la vie tient aussi
aux histoires qui la racontent,
aux mots qui surgissent par la fenêtre
à ce qu’ils éclairent
dans la forêt de tes pas.
Les mots dans la bouche
d’un livre qui les abrite et les confie
à l’or et au plomb, tu ouvres
la porte du jardin d’encre
et de papier, jardin de roses et de soie.
Une phrase recompose l’espace
en détache le passé incertain
comme une empreinte rejoint ce qu’il efface
il est temps de rendre les mots
à ce qui les tient à l’abri
comme un nid fragile
au bout de la branche, de les recueillir
qu’ils épuisent le manque
et couvrent chaque chose
de leur souffle, disent
la matière lumineuse
qu’ils ramènent vers nous.
Il fait un temps de foudre et de lambeaux
d'arbres abattus
au-dedans de soi
il fait pluie maigre
un temps de glace
et de rêves qui fondent
dans le labyrinthe des miroirs
le dos courbé le poids des silences
Les brèches
maintiennent la vie
dans sa fragilité
l’aube s’infiltre
touche l’écorce blessée
qu’en est-il du chaos
qui flotte
dans le bégaiement des feuilles
la forêt défriche
en moi tant d’années
mes forêts sont un long passage
pour nos mots d'exil et de survie
un peu de pluie sur la blessure
un rayon qui dure
dans sa douceur
et quand je m'y promène
c'est pour prendre le large
vers moi-même
Le sentier
entre les troncs
comme une large rayure
le hibou s'élance
repère l'ombre
la proie qui remue
dans le désordre du monde
la forêt se souvient
du chant des ailes
mes forêts sont des cages de solitude
des lames de bois clairsemées
dans la nuit rare
elles sont des maisons sans famille
des corps sans amour
qui attendent qu'on les retrouve
au matin elles sont
des ratures et des repentirs
un poème murmure
un chemin vaste et lumineux
qui donne sens
à ce qu'on appelle humanité
puis nos mains ont dessiné
quelques traits sur les murs d'une grotte
l'art allait nous protéger de la haine
mais la haine a continué
l'arbre n'a d'âge
que celui des saisons
je suis l'arbre foudroyé
la chute et l'envol
dans l'instant
où advient le désir
alors que je rêve
vers toi mon corps s'enroule
frêles pétales
au bout de la nuit des mots
frémissent comme
ces brumes inapaisées
encerclent nos silences
l'abîme évide l'espérance
que l'on ne peut nommer
on appelle des catastrophes
pour les couvrir du tissu
de nos indifférences
nos regards étouffent
sous les poignées de cris
jetées dans les fosses
Mes forêts sont des bêtes qui attendent la nuit
pour lécher le sang de leurs rêves
gratter la terre gratter l'écorce
boire l'offrande et se glisser
dans un lit rempli de lucioles
mes forêts
sont des traits de craie noire
les lettres désarticulées de mots
inconnus d'un matin qui hésite à venir
LES BRÈCHES
[...]
la forêt défriche
en moi tant d'années
L’ÉCORCE
un bruit de scie
brouille le silence
perce le mur
de nos frêles illusions
les forêts grincent
et ce gémissement
secoue nos solitudes
L'ARBRE
[...]
j'écoute cette partition
du temps
je déchiffre enfin
le désordre des branches