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Critiques de Henry James (697)
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Le Tour d'écrou

« Une histoire écrite, qui est dans un tiroir fermé à clef. »

Ne comptez pas sur Henri James pour nous la donner, cette clef ! Il nous laisse nous démerder tout seul avec ce roman gigogne, ce sombre récit aux multiples facettes…

Dans cette histoire, la narratrice qui oublie de donner son nom, a pourtant tout pour être heureuse quand elle arrive au vieux manoir de Bly pour veiller sur Flora et son grand frère Miles, deux adorables enfants, si agréables, si bien élevés, si croquignolets qu'elle leur aurait donné le bon Dieu sans confession.

Mais très vite, des évènements étranges et troublants viennent brouillés la vie champêtre de notre gouvernante. Dans le manoir gothique, s'animant crescendo, ils s'enchainent les uns après les autres… Des souffles rauques, des frôlements inquiétants perturbent les nuits calmes de Bly. le coeur battant la chamade, la gouvernante entrevoit les apparitions furtives de deux parfaits inconnus ; des apparitions qui deviennent de plus en plus fréquentes, réelles… et maléfiques. Les sosies parfaits de Peter Quint, ancien valet attaché au domaine, et de Miss Jessel, prédécesseur de la narratrice, tous deux décédés juste avant son arrivée… Quand la gouvernante horrifiée comprend que les deux fantômes sont attirés (attirance franchement morbide et tordue) par la présence des deux enfants et cherchent à pervertir leur innocence, un combat s'engage entre elle et les deux apparitions.

Alors !!!! S'agit-il d'un conte fantastique et pervers ou je dois croire à nos deux fantômes ? S'agit-il au contraire de la description du délire hallucinatoire de notre narratrice qui, parfois, m'a fait l'effet d'une vraie frapadingue ? Henri James m'a laissé dans le doute en brouillant les pistes, m'a abandonné dans le marigot… Miss Grose, l'intendante de la maison, seule personne à peu près sensée de ce bouquin, n'aide pas à résoudre l'énigme. Elle voudrait tant croire la narratrice, l'aider de toutes ses forces à sauver la pureté des deux enfants, mais son solide bon sens l'empêche de se livrer totalement. Elle reste toujours sur son quant-à-soi… Miss Grose s'est bien gardée de me donner les clefs du tiroir…

J'ai dévoré ce livre dans des frissons de malaise ; j'ai été dérangé, troublé, englué dans des miasmes fétides, dans la noirceur des sentiments humains…

Un livre absolument magistral.



Challenge XIXème siècle









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Les Bostoniennes

La déferlante « Me too » est le point d'orgue d'une tendance qui a mis longtemps, très longtemps à maturer. Peut-être d'ailleurs n'en est-elle pas l'acmé, ni l'ultime éminence ; à tout le moins pouvons-nous avancer, dès à présent, qu'il y eut un avant et qu'il y a un après « Me too ».



À bien des égards, ce mouvement de lutte pour le droit au respect, à la visibilité et à l'égalité des femmes par rapport aux hommes rappelle énormément celui des Afro-américains vis-à-vis des populations blanches aux États-Unis suite à l'abolition de l'esclavage. On se situe d'ailleurs à peu près dans les mêmes années. Lesquels mouvements crurent en intensité dans l'immédiat après-guerre et jusqu'aux années 1970, puis à nouveau de nos jours, processus d'ailleurs jamais complètement abouti, car derrière cette apparente « lutte des races » se cachent en réalité un Nième et sempiternel avatar de la lutte des classes, c'est-à-dire, dit autrement, une lutte de pouvoir et d'influence, ce qui, dit autrement encore, équivaut à un combat pour l'argent, inégal et féroce par nature.



Un roman comme celui de Ralph Waldo Ellison, Homme invisible, pour qui chantes-tu ? montre assez l'enjeu de telles luttes. Il préfigurait, dès 1952, ce qui allait advenir et qui était dans l'air du temps, avant même Rosa Parks, Martin Luther King ou Malcolm X : c'était là, ça enflait, ça gonflait, ça se dilatait, ça ne demandait qu'à éclater et il fallait juste attendre la petite étincelle pour que ça prenne les proportions que l'on sait.



« Me too », c'est exactement la même chose : c'était quelque chose qui montait, montait, montait depuis des années et l'affaire Harvey Weinstein n'en fut que le déclencheur, le détonateur si l'on veut. Si ça n'avait pas été cette affaire, c'en aurait été une autre, car l'abcès était tellement prêt à crever qu'il aurait éclaté rien qu'à le regarder.



(Notons, s'il faut se convaincre qu'il existe bien de tels « moments de bascule » dans l'histoire qu'en moins de deux ans, de 1975 à 1977, surgirent subitement dans les séries états-uniennes grand public une profusion d'héroïnes là où l'on n'avait toujours vu à peu près que des héros, avec Wonder Woman, Drôles de dames et Super Jaimie, par exemple. Dans les années 1990-2000 en France, dans le même type de programme populaire, il devient difficile de voir à heure de grande écoute un commissaire de police qui soit autre qu'une femme, Julie Lescaut, Une Femme d'honneur, etc., etc.)



Aussi peut-il être intéressant de lire ce que la littérature a à nous apprendre sur cette montée progressive, sur ce murissement d'une lente révolution des moeurs et des us de par le monde. À ce titre, il m'a paru intéressant d'aborder ce roman d'Henry James datant de 1886.



En effet, l'auteur nous évoque la situation de son pays environ une quinzaine d'années auparavant, soit aux alentours des années 1870, soit peu de temps après la fin de la Guerre de Sécession qui mit fin à l'esclavage dans les états du sud.



D'emblée, il n'est pas inintéressant de noter que James fait tout de suite le parallèle, via son personnage de la vieille Miss Birdseye, entre la lutte pour l'émancipation des esclaves dans ces états du sud et celui de l'émancipation des femmes, laquelle lutte on devine qu'elle sera longue, lente, incertaine, fatigante et fastidieuse par essence.



Henry James, qui est déjà un vieux routier du roman lorsqu'il écrit ses Bostoniennes, choisit une architecture tricéphale pour son roman, avec trois personnages principaux bien différents et représentant trois types d'engagement dans cette lutte féministe : l'idéologue, militante inflexible (Miss Olive Chancellor), l'oratrice praticienne, militante ouverte (Miss Verena Tarrant) et l'opposant conservateur et réactionnaire (M. Basil Ransom).



Ces trois personnages archétypaux, sortes de couleurs primaires, sont doublés de trois personnages secondaires aux caractéristiques combinées et intermédiaires par rapport aux précédents : la femme émancipée non militante (la doctoresse Prance), l'idéologue militante ouverte (Miss Birdseye) et la femme du monde conservatrice (Mrs Adeline Luna).



Autour de ces six personnages gravitent encore quelques autres personnages que je me permets de qualifier de tertiaires et qui symbolisent d'autres déclinaisons encore de réactions ou de types psychologiques en rapport avec la question du féminisme : l'homme mondain énucléé prêt à toutes les compromissions pour coller aux exigences de l'air du temps, s'il faut se faire féministe, il se fera féministe, et s'il fallait se faire ultra machiste, il se ferait ultra macho (M. Burrage), l'homme arriviste prêt à surfer sur l'émergence du mouvement féministe pour arriver à ses propres fins (M. Pardon), l'orgueilleuse pour qui l'avènement de la femme, à l'échelon collectif, est une aubaine propre à satisfaire ses ambitions personnelles (Mrs Tarrant), ou encore l'opportuniste mystique, celui qui prend acte des changements en cours et qui voit dans les nouvelles « religions » un genre de marché qui s'ouvre et auquel il faudra bien pourvoir le plus délicatement possible (M. Tarrant).



C'est troublant, n'est-ce pas, comme tout est déjà parfaitement en place à l'époque où Henry James écrit son roman, tout est déjà parfaitement comme aujourd'hui, preuve s'il en était besoin que tout change et que finalement rien ne change.



Henry James, qu'on ne peut décidément pas taxer d'avoir négligé la construction de son roman, opte encore pour une architecture symétrique entre le début et la fin de l'oeuvre. En effet, tout commence lors d'une réunion publique où doit être prononcée une conférence devisant de féminisme, par une oratrice de renom, et tout termine, devinez comment ? lors d'une réunion publique où doit être prononcée une conférence devisant de féminisme, par une oratrice de renom.



À chaque fois, l'oratrice de renom sursoit et c'est une oratrice moins aguerrie qui s'y colle. Personnellement, j'y vois une allégorie : on vient pour écouter unetelle, on repart en en ayant écoutée une autre, pas nécessairement moins talentueuse, mais en tout cas pas celle qu'on était venue écouter, exactement le genre de situation qui peut vous laisser un petit goût d'inachevé dans la bouche, le sentiment d'avoir été un peu flouée au passage, exactement comme dans ces concerts où vous venez pour écouter une tête d'affiche et vous repartez en ayant entendu un jeune groupe inconnu.



Il y a beaucoup de facettes à ce roman, beaucoup d'angles sur lesquels il pourrait être analysé, alors il me va falloir choisir, car on ne puit tout dire, au risque de ne rien dire de réellement consistant, et, comme le rappelle André Gide, choisir, c'est renoncer. Alors, d'emblée, je renonce tout de suite à ce qui faisait peut-être la plus grande originalité du roman lors de sa parution : le « ménage » de deux femmes non mariées, dont on devine sans peine l'émoi qu'il suscita dans la société hautement prête à accepter l'homosexualité de l'époque ! (Rappelons, pour mémoire, qu'Oscar Wilde est condamné en 1895 en raison de son ouverte homosexualité.) On ne nous dit jamais qu'il y a relation homosexuelle entre ces deux femmes, tout comme, plus de cinquante ans après, Tennessee Williams ne nous en parle jamais non plus, mais il n'est nul besoin d'être grande prêtresse de Delphes — what a pythie ! — pour le deviner sans ambages.



Eh bien, de ça, je n'en parlerai pas. du mouvement des suffragettes à l'époque ? Je n'en parlerai pas beaucoup non plus. Alors de quoi parler, si l'on élude les sujets les plus croustillants d'un tel roman ? de l'histoire d'amour qui se noue entre deux des personnages en dépit de leurs convictions ? Oui, c'est vrai, c'est très bien fait, c'est bien amené, l'auteur y déploie des trésors de finesse et de psychologie des personnages comme rarement on a su faire depuis et pourtant je ne vous en parlerai pas non plus.



Alors que reste-t-il de si fantastiquement captivant à énoncer si l'on évite si soigneusement tout ce qui en fait la vibrante substance ? J'y viens, j'y viens. Je choisis — car vous savez à présent que j'aime les défis — une assez minuscule saillie d'un des personnages, à savoir, le moins principal des principaux, Basil Ransom.



Celui-ci s'exclame, au chapitre XXXIV (pp. 523-524 dans la collection folio), tandis qu'il est en pleine joute concernant les idées avec Verena, et qu'elle lui demande : « De quoi donc voulez-vous sauver les hommes ? » et lui du tac au tac : « De la féminisation la plus odieuse ! Loin de penser, comme vous le disiez l'autre soir, que nous ne faisons pas assez de place à la femme dans nos vies, il y a longtemps que je trouve, moi, que nous lui en faisons beaucoup trop. Toute cette époque est féminisée ; le ton masculin est en train de disparaître de la face du monde ; cette époque est régie par les femmes, les nerfs, le maboulisme, le bavardage, la pruderie ; c'est l'époque des phrases creuses, des fausses délicatesses, des campagnes sans objet valable, de la sensiblerie ; et cela aboutira, si l'on n'y prend garde, à l'état de choses le plus médiocre, le plus plat et le plus prétentieux qui ait jamais existé. La vigueur masculine, le penchant masculin pour la réalité, la possibilité qu'ont les hommes de regarder le monde bien en face et de l'accepter tel qu'il est — étrange méli-mélo, assez affreux par endroits — c'est là ce que je voudrais préserver, ou, plus exactement, ce que je voudrais reconquérir ; et je vous avoue que je me moque complètement de ce qui peut advenir de vous, mesdames, au cours de cette entreprise ! »



C'est une étrange affirmation, n'est-ce pas, sous la plume d'Henry James en 1886 que « cette époque est régie par les femmes » ? Moi, de ce que je connais de 1886, c'est exactement l'inverse que j'imagine, alors, qu'a donc bien voulu exprimer l'auteur par l'intermédiation de ce personnage de Basil Ransom ? Je me suis réellement et sincèrement posé la question.



Lorsqu'il y a une telle béance entre ce que l'on perçoit les uns les autres, c'est très certainement que se cache quelque chose d'intéressant à dénouer. En effet, pour les féministes, les hommes régissent tout et c'est insupportable et pour l'opinion exprimée par James au travers du personnage de Basil Ransom, c'est exactement l'inverse.



Alors, au risque de poser une question triviale et possiblement jugée absurde, je vous pose la question : Au fait, c'est quoi un homme ? (J'avais déjà posé cette redoutable question dans ma critique de « Des chiens et des humains » de Dominique Guillo dans une version légèrement différente, sous forme de : Au fait, c'est quoi un chien ?)



Alors, pour tâcher de répondre à cette question, j'ai fermé les yeux et j'ai essayé de m'imaginer la chose la plus typiquement masculine que mon faible cerveau puisse imaginer. Et là, j'ai vu le portrait en noir et blanc d'Éric Tabarly, avec sa barbe de 10 jours, en 1964 à la fin de la transat anglaise, là, j'ai vu le regard grave de Iouri Gagarine avec son scaphandre au moment où il monta dans la fusée Vostok I, là j'ai vu le visage buriné des bergers qui estivent dans les alpages en regardant grossir l'orage démoniaque, là j'ai vu le visage des boxeurs des années 1960 juste avant leur match, là j'ai vu le visage du Che étendu par terre en Bolivie, mitraillé par les agents à la solde de la CIA en 1967. En littérature, l'archétype de l'homme, tel que décrit ici, je le vois, par exemple, dans le Père Milon de Guy de Maupassant.



Oui, il y a quelque chose de violent, de solitaire, un risque de mort imminent dans toutes ces images. Pourquoi mon cerveau est-il incapable de faire germer une image plus récente que la fin des années 1960 ? Et si c'était justement contre ça qu'avaient éclos les mouvements féministes, pacifistes, égalitaires de ces mêmes années ? Et si c'était précisément pour cette même raison que les années 1970 ont fait fleurir les Wonder Woman, les Drôles de Dames et les Super Jaimie, et les gentils Capitaine Dobey et Huggy-les-bons-tuyaux dans Starsky et Hutch ?



De quels hommes parlons-nous ? Est-ce de l'avocat chicaneur qui épluche les articles du code pour éviter l'amende à son client ? Est-ce du banquier d'affaires ou du designer de chez Apple que l'on parle ? Est-ce d'un président d'une start-up nation ? Quelle population se serait émue d'une guerre en Ukraine avant la nôtre ? J'essaie à grand peine de m'imaginer la réaction de nos ancêtres paysans du XIXème siècle à l'annonce d'une telle guerre. Ils auraient sûrement eu toute sorte d'avis la concernant, mais je doute qu'ils éprouveraient des grands wagons d'émotion concernant ce peuple de l'autre bout de l'Europe. Les guerres « viriles » de Napoléon étaient encore considérées avec force et fierté, et nombreux sont ceux qui allèrent à la guerre de 1914 avec un sentiment de « faire son devoir » et « d'aller mettre une bonne branlée aux Allemands ».



Depuis lors, il s'est pourtant passé un événement étrangement peu commenté, le basculement, à l'échelle planétaire, du nombre d'habitants des villes comparé à celui des campagnes. Ça n'a peut-être l'air de rien, mais c'est, je le crois, une donnée fondamentale. Pour vivre en ville, il faut supporter la promiscuité de nombreux congénères, il faut être en mesure d'abaisser drastiquement son taux d'agressivité, il faut dire adieu à la solitude et à la quiétude des grands espaces, accepter d'entendre piailler à longueur de journée autour de ses oreilles, faire sienne la notion de sécurité collective, respecter tout un tas de petites règles contraignantes que la virilité vraie réprouve, bref, en deux mots comme en mille, l'exact inverse de ce que mon imaginaire imagine lorsqu'il imagine un homme, tel que je l'ai formulé plus haut.



Alors, c'est vrai, très concrètement, depuis la fin du XIXème siècle et jusqu'à nos jours, ça n'a été qu'une longue et pénible lutte des femmes, des minorités diverses pour le droit à l'égalité de traitement, notamment vis-à-vis de ce que l'on considère génétiquement comme des hommes. Mais les hommes, au sens que j'ai dit plus haut, ont très certainement déserté la place depuis bien longtemps, vestige d'un ordre du monde qui n'existe plus du tout. Et, je crois, ce qu'exprime Basil Ransom — et à travers lui Henry James —, c'est très probablement cette espèce en voie d'extinction que l'on appelait les hommes, au sens Tabarly-Gagarine-Che Guevarresque du terme, remplacé par ce concept nouveau et quelque peu hybride d'homme, au sens Macron-Cruise-Obamesque du terme, l'homme de demain.



Je pense même qu'une bonne part de la détestation qu'exerce un Vladimir Poutine sur les populations occidentales provient précisément du fait qu'il est, par beaucoup d'aspects, excessivement masculin au sens que j'ai explicité auparavant. En effet, à beaucoup d'égards, il ne cadre pas du tout avec la version douce, calme et policée que l'on attend de l'homme à présent.



Ainsi, je crois que, par ce roman, par sa brûlante actualité, Henry James met le doigt sur un élément éminemment fort pour quiconque souhaite comprendre notre civilisation : la quête effective du pouvoir par les femmes dans un monde effectivement déjà féminisé. le monde, par le biais de son urbanisation, s'est féminisé mais les structures du pouvoir, elles, sont restées masculines et il est là le vrai hiatus. Si le monde ne s'était pas au préalable féminisé sous l'effet de l'urbanisation, il n'y aurait même pas eu de place pour un quelconque combat féministe, comme ce fut le cas pendant des siècles dans un monde essentiellement rural. Ne nous y trompons pas, c'est parce que le monde s'est urbanisé — et donc, par la force des contingences, féminisé — que les femmes peuvent désormais prétendre à l'égalité.



Henry James décrit un monde déjà éminemment urbain, entre Boston et New-York, où Basil Ransom, qui vient des campagnes des états du sud, a du mal à se reconnaître. Lui perçoit cette bascule. Quant au personnage d'Olive Chancellor, il incarne bien une autre dimension du combat féministe actuel : pour elle, il n'est pas seulement question d'obtenir l'égalité entre homme et femme, elle désire autre chose, elle désire plus : elle veut venger les femmes des siècles passés, elle veut « faire payer » les hommes pour ce qu'ils ont fait subir aux femmes et, si vous tendez suffisamment l'oreille, vous entendrez également ce genre de revendication dans les combats féministes actuels.



Donc, un roman très intéressant et bien écrit, avec quelques éléments qui me déplaisent cependant, notamment les interventions directes du narrateur qui, selon moi, font office de repoussoir et la globale lenteur de l'action, même si je la juge nécessaire parfois pour montrer le lent travail psychologique qui s'effectue au sein des relations entre les différents protagonistes. Mais, bien entendu, une fois encore, ceci n'est que mon avis — qui plus est sur un angle presque anecdotique du roman —, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Le Tour d'écrou

Ouhla ma fille, le moment est délicat (il m'arrive occasionnellement de m'appeler ma fille, ça favorise ma concentration) car là pour une fois je me suis immergée dans un vrai classique, de ceux passés à la trappe à l'époque où je poursuivais mes brillantes études sans grand espoir de les rattraper.



Délicat le moment donc puisque je me suis intensément barbée en lisant ce texte pourtant court et «unanimement considéré comme LE chef-d'oeuvre d'Henry James» (c'est pas moi qui le dit, c'est la quatrième de couverture).



Plutôt ronchon de par le fait mais désireuse de creuser un peu le problème, je découvre que les interprétations de cette oeuvre qui ont été hasardées au fil des décennies et de l'évolution des moeurs, ont oscillé entre conte fantastique et métaphore psychanalytique. Là je comprends (presque) mieux. Beaucoup ont donc évoqué les thèmes de la névrose, de la transgression, de la frustration ou de la perversion sexuelle qu'Henry James aurait, consciemment ou pas, traités dans son oeuvre de manière subliminale.

D'accord.

Réjouissant programme.



Il n'empêche que pour ma part, et quelle qu'en puisse être l'approche, il m'a juste été pénible d'appréhender cette atmosphère singulière, impossible de m'attacher aux personnages, et surtout très laborieux de m'y retrouver dans cette écriture précieuse, aux circonvolutions sans fin.



J'ajouterai au passage une pensée hautement compatissante pour les élèves (j'en connais) qui ont eu à se farcir cette oeuvre sans les éclaircissements d'usage. Le Tour d'écrou, à l'adolescence et sans filet, je peux comprendre que ça fasse moyennement kiffer.




Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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La coupe d'or

Une merveille de roman psychologique, qui réclame un trésor de patience et d'attention.

Une lecture formée d'une myriade de petites aspérités ; fondant et défaisant la perception d'êtres d'élite, témoin avec l'auteur de leurs atermoiements, face à ce quadrilatère amoureux, subtilement trompeur, subrepticement incestueux, sans jamais briser cette membrane de l'imaginé, du non-dit, s'appuyant sur de puissantes et délicates constructions métaphoriques, souvent architecturales, édifices sans faille formées de longs paragraphes que l'on traverse guidé d'une lueur dorée, indescriptible, remplies par l'imagination du lecteur laissée libre par l'extrême pudeur de l'écrivain.



On pourrait bien-sûr en rester totalement absent, tant ce monde décrit parait étranger : cette société quasiment disparue, noblesse européenne et transatlantique, de lignée ou de fortune, sophistiquée à l'extrême de leur oisiveté, et du très haut niveau de mensonge qui gouverne leur existence.

C'est d'ailleurs à cette éloignement volontaire des réalités naturelles, faites de passions exprimées et d'honnêtes labeurs, que l'on pourrait extrapoler, voir mesurer la santé d'une société. Un chat ne s'appellerait pas plus qu'un autre, tant qu'on ne l'aurait pas décidé…

Ces processus entrent chaque fois en oeuvre, du moment que le pouvoir se concentre dans une société, et que la morale remplace l'expression crue de la vérité.



Le roman, après avoir observé le Prince, s'envole totalement dans sa partie suivant la Princesse, Maggie, figure absolument inoubliable du roman classique, démontrant l'immense talent d'Henry James à suivre et à décrire, jusqu'à la perfection de l'intime, (bien que n'utilisant jamais la dimension physique ou charnelle) une personne à la profonde bonté naturelle, contredisant ainsi l'enseignement du classicisme russe, voulant que l'intelligence se situe dans le malin, l'idiot comme état de nature de celui qui ne fait qu'aimer les autres.

Son reflet supposément maléfique, cultivée jusqu'au sommet, figure émancipée de l'amour libre, Charlotte, n'en reste pas moins le personnage le plus complexe et questionnant, ouvrant une infinité d'interprétation selon la sensibilité du lecteur, mesmérisant à mesure que sa figure se précise, sans que jamais ne soit décidé sa part d'orgueil et sa superbe liberté, enfermée à l'ombre du Prince de Machiavel…



Rarement un roman n'aura autant évoqué sans écrire, de ces brulantes images qu'aucun mot ne se propose de capter, usant de discrètes pistes symbolistes, d'une économie appréciable de personnages, leur laissant tout le loisir de s'épanouir sans que jamais leurs contours ne se précisent, moiré de reflets fuyants se reflétant dans le cristal de cette coupe dont l'or n'est pas uniquement doré.

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Le Tour d'écrou

Diable ! " Le Tour d'écrou"...Moi qui m'attendais à lire paisiblement un traité de bricolage écrit par un dénommé Henry James, j'ai dû me rendre à l'évidence au bout de quelques pages, les travaux allaient être difficiles pour la jeune fille envoyée au château.

Le propriétaire a été très clair : il ne veut rien savoir de l'avancée du chantier. La jeune fille doit se débrouiller seule. En plus, à l'arrivée, on lui colle dans les pattes deux orphelins à problèmes, ce qui n'est pas idéal quand on a un manoir entier à restaurer avec un seul écrou ! Et ce n'est pas tout, je n'avais toujours rien appris au bout de vingt pages sur l'art du bricolage, je commençais à m'impatienter, quand la jeune fille, faisant visiblement le tour des tours pour installer -de nuit ! -des échafaudages, se met à avoir des apparitions !!!!! Un homme roux, très beau, mais "ignoble" ! Qui lui apparaît ensuite derrière une vitre -même pas brisée- et qui, d'après l'intendante du château, d'après la description, est mort l'année dernière ! Oh le chantier !! Quelle galère les travaux ! La précédente jeune fille préposée aux écrous est morte elle aussi l'an dernier ! Et elle réapparaît à son tour !!! Elle veut finir le travail ? Notre jeune fille vivante est dubitative : elle pense plutôt que les deux fantômes veulent enlever les orphelins à problèmes. Il faut clarifier la situation avant de rafistoler les tours.

Question : les orphelins voient-ils les spectres ? Sont-ils stressés par ces apparitions ? C'est difficile à savoir, surtout quand on ne pose aucune question...La jeune fille n'est pas très psychologue. Son truc à elle, c'est le bricolage.

Question : La jeune fille voit-elle vraiment des spectres, ou est -elle stressée par l'ampleur du chantier ? Difficile à savoir, puisqu'il n'y a qu'elle qui parle, et qu'elle est persuadée de voir des spectres.

Question : si quelqu'un s'en prend aux orphelins, sont-ce les spectres ou la jeune fille ?

Le champ des possibles est vaste, et toutes les fenêtres sont ouvertes...Le fantastique peut être pris au premier degré, mais c'est un peu frustrant, d'autant plus que de nombreuses ellipses titillent épouvantablement l'imagination débordante du lecteur...

-Pourquoi le jeune homme (Quint) et la jeune spectre (miss Jessel) sont-ils "ignobles"...Cela ne peut se résumer à une simple aventure...

-De quoi miss Jessel est-elle morte ?

-Pourquoi Miles, le bel ange frappadingue, a-t-il été renvoyé du collège ?

-De qui la jeune fille vivante était-elle amoureuse ?

-Pourquoi le tuteur ne veut-il rien savoir des travaux ? Absolument rien !!!

etc etc...Tout cela grouille de secrets innommables.

En peu de pages, Henry James nous retourne le cerveau. Encore un roman obsédant ! J'ai hâte de lire la suite : "Le coup de marteau". C'est pas tout ça, mais j'espère qu' Henry James traitera enfin son sujet, le bricolage ...
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Washington Square

Jeune fille naïve et assez quelconque, Catherine Sloper n’est pas de taille à résister bien longtemps aux avances du très séduisant Morris Townsend qui prétend l’épouser. Mais, suspectant ce par trop brillant soupirant de n’être qu’un vulgaire coureur de dot et d’héritage, son père, le Docteur Sloper, un riche et distingué veuf dont l’amour sans indulgence ni tendresse s’est toujours teinté de mépris pour cette fille si terne en comparaison de sa mère disparue, lui intime sans ménagement de rompre, sous peine de la déshériter. Après des années de soumission à la tyrannie et aux humiliations paternelles qui ont brisé sa confiance en elle, Catherine ose pour la première fois braver l’autorité du vieux despote. Elle réalise bientôt qu’il avait toutefois bien percé à jour son aventurier de fiancé...





Inspiré d’une histoire vraie, ce roman ne manque pas de cruauté. Dans ce New York de la fin du XIXe siècle où, comme le décrit aussi Edith Wharton, les anciennes et rigides valeurs aristocratiques héritées de la vieille Europe décadente se retrouvent peu à peu battues en brèche par le dynamisme d’une jeune Amérique encline au culte décomplexé de l’argent, s’affrontent deux mondes dont le plus égratigné par Henry James n’est pas forcément ici celui que l’on aurait pu escompter. Car, si, comme il n’en est guère fait mystère dès le début du roman, Townsend est bien un arriviste intéressé par un mariage d’argent, c’est bien plus encore le cynisme froid de l’implacable père et la frivolité stupide de la tante trop romantique, décidée à jouer les entremetteuses, qui occupent le coeur du récit avant de sceller le malheur de Catherine.





Cupidité égoïste d’un côté, orgueil méprisant et borné mais aussi inconséquence balourde de l’autre : la pauvre naïve qui croyait à l’intégrité et à l’amour tombe de haut lorsqu’elle réalise n’être finalement que le jouet des ambitions, des rivalités et des frustrations de tous, et que jamais, ni son prétendant, ni son père et sa tante, ne l’ont considérée et aimée pour elle-même. Se doute-t-on jamais de la gravité des blessures qui ont, un jour, décidé du sort de celles que l’on retrouve, bien des années plus tard, âgées et solitaires ?





La fine observation des comportements et des psychologies au sein de la société bourgeoise du XIXe siècle, aussi bien que l’art consommé de la narration et l’élégance de plume de l’écrivain, font de ce classique, par ailleurs chef d’oeuvre de cruauté, un incontournable coup de coeur.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Portrait de femme

Attention, chef-d'oeuvre absolu !



Je ne me lancerai pas dans l'énumération des nombreux superlatifs contenus dans Le Robert des noms propres pour illustrer mon ressenti de lecture car vous seriez lassés avant d'être arrivés au bout.



Quelle merveille d'écriture et quelle finesse apportée dans la psychologie de tous les personnages, pas seulement dans celui d'Isabel Archer - magnifiquement interprétée à l'écran par Nicole Kidman dans la belle adaptation de Jane Campion, soit dit en passant. Des Etats-Unis à l'Angleterre, de Paris à Rome et Florence, c'est une étude fine et ciselée de la société aristocratique de la fin du XIXème siècle que nous offre Henry James. Flamboyant.



La magnifique et édifiante opposition des mentalités américaine et européenne, entre traditions et conventions, le machiavélisme ou a contrario l'innocence des protagonistes, la soif d'idéal et de liberté qui anime l'héroïne, et l'esthétisme des descriptions font de "Portrait d'une femme" un roman d'apprentissage d'une force terrible et une oeuvre à placer sur le même piédestal que les "Liaisons dangereuses" De Laclos.



Un régal de la première à la dernière ligne ; un chef-d'oeuvre absolu.





Challenge XIXème siècle 2019

Challenge PAVES 2019

Challenge SOLIDAIRE 2019

Challenge MULTI-DÉFIS 2019
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Daisy Miller

Avec une grande simplicité dans l'écriture, Henry James crée une ambiance pleine de vie et d'énergie à travers le personnage d'une ravissante jeune femme américaine qui a décidé de vivre sa vie comme bon lui semble.



On est attendri par sa conduite légère, enfantine, irréfléchie et provocante qui ose transgresser les codes d'une Europe vieillissante et outragée pour affirmer sa volonté et faire ce qu'elle désire.



Cette nouvelle, portrait d'une femme libre, plus classique qu'il ne paraît, a le charme de l'écriture dont la finesse se déploie tout en subtilité.



Une gourmandise câline à la saveur empoisonnée.





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Le Tour d'écrou

Le Tour d'écrou... Titre à la fois intrigant et inquiétant pour toutes les évocations qu'il peut suggérer. C'est en tout cas un coup de maître pour Henry James de maintenir, tout au long de la lecture de ce roman, sa lectrice ou son lecteur dans le vertige du doute : celui dans lequel va les plonger ce récit noir et envoûtant.

En effet, tout est sujet à caution dans ce roman : les éléments du fantastique auxquels se réfère James; le fil de l'intrigue constamment rompu par des ambiguïtés déroutantes, les personnages dont le comportement se prête à de multiples interprétations. A commencer par celui de la narratrice, institutrice de son état et qui va se voir confier la charge de s'occuper de deux orphelins, Miles et Flora, dans une propriété de la banlieue londonienne, Bly. Pour la seconder, Mrs Grose, l'intendante, une brave femme qui a bien les pieds sur terre.

Si l'on adopte un postulat de lecture qui réfute le surnaturel et les apparitions, cette jeune femme dont on ne connaîtra jamais le nom présente un profil psychologique très inquiétant. Comment ne pas être dérangé par le fait que très vite les apparitions de deux personnages, Quint, le majordome et Miss Jessel, l'ancienne institutrice, vont la conduire à malmener son entourage, en l'occurrence Mrs Grose, avec laquelle elle va entretenir des rapports très complexes mêlant persuasion, aveux forcés puis une forme de persécution qui va avoir raison du bon sens de cette femme peu habituée par sa fonction à faire front face à l'adversité. Même jeu pervers avec les deux enfants dont elle a la charge. D'abord complètement idéalisés, ils vont devenir peu à peu dans son esprit des êtres diaboliques, sous l'influence des deux revenants maléfiques que sont devenus Quint et Miss Jessel, morts dans des circonstances que l'on ne connaîtra jamais. Obsession d'un complot qui se tisserait contre elle, paranoïa qui va d'abord la pousser à se poser comme sauveteuse des enfants, puis comme leur persécutrice, sa folie va la conduire au dérapage dramatique d'une situation qu'elle ne contrôle plus...

Oui mais... Cette lecture n'est pas la seule possible car le récit qui nous est fait par la narratrice concerne des faits passés, alors qu'elle a poursuivi apparemment sa carrière dans d'autres familles sans que rien ne puisse lui être reproché bien au contraire. Quid alors de sa folie ? Même si l'on doute de l'existence des deux revenants maléfiques que sont Quint et Miss Jessell comment mettre en doute les propos de Mrs Grose qui les dépeints comme deux êtres nuisibles et manipulateurs ? Quid alors de leur réelle influence et de leurs relations avec les deux enfants qui refusent d'en parler ? Vue sous cet angle, c'est un tout autre histoire qui se dessine...

Rien n'est donc simple dans ce roman et c'est ce qui, à mes yeux, est passionnant car à chaque instant tous les faits qui se présentent peuvent être soumis à une double lecture.

Je pourrais ajouter également que si l'on accepte les codes d'une écriture délicieusement surannée, certaines scènes d'apparitions ou avec les enfants sont d'une intensité dramatique et émotionnelle à couper le souffle.
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La maison natale

"Fantôme : Signe extérieur évident d'une frayeur interne."

(Ambrose Bierce, "Le Dictionnaire du Diable")



Peut-on considérer "La maison natale" ("The Birthplace", 1903) comme une histoire de fantômes ? Oui et non.

Dans sa carrière d'écrivain, Henry James a abordé plusieurs fois la thématique, toujours à sa façon. Il y a beaucoup d'ambigüité dans les "ghost stories" de James. Ce sont davantage des récits psychologiques qui analysent les rapports de ses protagonistes aux diverses "apparitions", parfois seulement aux sensations inconfortables. Quelque chose n'est pas comme cela devrait l'être dans un monde ordinaire...

James n'aime pas la simplicité. Même dans les histoires comme "La redevance du fantôme" qui trouve une explication rationnelle, la fin nous fait retomber à nouveau dans cette ambigüité toute jamesienne. Sans parler des récits comme "Le coin plaisant", ou l'indéchiffrable "Tour d'écrou", qui a autant d'interprétations que de lecteurs.



"La maison natale" peut donc être vue comme une histoire d'un lieu hanté par les esprits d'autrefois. Mais elle a cette particularité que ces esprits sont évoqués délibérément, puis exorcisés par le désir humain de toujours tout savoir, tout expliquer... jusqu'à tordre la vérité en la transformant en mensonge. C'est une fine analyse de l'avidité humaine pour le sensationnel, et sous cet angle on peut la considérer davantage comme une satire dont la fin pourrait prêter à sourire, si elle ne faisait pas tant réfléchir.



La nouvelle était mentionnée dans l'ouvrage de James Shapiro sur la controverse shakespearienne, et sa lecture n'a fait que confirmer mes opinions sur le bien-fondé même de cette controverse : quand on ne sait pas, on préfère s'inventer une vérité, si possible colorée et époustouflante, susceptible d'intéresser les masses. Sinon, quel intérêt ?

Henry James n'a jamais été l'un de ces "oxfordiens" ou "baconiens" convaincus ; il avait seulement d'inexplicables doutes (ce qui lui ressemble bien, après tout) sur la paternité des oeuvres de Shakespeare. Il a visité la maison natale de Shakespeare à Stratford plusieurs fois en 1901, et c'est sa discussion animée avec le guide Joseph Skipsey qui a inspiré cette nouvelle. Skipsey et sa femme étaient d'abord ravis et honorés d'obtenir le poste de gardien de ce sanctuaire stratfordien. Mais très bientôt, ils ont découvert que leur travail ne consiste qu'en mystifications et tromperies réclamées par le grand nombre de visiteurs, qui exigent une anecdote mémorable sur chaque pièce, chaque objet - un fabuleux conte à avaler sans scrupule. Ils ont fini dégoutés, tant intellectuellement que moralement, par la façon dont ils devaient affronter les touristes, et ils ont démissionné quelques années plus tard... persuadés que si l'esprit du Barde a jadis possédé ces lieux, cela fait bien longtemps qu'il est parti.



L'histoire des Gedge de la nouvelle ressemble beaucoup à celle des Skipsey, du moins au début. Un couple modeste mais cultivé, tous les deux amateurs de l'Oeuvre, ils acceptent avec joie de devenir les gardiens du Sanctuaire. James ne mentionne jamais le nom de Shakespeare ni de la localité de Stratford, et même si on le devine aisément, sa nouvelle prend ainsi une dimension universelle et presque inquiétante.

Les meubles, les objets, la cheminée... mais est-ce qu'il reste encore quelque chose de Lui, entre ces quatre murs ? Morris Gedge voudrait le croire. Il arpente la maison la nuit, à la recherche d'un signe, d'une révélation... Mais le jour se lève, et les visiteurs arrivent, déçus de ne pas pouvoir repartir la tête dans les nuages. Les "faits" ne leur suffisent pas, ils veulent un "show".

Les honnêtes Gedge traversent une véritable crise, dont l'issue sera toute différente de l'histoire racontée par Joseph Skipsey.

Ils viennent pour un spectacle ? Eh bien, ils l'auront !

Ensuite, on ne peut plus que se demander si l'esprit du Barde a définitivement abandonné son lieu de naissance, ou, au contraire, s'il s'est emparé de Morris Gedge. Tout comme Shakespeare a resuscité les anciens rois et grands hommes de l'antiquité sur la scène du Globe, Gedge va resusciter William Shakespeare sur les planches de sa maison natale. Son "spectacle" est tellement grandiose, tellement plaisant, tellement imaginatif qu'on en parle même en Amérique. (Et ces passages vous feront regretter que James ne se soit jamais vraiment réalisé dans le genre comique.) La question reste : quelle sera la réaction de son employeur, face à ce théâtre populaire tant applaudi par les bardolâtres... ?



Finalement, c'est donc bien une histoire de fantômes, même si les discrètes présences y sont remplacées par des apparitions carnavalesques qui agitent des chaînes en faisant beaucoup de bruit pour rien. Après tout, c'est ce qu'on préfère tous... la réalité est tellement fade et ennuyeuse ! Ou au contraire, comme le remarque le cynique Bierce, elle est difficile à affronter. Quoi qu'il en soit, le résultat est toujours identique : la tendance à la déformer. Et Shakespeare, dans tout ça ? Je crois que son esprit est parti se réfugier dans ses pièces et ses poèmes, où personne ne risque de le déranger. C'est là que vous le trouverez, si le coeur vous en dit.

4/5, non à cause de l'histoire qui est parfaite, mais pour la difficulté de lecture. Il était intelligent de la part de James de ne jamais évoquer explicitement aucun nom ni lieu, mais cela crée parfois des phrases opaques, pas évidentes à saisir du premier coup.
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Portrait de femme

Il y a bien longtemps que je l'ai lu, mais quelques mots tout de même sur un des romans majeurs de Henry James. Comme souvent avec James, dont le frère était philosophe, c'est vaste et compliqué. Tout d'abord, nous avons des thèmes habituels: roman international (une Américaine en Europe), novel of manners (roman de mœurs, comme Edith Wharton ou en Roumanie Hortensia Papadat-Bengescu, qui souligne donc l'importance des conventions sociales et à quel point on ne s'en extrait pas, sauf temporairement ou moyennant un prix exorbitant).

Cela posé, avec James il faut partir d'un certain nombre de présupposés: les personnages les plus intelligents, subtils, clairvoyants cachent toujours un cancer ou quelque chose dans le genre. Dans "The American", c'est Valentin, ici, très clairement, Ralph Touchett. Ensuite, bien sûr, même s'il s'agit d'une orpheline, les personnages n'ont pas vraiment de problèmes d'argent, sauf s'il s'agit d'en obtenir plus: problèmes de riches (et plus ou moins oisifs), donc.

Ici, James aborde la question du vice et de la vertu et les relations entre les deux. Comme d'habitude, c'est nuancé et par moments torturé. D'abord, l'héroïne innocente et manipulée est encline au péché d'orgueil, qui la fait épouser Osmond, aux goûts esthétiques qu'elle juge exquis (voir aussi la supériorité dont elle pense qu'il fait preuve vis à vis de Lord Warburton). Ensuite, du côté des méchants, Serena Merle s'exclame: "What have I been so vile for?" tandis qu'Osmond ne trouve au bout du compte que peu de satisfaction dans ses machinations occultes (Daniel Touchett le qualifie de "sterile dilettante", termes d'autant plus pertinents qu'il n'a pas d'héritier légitime). Ralph rappelle enfin à Isabel qu'elle a été haïe mais aussi aimée ("Ah, but Isabel, adored"), y compris par Osmond. En quelque sorte, le vice ne paye pas, et la vertu n'est pas exempte de vice.

Il y a enfin la question de la condition féminine. Henriette Stackpole travaille et est indépendante mais plus un sujet de satire qu'autre chose; Serena Merle maîtrise les manières du monde, mais c'est une intrigante; Pansy est soumise sans espoir; la comtesse Gemini, qui révèle à Isabel la vérité sur Osmond et Mme Merle, est elle aussi un sujet de mépris et de moqueries, ce qui ne manque pas d'ironie, dans la mesure où Isabel finit, notamment avec les fiançailles putatives de Lord Warburton et Pansy, où James semble suggérer qu'Isabel pourrait coucher avec son ex-prétendant pour huiler les rouages (en soi encore une machination vouée au mieux à la stérilité) par se trouver involontairement dans un sordide bien plus cru encore que celui de sa comtesse de belle-sœur. Enfin, Isabel ne pourrait s'affranchir de son mariage avec Caspar Goodwood, par exemple, qu'en abandonnant Pansy, soit une autre femme, à son triste sort.
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Le Tour d'écrou

C'est en lisant un livre comme "le tour d'écrou" que je me dis que je ne lis pas assez de classiques. Il est en effet bien agréable, entre deux romans plus modernes, de se plonger dans une œuvre plus ancienne. Et d'autant plus lorsque le récit en question relève de la littérature de genre. Et dans ce registre, force est de constater que les auteurs du 19ème siècle ne manquaient pas de savoir-faire.



Si les effets utilisés pour susciter l'angoisse sont moins évidents que dans la littérature d'épouvante contemporaine, on n'est pas ici dans le démonstratif, ils n'en demeurent pas moins efficaces. L'auteur parvient à créer le trouble et à installer une atmosphère oppressante nimbée d'une angoisse sourde., distillée subtilement par petites touches. Cela, grâce à un récit très bien mené qui prend la forme d'un drôle de jeu.



Car c'est à une expérience étrange que nous convie Henry James avec "le tour d'écrou", celle de la lecture créative. Plutôt que de prendre le lecteur par la main, plutôt que de tout lui montrer, plutôt que de démêler explicitement le vrai du faux, l'auteur choisit de laisser l'imagination du lecteur remplir les trous de son récit. James manie l'art des non-dits avec brio et avec un goût de la manipulation certain. Cet art de la suggestion n'a pas pour seule intention de créer de l'angoisse. C'est à dessein que Henry James ne livre pas toutes les clés de son roman. En remplissant lui-même les zones d'ombre du récit, en imaginant ce qui n'est pas révélé, en explicitant ce qui est tu, le lecteur se retrouve confronté à sa propre perversité. Tout au long de ma lecture, je me suis demandée si l'auteur avait "explicitement sous-entendu" ce que j'avais imaginé ou si c'était mon esprit tordu qui en avait fait cette interprétation.

Et ce questionnement du lecteur est à l'image du personnage de la narratrice. Les fantômes qui veulent posséder les enfants sont-ils réels ou ne sont-ils que le reflet de sa propre psyché ? N'est-ce pas elle qui désire prendre possession du jeune Miles (une possession qui n'aurait alors rien de spirituelle) ?



C'est ce double-jeu qui rend la lecture du "tour d'écrou" si particulière, qui lui confère un caractère troublant à l'extrême, un trouble qui va jusqu'à une doucereuse sensation de malaise.

Comme quoi, il n'est pas besoin d'user de grands effets chocs pour remuer un lecteur.



A noter que l'édition proposée par le livre de poche inclut une préface et des notes de la traductrice qui éclairent la lecture de façon très intéressante.



Je profite également de cette modeste critique (un peu embrouillée) pour vivement conseiller la vision de l'adaptation cinéma signée par Jack Clayton en 1961 (avec Deborah Kerr, remarquable) intitulée "les innocents" qui est un véritable petit bijou et qui, à mon avis, est à classer aux côtés de "la maison du diable" de Robert Wise dans le panthéon des meilleurs films d'épouvante gothique.



Challenge Variété 9 (catégorie "un livre qui a plus de 100 ans")

Challenge Petits plaisirs 15
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Le Tour d'écrou

Un livre d’horreur, une histoire de fantômes écrite par un écrivain devenu classique. Voilà déjà deux éléments essentiels qui alimentent notre envie de lire cette longue nouvelle.



En présentant ce livre, on se heurte à une contrainte. Celle de livrer l’histoire aux lecteurs et par conséquent, atténuer le mystère et le suspense. Aussi essayerai-je de conserver ces deux derniers.



Henry James utilise un début digne du XIXème siècle pour introduire son histoire. Un groupe qui se raconte des histoires. Comme dans cet autre court roman de Tourgueniev où il faut raconter son premier amour, ici, il faut des histoires plus lugubres, effroyables. L’un d’eux promet d’apporter une histoire singulière et il tient sa promesse tout en jetant un grand mystère autour d’elle pour attiser la curiosité de son auditoire et du lecteur. Mais aussi pour confirmer la crédibilité de ce récit, puisqu’il s’agit d’un manuscrit qu’il veut leur lire. Et ainsi une narratrice commence la relation des événements étranges qu’elle a vécus.



Ce qui tient le lecteur aux aguets ce n’est pas seulement les apparitions de fantômes. Mais c’est surtout la narration, la façon avec laquelle la narratrice rapporte ces faits. Sa narration sème le doute, n’éclaircit rien et nous tient haletants, hébétés, attentifs, lisant et relisant pour ne rien perdre. Cette jeune femme est tourmentée par ce qu’elle vit, ce qu’elle voit (ou croit voir) et cela apparaît dans sa narration, beaucoup de phrases incises, de développements sans issue, de choses tues et d’hésitations. Elle doit s’occuper avec dévouement de ce petit garçon et de cette petite fille. Ces deux tendres, doux, intelligents enfants. Elle a promis à leur oncle de les protéger sans le déranger dans tous les cas. Elle se trouve dans une confrontation avec des fantômes malsains qui veulent corrompre (qui ont déjà réussi à le faire) ces enfants innocents (où le mal s’acharne contre le bien).



Cette narration implique le lecteur. Il ne doit pas seulement chercher la vérité avec la narratrice, il doit écouter (lire) son récit avec beaucoup de méfiance. On voit tout, à travers elle. On n’a pas d’autres points de vue. Elle nous livre ses interprétations des faits. Or, rien ne nous assure qu’elle dit la vérité, ni qu’elle mente ou hallucine, qu’elle soit saine d’esprit ou folle. Et le lecteur doit avancer dans cette ambiguïté, dans l’obscurité totale, à chaque fois que la narratrice souffle la bougie. Cette narration elliptique, inachevée déconcerte le lecteur qui veut résoudre les énigmes, mais qui n’a pas assez de moyens, la narratrice ne l’aide que peu. C’est là même l’essence de cette œuvre et le plaisir de cette lecture. L’art de James réside dans le choix de cette narratrice. Car, on le sait bien l’histoire lui vient d’une anecdote qu’il a entendu d’un archevêque (les grandes histoires de ce siècle ont cela de merveilleux qu’elles ont pour source des faits divers ou des anecdotes comme pour "Madame Bovary" ou "Le Rouge et Le Noir"). Cette transformation que subit cette anecdote est "Le Tour d'écrou".

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Washington Square

Véritable coup de cœur !



J'avais été tellement déçue par "Le tour d'écrou" que ce ne fut pas sans une certaine appréhension que j'entamai la lecture de "Washington Square" mais les deux romans n'ont finalement rien en commun si ce n'est leur auteur.



Auteur dont la maîtrise stylistique m'a totalement séduite, à sa façon de distiller dans sa narration un tel équilibre entre cynisme, humour et justesse, associé à une si profonde connaissance de la psychologie de ses quatre personnages principaux ; j'ai dévoré son récit avec un plaisir toujours croissant, jusqu'au dénouement.



***ALERTE SPOILERS***

New York, milieu du XIXème siècle.

Catherine, fille unique et héritière d'un médecin réputé, n'a pour principaux attraits que sa nature placide et la fortune colossale dont elle doit hériter. Aux yeux de la bonne société bourgeoise dont elle est issue, on ne peut la comparer à d'autres jolies figures dont les manières séduisantes attirent irrésistiblement les brillants futurs grands hommes de la cité en plein boom économique. Ainsi, quand un certain Mr Townsend déclare l'aimer à la folie, l'ingénue Catherine se laisse-t-elle convaincre qu'elle a en effet pu s'attacher par le seul charme de sa personnalité cette nature passionnée, le plus bel homme qu'elle ait jamais rencontré. Qu'il n'ait ni profession ni fortune ne semble guère peser dans la balance et pas une seconde elle n'admettrait avoir affaire à un coureur de dot sauf que son père est d'un avis totalement opposé ; partant de là, il mettra tout en oeuvre pour ruiner les chimères de sa fille sans souci de la blesser et les grandes espérances de son prétendant qu'il a parfaitement percé à jour.



Ici, le drame est remis à sa juste place, rejetant obstinément le romanesque, fidèle à son environnement social, rendu crédible par sa banalité même et néanmoins beau et touchant par sa simplicité, sa sincérité et la juste évocation de ses évolutions.



J'ai été complètement séduite par le tableau psychologique de cette jeune passion nourrie par les vanités et la sottise des uns et des autres. J'ai également aimé voir se construire New York et évoluer sa société dans un contexte qui bien qu'étant sensiblement antérieur n'a pas été sans m'évoquer celui des grands romans d'Edith Wharton.





Challenge ABC 2014 - 2015
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Portrait de femme

Les écrivains du XIXè siècle étaient-ils tous psychologues avant l'heure, et spécialistes du sentiment amoureux pour couronner le tout ? Au même titre que les livres de Jane Austen, Portrait de femme m'a frappée par la justesse de l'analyse psychologique approfondie du moindre ressort des actions et pensées de chacun des nombreux personnages...



C'est une véritable prouesse qui a suscité chez moi une admiration amusée et l'impression de mieux comprendre notre fonctionnement, mais très peu d'émotions. En somme un morceau de bravoure de 700 pages, qui fait parfois un peu penser à Machiavel ou aux Liaisons dangereuses et n'a à mes yeux pas pris une ride, sauf peut-être pour le style parfois très alambiqué et qui oblige à une grande concentration.



La femme dont le roman dresse le portrait est Isabel Archer, jeune américaine libre, intelligente et belle qui rêve de découvrir l'Europe et plus ambitieusement la vie. Autour d'une telle héroïne, les prétendants, les intrigants et les fidèles ne manquent pas. Isabel sait parfois les reconnaître et faire les bons choix... mais pas toujours, parfois elle fonce droit dans le piège, d'autant plus droit qu'elle veut faire preuve d'indépendance face à ses amis qui l'ont mise en garde... C'est d'ailleurs probablement ses mauvais choix, ses entêtements et ses difficultés qui sont les plus intéressants et les plus réalistes, faisant du livre bien plus qu'un roman d'apprentissage un peu mièvre et compliqué.



Ironique et désabusé, mais aussi courageux et généreux, ce portrait de femme (qui pourrait d'ailleurs être au pluriel tant Mme Merle, Henrietta, Mrs Touchet et Pansy y sont présentes) mérite sa place au musée ou dans votre bibliothèque.



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Les papiers de Jeffrey Aspern

Apres avoir lu Aura de Carlos Fuentes et l'avoir taxe de reecriture des Papiers de Jeffrey Aspern, j'ai relu cette novella d'Henry James. Et j'ai fini riant dans ma barbiche parce que j'ai trouve que la copie est meilleure que l'original. Il y plus de suspense, il y a plus de gothique et en meme temps plus de romantique, c'est plus noir, et le denouement est mieux amene et nettement plus reussi parce qu'il laisse le lecteur dans une certaine incertitude, plein de questions et plein de reponses possibles.





Henry James nous presente trois acteurs qui jouent au jeu du chat et de la souris dans un palace delabre de Venise. Venise? Comparee a celle de Thomas Mann dans La mort a Venise, la Venise de James n'est qu'une carte postale.



Mais bon… trois personnages: une vieille femme, sa niece, un peu innocente et inexperte dans la vie, et un ecrivain, critique litteraire, qui croit que la vieille possede des lettres et des papiers d'un poete celebre et veut les lui soutirer. Comme on s'y attend chacun essaye de manipuler l'autre ou les deux autres, et il se pourrait meme que la jeune innocente ne soit pas la moindre manipulatrice.



Mais bon… il ne se passe pas grand chose et je n'ai pa ete tres convaincu par la psychologique des personnages, mis a part les changements qui s'operent chez la jeune niece. Et la fin? Mineure, anodine, presque derisoire a mon gout. Rien a voir avec la force hallucinante de la fin de Aura.





Je n'ai pas aime. Il me vient comme une envie d'amputer ce billet d'une etoile pour la rajouter a celui d'Aura…

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Les Bostoniennes

Pour les tortues qui savourent lentement la littérature, voici un classique idéal: 695 pages découpées en petits chapitres, pour une parution en feuilleton dans la presse d'une époque reculée ...alors, prêtons-nous au jeu de la lecture longue distance avec les mêmes personnages, et savourons le style d'Henry James qui nous emmène dans son monde.



Certes, je veux bien convenir avec lui, à la page 555, qu'une traduction peut obscurcir un univers littéraire, mais je ne suis pas assez douée pour le lire dans sa langue, comprendre son humour décalé lorsqu'il nous interpelle sur ses héros, alors je remercie tous les traducteurs pour leur médiation.



Les Bostoniennes, c'est un peu la foire aux vanités des suffragettes américaines des années 1870, si j'osais la comparaison. Un sudiste, pauvre, ruiné par la guerre civile, Basil Ransom, tombe amoureux d'une militante féministe charismatique très belle, et devient le rival de sa propre cousine, Olive, riche et indépendante bostonienne. Le triangle amoureux est très original, osé pour l'époque, les militantes de l'émancipation coincées dans pas mal de contradictions, les personnages secondaires très intéressants. Le dialogue liberté aliénation prend alors des nuances inattendues, et tout est dit avec une légèreté qui n’exclut pas la passion . Le style est brillant , c'est un bonheur de lecture. On entendrait presque l'accent sudiste de Basil.



Avec Henry James, le New-yorkais, on entre dans une Amérique des villes, on s'y promène avec lui, et dans cette bonne société qui voyage en Europe vécue toujours comme une référence . On découvre l'importance de la rhétorique de séduction dans le discours politique qui a tout d'un prêche religieux, mâtiné de discours des saltimbanques ambulants qui sillonnent le pays. On comprend comment des militantes antiesclavagistes, orphelines d'une cause, ont pu se tourner vers le féminisme dans une démocratie balbutiante et communautariste. Il nous transmet la douleur des vaincus de la guerre civile en quelques touches émouvantes.



je ne vous dirai bien évidemment rien des choix de la belle courtisée de toute part ...à vous d'entreprendre le chemin. Ce roman mérite d'être redécouvert assurément.

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Le Motif dans le tapis - La Bête dans la jungle

John Marcher se croit promis à un incroyable destin. C'est certain, un jour, il sera chaviré, bouleversé, peut-être même anéanti mais il va vivre quelque chose de fort! Et comme le dire autour de soi serait passer pour un fou, notre héros choisit le secret. Secret partagé pourtant, avec une amie qui, au fil des années d'attente, prendra de plus en plus de place dans sa vie...

Puissante et bouleversante nouvelle sur le thème de l'attente et des actes manqués car à l'automne de sa vie, alors que son amie se meurt, notre héros attend toujours et il lui faudra se confronter à la mort pour comprendre enfin que le grand bouleversement était là, à portée de main, dans la patience, la compréhension et la fidélité de cette douce femme qui l'aimait. Alors certes, notre héros est sans doute un idiot égocentrique, mais sa douleur est si profonde qu'elle nous bouleverse. Il fut aveugle, oui, pendant trop longtemps mais les regrets le feront enfin se sentir vivant. "Il n'est jamais trop tard" lui disait son amie....
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Le motif dans le tapis

Il y a, dans l'immense panorama de la littérature mondiale, un certain nombre de romans très brefs, presque des nouvelles - comme, par exemple, le Bartelby de Melville -, dont l'intérêt est inversement proportionnel au petit nombre de leurs pages. "Le motif dans le tapis" de Henry James est, à mon avis, de ceux-là. Ce n'est pas le plus connu de ses textes, et certainement pas le plus lu. Mais en moins de cent pages, et avec tout le talent qu'on lui connaît, Henry James construit là une histoire aussi intéressante qu'originale.



Combinant l'amusement et le mystère, il conduit le lecteur à s'interroger avec le narrateur sur l'essence de la littérature et sur l'existence de ce “motif” secret qui constitue(rait) la trame d'une oeuvre littéraire, cette “petite musique” - comme eût dit Proust - qui revient comme un leit motiv, de livre en livre, chez un même écrivain et en légitime le travail. Ce motif dissimulé dans le tapis des histoires et qui toujours échappe à la vigilance des critiques les plus avertis, c'est ce que l'écrivain Hugh Vereker met un jeune journaliste littéraire - notre narrateur et l'un de ses plus grands admirateurs - au défi de découvrir.



Quoi de plus intrigant pour un critique fervent que de se montrer à la hauteur du challenge proposé par le Maître ? Et nous voilà à notre tour entraînés avec le narrateur puis l'un de ses amis dans un jeu de déconstruction littéraire, avec pour objectif la résolution d'une énigme au sein de laquelle - peut-être - se cache l'ultime secret de la création romanesque. Mais les mystères intrinsèques de la littérature ne se laissent pas si facilement violer, et l'entreprise, au bout du compte, ne sera peut-être pas tout à fait sans danger…



J'ai vraiment beaucoup aimé cette histoire, ces personnages emportés par leur folle et vaine ambition, tout comme l'ironie passablement taquine de Henry James et la réflexion, aussi malicieuse que profonde, de l'un des plus grands écrivains américains sur les ressorts cachés de l'écriture. Un excellent moment de lecture, et un texte à (re)découvrir.



[Challenge Multi-Défis 2020]
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Portrait de femme

Portraits psychologiquement très finement élaborés d'hommes et de femmes du XIXème siècle, vivants entre l'Amérique et le Vieux continent, servis par la plume alerte ( l'humour pointe souvent pour le plaisir du lecteur ) et le style limpide et raffiné d'Henry James.



En fait, j'ai en même temps aimé et été agacée par ce livre. Je m'explique.

Bien sûr, le personnage principal Isabel Archer, une jeune américaine orpheline, fougueuse, intelligente et belle, " qui a beaucoup de volonté et du tempérament ", et " ne veut pas commencer sa vie en se mariant ", éperdue de liberté et d'indépendance est très attachante, on sent dès le début que ses aventures réservent des surprises. Mais justement, toute la première moitié du roman nous dresse un portrait très enlevé et prometteur d'Isabel, et selon moi, la deuxième partie ne tient pas toutes ses promesses.

En effet, une fois mariée, elle n'existe presque plus, devenant en quelque sorte la marionnette de son mari, ruminant rapidement sa tristesse, son aigreur et son échec. Évidemment, les mœurs du XIXème siècle n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui, et le mariage était davantage un engagement définitif, ce qu'Isabel met en avant, mais j'ai eu du mal à reconnaître l'héroïne flamboyante et orgueilleuse qui allait découvrir le monde à sa façon et se retrouve finalement prisonnière d'un mari despote et intéressé par sa fortune. D'autant que ses amis l'ont mise en garde, et virtuellement le lecteur aussi, si si, je vous assure, on le voit venir le prétendant. Pourquoi donc tombe-t-elle dans le panneau ? Alors, Henry James, pourquoi nous avoir promis une si belle et ardente héroïne pour la laisser empêtrée dans un mariage indigne d'elle ? C'est le côté frustrant de l'intrigue.



En revanche, l'écriture est juste magnifique, et même élégante. L'auteur excelle à peindre les portraits de tous ses personnages, à décrire leurs ressentis les plus intimes, sans négliger les personnages plus secondaires. À plusieurs reprises, je me suis surprise à penser que ses descriptions brossaient réellement un tableau qui se composait au fil de ma lecture, et c'est assez rare pour être souligné. Pour ce bonheur procuré par la belle écriture, la découverte de ce portrait de femme vaut le détour.

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