Citations de Hermann Hesse (2218)
Le loup des steppes vivait totalement en dehors du monde bourgeois. Il n'avait en effet ni vie familiale ni ambition sociale. Il se sentait profondément différent des autres. Il se voyait parfois comme un ermite maladif, parfois comme un individu doué de facultés supérieures à la norme.
Jamais personne ne désira plus profondément et plus passionnément être libre. Jamais il ne se vendit, ni pour de l'argent et du confort, ni à des femmes ou à des puissants. Rien ne lui semblait plus détestable et effrayant que de devenir un employé, que de devoir respecter un emploi du temps journalier, annuel et obéir à d'autres.
J'étais fort étonné que l'ermite eût une liaison avec une femme, de surcroît si jeune, si charmante, si élégante, et toutes les hypothèses que j'avais échafaudées sur sa personne et son existence se trouvèrent alors remises en cause.
L'étranger avait des habitudes de sommeil et de travail aussi erratiques que fantaisistes, et il en allait de même quant à sa manière de manger et de boire. Souvent il ne sortait pas de la journée, n'avalant rien si ce n'est son café du matin.
Mais certains jours il mangeait au restaurant, tantôt dans des établissements raffinés, tantôt dans des petits bistrots des faubourgs...
Un jour il déclara au détour d'une conversation qu'il n'arrivait plus à digérer ni à dormir correctement depuis des années. J'attribuai cela essentiellement au fait qu'il buvait. Plus tard, lorsqu'il m'arriva de l'accompagner dans une de ses tavernes, je pus constater avec quelle rapidité et quelle soudaineté il avalait les verres de vin.
La première chose qu'il me fut donné de découvrir, en partie grâce à mes observations secrètes, en partie grâce à certaines remarques de ma tante, concernait le mode de vie de Harry Haller. Il apparut très vite que cet homme se consacrait entièrement à la pensée et aux livres et qu'il n'exerçait pas de métier concret. Il restait toujours longtemps au lit, se levait souvent juste avant midi et franchissait alors en robe de chambre les quelques pas qui séparaient la pièce où il dormait de la salle de séjour.
Une liste de livres qu'il faut avoir lus absolument, et sans lesquels il n'y a ni salut ni culture, n'existe pas !
Il y a une énorme différence entre la vie intellectuelle et l'image que la presse en donne.
Plus un mot est vieux, plus il recèle de force vitale et d'évocation.
J’ai été un chercheur, et le suis encore, mais je ne cherche plus dans les astres et dans les livres. Je commence à entendre ce qui bruit dans mon propre sang. Mon histoire n’est pas agréable à lire.
Si nous n’étions pas autre chose que des êtres ne vivant qu’une fois, une balle de fusil suffirait en effet à supprimer chacun de nous, et alors raconter des histoires n’aurait plus aucun sens. Mais chaque homme n’est pas lui-même seulement. Il est aussi le point unique, particulier, toujours important, en lequel la vie de l’univers se condense d’une façon spéciale, qui ne se répète jamais. C’est pourquoi l’histoire de tout homme est importante, éternelle, divine. C’est pourquoi chaque homme, par le fait seul qu’il vit et accomplit la volonté de la nature est remarquable et digne d’attention.
La mise au pas des individus, même avec les meilleures intentions du monde, va à l'encontre de la nature et ne conduit pas à la paix et à la sérénité, mais au fanatisme et à la guerre.
On exige de l'homme qu'il renonce une fois pour toutes à lui-même et à l'idée qu'à travers lui, quelque chose de personnel et d'unique pourrait être signifié ; on lui fait sentir qu'il doit s'adapter à un type d'humanité normale ou idéale qui sera celle de l'avenir, qu'il doit se transformer en un rouage de la machine, en un moellon de l'édifice parmi des million d'autres moellons exactement pareils.
Ma vie avait été pénible, incohérente et malheureuse, elle conduisait au renoncement et au reniement, elle avait le goût de l'amertume humaine, mais elle était riche, fière et riche, souveraine même dans la misère. Qu'importait que le petit bout de chemin qui restait jusqu'au crépuscule fût, lui aussi, lamentablement perdu; le noyau de cette vie était noble, elle avait de la dignité, de la race : je ne misais pas des sous, je misais des étoiles.
A quoi bon penser, dire, écrire quelque chose d'humain, remuer dans sa têtes des idées meilleures - pour deux ou trois hommes qui le font, il y a, jour après jour, des milliers de journaux, de revues, de discours, de séances publiques et secrètes qui recherchent et qui obtiennent tout le contraire!
Le bourgeois, lui, cherche à garder le milieu modéré entre ces deux extrêmes. Jamais il ne s'absorbera, ne s'abandonnera ni à la luxure ni à l'ascétisme; jamais il ne sera un martyr, jamais il ne consentira à son abolition : son idéal, tout opposé, est la conservation du moi; il n'aspire ni à la sainteté ni à son contraire, il ne supporte pas l'absolu, il veut bien servir Dieu, mais aussi le plaisir; il tient à être vertueux, mais en même temps à avoir ses aises. Bref, il cherche à s'installer entre les extrêmes, dans la zone agréable et tempérée, sans orages ni tempêtes violentes, et il y réussit, mais aux dépens de cette intensité de vie et de sentiment que donne une existence orientée vers l'extrême et l'absolu.
Ce regard disait : "Vois donc les singes que nous sommes! Vois donc, l'homme, c'est ça!" Et la célébrité, la lumière, les gains de l'esprit, les élans vers la grandeur, la noblesse, la perpétuation de ce qui est humain s'écroulaient, n'étaient plus que singerie.
Espèces de fous ! Vous restez ici enfermés à jouer du violon alors que dehors, le monde entier s’est métamorphosé. Réveillez-vous et courez pour ne pas arriver trop tard. Sur la place du marché se trouve un homme qui donne à chacun selon son désir. Vous n’aurez plus besoin de vivre dans cette mansarde ni de payer le loyer modique qui vous est réclamé. Allez donc, avant qu’il ne soit trop tard ! Moi aussi, je suis un homme riche aujourd’hui.
Le violoniste entendit ces mots qui le plongèrent dans la stupéfaction, mais comme leur auteur ne lui laissait pas de répit, il posa son instrument et mit son chapeau sur la tête. Son ami le suivit en silence. A peine furent-ils sortis de la maison, ils eurent le spectacle de la métamorphose étrange qui s’était opérée dans la ville.
Et il y a encore une chose qui m'a frappée, je l'ai découverte une nuit où je devais me rendre utile auprès d'une femme en couches : c'est que la suprême douleur et la suprême volupté s'expriment tout à fait de la même manière.
Chacun doit trouver son rêve. Alors son chemin devient facile. Mais il n'est point de rêve éternel. A chacun de nos rêves en succède un autre, et l'on ne doit s'attacher à aucun d'eux.
Le Savoir peut se communiquer, mais pas la Sagesse. On peut la trouver, on peut en vivre, on peut s'en faire un sentier, on peut, grâce à elle, opérer des miracles, mais quand à al dire et à l'enseigner, non cela ne se peut pas.
Et s'il existait un savoir humain, un bien spirituel, une certitude, une supériorité de l'esprit sur le précarité des choses, qu'on pût obtenir et conserver, cela ressemblait aux étoiles, cela avait leur rayonnement froid et tranquille, leur réconfort frissonnant, leur air d'éternité un peu ironique.
Il se sentait alors de taille à tout faire, et à d'autres moments il était capable de tout oublier et de rêver avec un attendrissement et un élan nouveaux chez lui, d'écouter la pluie ou le vent, de contempler fixement une fleur ou le courant de la rivière : il ne comprenait rien et il sentait tout, emporté par un mouvement de sympathie, de curiosité, de volonté de comprendre, entraîné de son propre moi vers un autre, vers l'univers, le mystère et le sacrement, vers la beauté douloureuse du jeu du monde phénoménal.