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Critiques de Herta Müller (152)
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L'homme est un grand faisan sur terre

Windisch est meunier .

Le veilleur de nuit est assis sur un banc.

Le chien aboie.

Il y a un rat dans la paille.

Et puis des lézards, des crapauds, des chouettes, des cigognes et des merles et des grillons et des corneilles., mais pas de faisan.

Ah, non, suis-je bête, le faisan , c’est l’homme.

Le menuisier occupé à terminer le cercueil de sa mère se blesse avec une écharde, sa femme la lui enlève et il lui caresse les seins avec son doigt plein de sang.

Un autre doigt, visqueux, sort de la toison de la femme de Windisch, il voit le doigt. Il sait qu’elle s’est prostituée en Russie.

Atterrissons : nous sommes en Roumanie, sous Ceausescu, et tout ce beau monde, sauf le veilleur de nuit veut émigrer.

Actes de naissance, pas simple, il faut se donner à l’abbé.

Passeports, pas simple, il faut se donner au policier, même l’argent ne suffit pas. « il cherche les demandes de passeport avec les femmes qui veulent émigrer sur un matelas …et doit parfois recommencer jusqu’à sept fois ! »

Et la postière récupère l’argent des timbres et s’achète de l’eau de vie.



Herta Muller, prix Nobel 2009, parsème ces phrases plates, énumératives, d’un peu de piment fantastique : un pommier qui mange ses propres pommes, et qu’il faut donc brûler, un trou dans le cerveau, une araignée dans l’oreille, la chouette qui apporte la mort, le papillon qui traverse les joues du tailleur, la boule de feu dans la gorge du meunier,…

et aussi de symboles, le doigt, la mouche sur le cadavre, la larme de verre à remplir d’eau de pluie, et le souvenir de ces anciens prisonniers de guerre.

Et puis, miracle, l’écriture s’ouvre pour s’approcher au plus près de la faim, ce qu’est la faim, se réjouir de la soupe aux herbes, donner son manteau dans la neige pour un morceau de pain, le hérisson rentre alors, pour quelques heures, ses piquants.

Se prostituer pour ne pas mourir de faim.

Quatre pages, qui valent bien un prix Nobel.

LC thématique octobre : un verbe dans le titre





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La convocation

Nous sommes en Roumanie, pendant la dictature communiste de Ceausescu. Une jeune femme, la narratrice, monte dans un tramway. Pour la énième fois, elle est convoquée par la police politique. Elle rêvait de partir à l'Ouest et de trouver un homme qui l'y emmènerait. Comme elle travaillait dans une usine de confection, elle a glissé, dans les poches des pantalons destinés à l'exportation vers l'Italie, des bouts de papier avec le message "Ti aspetto" (je t'attends), comme des SOS dans des bouteilles à la mer. Dénoncée par un collègue, elle a perdu son travail et gagné le droit d'être harcelée par la Securitate, qui la convoque sans cesse pour des interrogatoires aussi absurdes qu'inquiétants. Dans le tramway, angoissée, elle laisse dériver son esprit pour se protéger de ce qui l'attend "à 10 heures précises". Dans un flux de conscience chaotique, ses pensées vagabondent entre passé et présent : son enfance, l'échec de son premier mariage, sa rencontre avec Paul qui noie son mal de vivre dans l'alcool, son amie Lilly abattue alors qu'elle tentait de passer la frontière. Une litanie de pensées sombres et morbides, et des petits rituels pour conjurer le sort se mélangent peu à peu en une sorte de prière incantatoire. Elle s'accroche au passé pour former un rempart de souvenirs et résister à un futur sans avenir, mais la peur est telle qu'elle attire la folie comme un vautour...

L'auteure (Prix Nobel de littérature 2009) a voulu montrer l'emprisonnement des corps et des esprits dans un pays fermé et une pensée unique, l'oppression, la répression et la dépression qui en résulte, les trahisons, les manipulations et l'instrumentalisation des êtres dépossédés d'eux-mêmes.

Le thème est respectable et légitime, et ça me gêne donc un peu de dire que j'ai trouvé ce livre terriblement ennuyeux. J'ai rarement dû m'accrocher autant pour arriver au bout, à cause du personnage principal au caractère fade et inconséquent, et surtout à cause de la narration décousue (même si elle reflète sans doute parfaitement l'état d'esprit de la narratrice), lourde, onirique, malsaine (les comportements des femmes vis-à-vis des hommes m'ont laissée perplexe). On ne me reprendra plus à répondre aux convocations à lire Herta Müller...
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L'homme est un grand faisan sur terre

J'espère que le jury Nobel n'a pas choisi Herta Müller juste parce qu'elle représentait une minorité opprimée. Comme dans plusieurs de ses livres, elle décrit ici l'exil, et surtout l'attente de l'exil, dans une communauté germanophone en Roumanie.

Décrit ? Il s'agit d'une évocation, dans une prose poétique et surréaliste, entremêlée de moments d'une crudité difficile à supporter.

La situation de ces familles sous le régime de Ceaucescu, sous la corruption et les abus de pouvoir de l'administration et de l'église, l'exil comme seule solution, les souvenirs de guerre, les rancunes accumulées (justifiées ou non), les superstitions résiduelles, mais aussi des visions inexplicables, des images incompréhensibles... La prose d'Herta Müller est tout le contraire de ma phrase précédente. Tout est dit sèchement. En des phrases courtes. Sans sentiments. Avec des répétitions. Mais aussi des fulgurances.



Un livre extraordinaire par le style et par les images, qui coupe le souffle, à la limite de l’écœurement par moments, et avec des moments qui me sont restés hermétiques mais que j'ai admirés. Vraiment une expérience (dure pour moi dans un moment difficile) choquante mais stupéfiante ; chacun décidera s'il tente l'aventure, je ne regrette pas du tout d'avoir embarqué.
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La bascule du souffle

«  Tout ce que j’ai , je le porte sur moi ».

«  Je sais que tu reviendras. »

Deux extraits de ce récit sombre qui évoque le quotidien de Léopold , jeune roumain germanophone , 17 ans, soupçonné avec ses parents d’avoir soutenu l’Allemagne nazie pendant la guerre.



«  Ma mère et surtout mon père croyaient à la beauté des nattes blondes et des chaussettes blanches, au rectangle noir de de la moustache d’Hitler..... ».



Il a préparé sa petite valise , des affaires chaudes, quelques livres.

Il reçoit les mots de sa grand - mère , évoqués plus haut, comme un viatique ...



Construit à l’aide de chapitres très courts ce récit nous conte le quotidien terrifiant de ces années de froid , de faim, de découragement qui tuent au sein de ce camp de travail en Russie..

L’auteure dans un style très particulier:

marquant , à la fois poétique et réaliste , son écriture ciselée , sèche, puissante , maîtrisée et surprenante , ses images symboliques fortes donne corps à l’usine de charbon, la cimenterie , la tuilerie ,la coke, les terrils, la toxicité des substances chimiques, les travaux forcés , le combat de chaque jour , la sous alimentation, le piège du pain, la faim inexorable qui ne lâche pas prise, les rêves éveillés , la faculté de transcender le réel, l’illuminer de l’intérieur , «  La faim voyage dans le corps d’un ange » , le corps qui réclame, l’esprit qui déraille parfois , les parasites, les maladies consécutives à la faim.:

«  Dépendance aux substances chimiques : Je me convainquais de l’existence de rues odorantes’, ce qui était agréable, c’était d’avoir des «  Mots » pour y échapper , comme il y avait des Mots de la faim ou de la nourriture , à la fois , une nécessité et une torture ... »

C’est une narration subtile à portée universelle qui décrit de façon magistrale , par la force de son écriture si singulière une horreur de notre histoire, celle de la condition humaine , jusqu’où peut aller l’horreur ...



«  Mon crâne est un terrain , celui d’un camp , je ne peux pas en parler autrement .Impossible de se protéger , que ce soit par le silence , ou le récit.

On pourrait dire : «  J’y ai été » .

«  Mon retour à la maison est un bonheur rabougri, une toupie de survie ... »

On lit ce livre , on reste sans voix, le souffle coupé...



Je l’avais déjà lu en 2010, sans en mesurer la portée ...ni la magie du style.



A ne pas lire peut - être en cette période festive ....



La première de couverture est jolie et le titre de même .

Pas facile de commenter un tel livre.....





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Animal du coeur

Ce livre magnifique et poignant, comment en parler sans utiliser des superlatifs idiots qui n’effleureront que la surface de cette écriture. Ces mots enrobés d’une poésie toute métaphorique vous arrache le cœur. Ce pays, la Roumanie, qu’Herta Müller décrit, son pays, est cauchemardesque. Il pourrait devenir grotesque si le miroir réaliste était déformant. Mais il ne l’est pas, on le sent bien, il est peut-être en dessous de la réalité. Chaque être vivant, humain ou animal, se débat pour survivre, dans une misère quotidienne, une atmosphère déliquescente et absurde. Tout est étouffé, englué, plombé ; c’est une nasse dont on semble ne pas devoir s’échapper. Sauf par la mort ? Pourtant ce livre parle de rires, de chansons, d’amour, d’amitié, d’un fil tenu d’espérance et de résistance, malgré la peur, l’angoisse et la désespérance. Alors comment faire ? Lorsque que l’on veut juste, même pour un instant, sentir le souffle de la liberté circuler sous ses pas ?
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L'homme est un grand faisan sur terre

Un roman sans joie, dont aucun personnage n’est vraiment sympathique.



Cet ouvrage de la récipiendaire du Nobel 2009 n’est pas facile d’accès. Comme plusieurs autres lecteurs, j’avais d’abord refermé le petit bouquin après les premiers chapitres, rebutée par l’écriture sèche et la sexualité crue.



J’ai repris la lecture en 2014 et j’y ai rencontré la vie difficile, l’impuissance devant les autorités qui s’emparent de tes biens, l’attente de passeport avec toutes les compromissions nécessaires pour l’obtenir… sans pour autant y trouver quelque espoir ou bonheur lorsque les papiers arrivent finalement.



J’ai tenté de déchiffrer les métaphores et les descriptions d’un pays rude et désespéré, fait tantôt de sécheresses et tantôt de pluies abondantes.



J’ai découvert d’étranges légendes : un pommier qui mange ses pommes, une chouette qui annonce la mort, et un grand faisan qui n’a pas livré sa signification…



Un monde sans joie, c’est étrange, mais n’est-ce pas la qualité de la littérature que de nous amener en des lieux émotionnels différents?

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La bascule du souffle

Une superbe couverture, un titre poétique, pour un roman sombre abordant l’horreur et la souffrance dans des camps de travaux forcés.



Le roman débute en Roumanie en janvier 1945, quand une partie de la population germanophone de Transylvanie est déportée dans un camp de travail en Russie. Ecrit à la première personne, il s’agit de confidences, sous forme de chroniques, d’un jeune homme déporté à 17 ans. Il s’est retrouvé sur la liste russe : « Aucun de nous n’avait fait la guerre, mais pour les Russes nous étions responsables des crimes d’Hitler, étant allemands. » (p. 40)

Soixante ans après, la nuit, il est encore hanté par les souvenirs de cette vie au camp qui lui reviennent à partir des objets, il est alors au bord du malaise : « J’ai des lourdeurs d’estomac qui me remontent jusqu’au palais. La bascule du souffle est chamboulée, je suis hors d’haleine. » (p. 30) Le roman, construit en cours chapitres, énumère et décrit ces objets et la vie de déporté de façon aléatoire pour le lecteur, un peu comme arrivent les souvenirs douloureux dans sa mémoire, « chamboulant » cette « bascule du souffle ».

Il a un rapport particulier aux choses et aux objets qui s’animent, qui deviennent sujets des verbes et interagissent avec l’homme. La réalité est-elle si dure à affronter qu’il adopte cette réaction comme une échappatoire ?

Le récit prend alors un ton onirique : le ciment boit, la pelle se transforme en cœur et s’adresse à lui directement, la faim apparait sous la forme d’un ange, l’arbre est hors de cause si l’on vous bat, le mouchoir est « le seul être à se soucier de moi »… La réalité est totalement déformée et on ne sait plus trop où est l’humain dans tout ça. Il lutte contre la faim, le froid, la fatigue, la peur. Toutefois malgré la noirceur du quotidien, une infime note d’espoir transparaît dans cette vision onirique. Une certaine force émerge de ce personnage qui jamais ne se plaint de son sort, qui se contente de témoigner, d’expliquer l’impensable.



Si j’ai apprécié le début de ce roman, découvrant une part d’histoire, j’ai trouvé ensuite quelques longueurs dans l’énumération qui s’ensuit, me demandant où l’auteur voulait en venir, car il n’y a alors plus d’intrigue. Une fois dans le camp, une routine s’installe et le temps s’étire. Puis la libération arrive, le récit rebondit et le personnage tente de nous dévoiler le vertige de la liberté retrouvée. J’ai toutefois été sensible à la poésie qui ressort de cette écriture.



Un écrit poignant, original dans sa forme d’écriture, sur un sujet plutôt méconnu (ou tu). A découvrir, c’est certain.

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L'homme est un grand faisan sur terre

Un peu maso de ma part de repiquer à Herta Muller et son univers froid comme la mort, oppressant, désespérant. Mais cet univers est si singulier, le rendu du réel si saisissant que j'ai pris sur moi de me refaire mal (d'autant que le roman est court), pour mon bien.

Nous sommes toujours sous le régime glauquissime de Caeaucescu, cette fois-ci l'homme dans le titre n'est plus un renard mais un faisan, on est toujours dans une périphérie urbaine mal définie entre masures de campagne et banlieue sale, et l'on attend. On attend le départ, la délivrance du passeport toujours repoussée, papier pour le lequel il faut donner toujours plus de sacs de farine, toujours plus d'argent, toujours plus de son corps pour les femmes. En attendant on erre, on s'épie, on se tait, on s'adonne à des étreintes froides.

Les personnages, même ceux qui arrivent à partir, sont prisonniers du livre, seul le lecteur peut quitter cet univers en refermant les pages.
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Le renard était déjà le chasseur

Un groupe d'amis, des intellectuels progressistes, tente de survivre sous la surveillance de la police politique, dans la Roumanie totalitaire de Ceausescu.

Beaucoup ont écrit sur la dictature. Personne ne l'a fait comme Herta Müller.

Dans une interview elle parlait de "...la langue de bois du régime qui avait détourné le langage à son profit. D'où notre vigilance pour éviter les mots ou les concepts violés ou souillés par le politique. Ils renvoyaient à une réalité qui n’était pas la nôtre."

Elle a donc inventé elle-même un langage qui nous rende perceptible la vie dans un régime totalitaire : un langage de dénuement, de contrainte, de censure.

Des phrases courtes et descriptives, qui nous enferment aussi efficacement qu'une geôle.

Un langage dénué d'émotion, froid, qui fait naître la terreur aussi sûrement que de se voir suivi par un agent du régime.

Un texte ciselé, qui nous oblige à être attentif au moindre détail, à la moindre trace, comme dans un logement surveillé par la Securitate.

Ça n'est pas facile d'entrer dans ce roman. Tout y est hostile : "Les peupliers découpent l'air brûlant. Les peupliers sont des couteaux verts."

C'est puissant.

C'est très difficile à lire.

C'est magistral.

C'est ardu.

C'est exceptionnel.



Traduction de Claire de Oliveira.

Challenge Globe-Trotter (Roumanie)

Challenge Nobel

LC thématique de juin 2022 : "Titres à rallonge"
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Animal du coeur

J'avais découvert, au moment de l'attribution du Prix Nobel de Littérature en 2007, cette autrice, roumaine mais de la minorité germanophone, qui a fui la Roumanie du dictateur Ceaucescu pour vivre en Allemagne.



C'est le troisième roman que je lis d'elle, après L'homme est un grand faisan sur la terre et surtout La bascule du souffle, un roman extraordinaire qui transforme en un merveilleux récit poétique la vie cruelle et inhumaine d'un jeune roumain germanophone dans un camp de travail forcé en Union Soviétique, après la deuxième guerre mondiale.



Dans cet animal du coeur, dont je laisse au lecteur le soin de deviner ce qu'il est, j'ai retrouvé cette façon de raconter, cette composition et ce style incomparables, bref cette beauté extraordinaire qui transforme une réalité dure et cruelle en un récit poétique.



C'est un pan de la vie terrible des gens sous la dictature de Ceaucescu qui est la toile de fond du roman. La narratrice, de la communauté germanophone, dont on ne saura pas le prénom ni le nom, étudiante au début du récit, est confrontée au suicide de Lola, une camarade de chambrée, à son « procès » posthume en exclusion du Parti, et à sa propre lâcheté, ainsi que celle de ses camarades, qui en Assemblée Générale, n'auront pas le courage de contester cette décision.

Mais elle gardera le journal de Lola, et avec ses amis, Edgar, Georg et Kurt, le cachera, ainsi que des livres et des poèmes.

La suite que je ne développe pas en détails, est faite de la vie de ces jeunes, d'abord étudiants puis entrés dans la vie professionnelle, des interrogatoires policiers suite à la découverte du carnet, des vexations, du tabassage de l'un d'eux par des « mercenaires » du pouvoir, du licenciement de la narratrice, puis celui d'Edgar, de l'émigration de Georg en Allemagne où il se défenestrera (ou sera défenestré?), du suicide de Kurt (selon le même mode opératoire qu'avait employé Lola) et du départ de la narratrice et d'Edgar en Allemagne. Mais il y a aussi le bonheur de l'amitié, dont on sent qu'elle est au bord de l'amour, de la narratrice avec Teresa, la fille d'un sculpteur proche du pouvoir, de la relation affectueuse avec sa mère, et de tant d'autres choses qui font la vie des petites gens dans ce climat oppressant de dictature.



Mais mon commentaire ne serait pas du tout complet s'il n'évoquait pas façon unique dont le roman est fait.

D'abord la trame narrative.Elle fragmente souvent l'ordre des événements, des souvenirs d'enfance surgissent parfois. J'ai lu que cela déconcerte et irrite des lecteurs. Ce n'est pas mon cas. Je trouve que ce ce mode de narration « impressionniste », par « touches » , fait partie de sa beauté. Mais c'est là la limite de l'inévitable subjectivité que tout un chacun peut avoir dans la critique d'une oeuvre, que ce soit roman, poésie, musique, peinture.

Et puis, le style. Un style merveilleux, où le trivial est porté par des phrases si poétiques. Il faut le lire pour s'en rendre compte.



Vous l'avez compris, j'aime énormément Herta Müller, et au passage, je trouve que ces femmes Nobel de Littérature, ces Toni Morrison, Herta Müller, Svetlana Alexeivitch, Elfrid Jelinek, etc…partagent, en plus de leur engagement politique ou sociétal, une façon de raconter hors du commun.



Pour finir, une digression, peut-être hors sujet, tant pis. Alors que je lisais ce livre, j'ai vu aux informations TV défiler dans les rues de nos villes françaises des énergumènes, femmes et hommes de tous âges, et même des soignants, ce qui est un comble, portant des pancartes contre la «dictature sanitaire », et d'autres avec ce mot que je chéris tant, «Liberté». Franchement, je trouve que c'est une insulte à toutes celles et ceux qui ont vécu ou vivent de nos jours dans de vraies dictatures. En effet, qu'y a-t-il de comparable entre ces contraintes auxquelles nous devons nous soumettre: vaccination, respects des gestes barrières, etc…., en vue de préserver collectivement notre santé, surtout celle des plus fragiles, et d'avoir une vie sociale la moins mauvaise possible, et tous ces régimes politiques, tel celui de Ceaucescu, où l'être humain est soumis à des contraintes insensées, est contrôlé dans ses moindres faits et gestes et voit sa vie menacée en permanence?

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L'homme est un grand faisan sur terre

Je connaissais la réputation de l'écriture de Herta Müller, concise, froide, déprimante, et pour cette raison j'avais tardé à la lire.

J'ai été surprise par la part d'imaginaire et de poésie qu'il y a dans ce court récit, où éléments naturels et émotions se confondent. J'ai souvent repensé à Colline de Jean Giono, lu il y a quelques semaines, où la nature est également une part importante de l'imaginaire.

Le début est comme l'entrée dans un rêve où le paysage est changeant, interfère avec la réalité, le rêve est d'ailleurs récurrent dans le récit par l'entremise du veilleur - quelle ironie! - seul homme du village à avoir décidé de ne pas émigrer.

Nous sommes dans les années 80, dans une Roumanie dirigée par Ceaucescu, le "père du pays", au coeur d'une petite communauté allemande - celle dont Herta Müller faisait elle-même partie. Tous attendent leur visa pour quitter le pays et aller en Allemagne, comme Windisch, le meunier, sa femme et sa fille Amélie.

Mais Windisch a beau amener jour après jour les sacs de farine exigés par le milicien du village afin d'obtenir les papiers réglementaires, celui-ci repousse sans cesse l'échéance. le meunier sait bien que la solution se trouve en Amélie, que le milicien attend, lui ainsi que le prêtre qui doit lui délivrer son acte de naissance, en présence bien sûr de la jeune fille... Mais Windisch, dont la femme a survécu au Goulag en se vendant, ne peut pas se résoudre à livrer sa fille aux deux hommes corrompus.

Cette réalité du pays où Herta Müller a grandi est racontée à coups de phrases courtes. Les corps y sont extrêmement réalistes et omniprésents; les analogies au lait - le ciel, les nuages, les flaques - créent une atmosphère malaisante qui rôde tout au long des pages.

Bien que parfois opaque, j'ai trouvé cette lecture fascinante par ce qu'elle est capable à la fois de dire et d'éveiller sur cette partie de l'histoire roumaine.

Je suis curieuse de découvrir d'autres oeuvres plus récentes d'Herta Müller.
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La convocation

La narratrice d’origine roumaine raconte sa vie au cours de son énième trajet pour le commissariat de police pour répondre à une énième convocation.

Un premier mariage raté et l'envie de se remarier avec un étranger pour partir à l'Ouest ; Paul l'homme qui partage aujourd'hui sa vie avec sa gueule de bois au quotidien ; son travail dans une usine de confection et les agissements de son patron ; Lilli sa copine abattue à la frontière alors qu'elle tentait de passer la frontière avec son nouvel amoureux; son enfance triste.

Un roman touchant, mais qui est assez difficile à suivre, à chaque paragraphe on se retrouve dans une partie de sa vie sans aucun ordre chronologique, s’ajoute à cela des détails descriptifs qui nous fait tomber dans l’ennui !!!!

Un prix Nobel de littérature qui ne me séduit pas trop !!!



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Le renard était déjà le chasseur

Une langue déroutante jusqu'au malaise, construite de phrases comme : "La lampe du plafond regarde au lieu d'éclairer", ou "Son oeil agrandit les entrailles sous la peau jusqu'à ce qu'elles soient froides".

Un monde où tout est gris, sans lumière ni chaleur ni perspective, et où la vie semble venir des choses, pas des hommes.

Un climat d'oppression latente, de vide désespérant.

Pas de repères, peu de points d'appui narratifs, une succession d'images glauques, ternes et froides, que domine l'omniprésente photo de l'oeil noir et la mèche du dictateur.



J'ai failli arrêter cette lecture plusieurs fois, tant était épuisant ce sentiment de s'y mouvoir comme dans la vase. Mais c'est à la moitié du roman, quand un semblant "d'action" apparait, que toute cette première partie très déstabilisante a pris tout son sens pour poser le décor profond et contribuer à faire ressentir ce qu'a été le quotidien des Roumains sous le régime de Ceausescu, le dénuement organisé, les passe-droits, l'ombre permanente de la Securitate, la peur, la résignation, l'absence de perspectives.



Un travail d'écriture prodigieux au service d'un témoignage indispensable tel que seule la littérature peut en offrir, sous la plume d'une auteure que l'Académie des Nobel a bien fait de récompenser.
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La bascule du souffle

Comme chaque fois, Herta Müller me laisse sans voix. La bouche sèche de mots, de soif, de faim, le coeur comme asséché d'une écriture ciselée au plus proche du nécessaire. Dans La bascule du souffle, d'abord projet à quatre mains avec le poète Oskar Pastior, Herta Mûller donne à l'expérience concentrationnaire une vie propre, au-delà de la question de la survie ou de la dignité. Car tout s'incarne ici dans une cosmogonie particulière au camp. Le ciment prend vie, le pain un personnage, et l'ange de la faim domine l'expérience, au plus profond des corps et des âmes. Ainsi, en donnant à cet étrange réel une existence poétique, Herta Mûller ne semble pas placer l'individu au centre. Elle n'explore pas non plus les humiliations ou les tactiques de survie. Elle analyse comment l'homme fait front, face au ciment qui s'insinue, face à l'ange de la faim qui rôde, dans une autre réalité, qui par l'imaginaire en devient plus glaçante.
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La bascule du souffle

Léopold a dix-sept ans en 1945. Roumain germanophone, il est à ce titre sur la liste de ceux qui seront envoyés par les Soviétiques en camp de travail en Sibérie. Mal à l'aise avec son homosexualité vécue mais dissimulée à ses proches, il ne tente rien pour se soustraire à cette déportation. Suite à un voyage de plusieurs semaines en wagon à bestiaux, où les individus perdent vite toute dignité, il arrive au camp.



La faim l'obsède davantage que le froid et toutes les autres épreuves. Il l'évoque abondamment, de même que son activité forcée et éreintante de manoeuvre en bâtiment. Si ses souvenirs d'enfance et ses relations avec les autres détenus sont abordés dans le récit, le narrateur décrit plus longuement les matériaux manipulés (ciment, houille, brique, sable, charbon…) - ce qui peut surprendre.



Je suis navrée de ne pas avoir aimé ce livre, de m'y être ennuyée. Malgré les conditions éprouvantes de la détention de Léopold, je n'ai pas réussi à éprouver la moindre empathie pour lui. Sa froideur apparente explique peut-être cela ? "(...) je tente toujours de me persuader que je n'ai guère de sentiments. Si je prends une chose à coeur, elle ne m'affecte pas outre mesure. Je ne pleure presque jamais." (p. 221-222)



La présentation de l'éditeur indique : "sous la plume [d'Herta Muller], le camp devient un conte cruel, une fable sur la condition humaine". Même si de nombreuses réflexions m'ont touchée, émerveillée (comme en témoignent les extraits recopiés), je n'ai ni accédé à ce niveau allégorique, ni adhéré à la langue imagée de l'auteur, j'en suis désolée... J'ai probablement eu tendance à comparer à 'Ce qu'ils n'ont pas pu nous prendre', également sur les déportations staliniennes mais beaucoup plus descriptif, plus abordable.
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La bascule du souffle

Challenge Nobel de la littérature 2013.2014



Léopold est sur la liste des roumains germanophones qui seront déportés en URSS en janvier 1945.

La police roumaine vient le chercher au milieu de la nuit et il s'en va avec en tête une phrase de sa grand-mère: "Je sais que tu reviendras". Phrase qui l'habite et le soutient tout au long de sa déportation: cinq années en enfer, où rester en vie ne tient qu'à un fil.

"Le samedi, l'eau-de-vie de betterave égaie les sentinelles, qui ont la gâchette facile. Le dimanche matin, quand un homme gît dans la cour, il paraît que c'est une tentative de fuite. Et si on le retrouve en caleçon dans la cour parce qu'il filait aux toilettes, ses intestins rongés ne supportant plus la soupe aux choux, ce n'est pas une excuse".

J'ai pris du temps à lire ce livre, pas par rapport au nombre de pages (350) mais rapport au poids des mots.

La guerre finie, il ne sera pas fait de cadeaux à ces jeunes! " Aucun de nous n'avait fait la guerre, mais pour les Russes nous étions responsables des crimes d'Hitler, étant allemands".

Ce livre est rempli des images que se fait Léopold dans sa tête pour rester en vie.

Une écriture magnifique pour faire vivre avec une force incroyable cinq années terribles!
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L'homme est un grand faisan sur terre

" Chacun doit faire la putain pour survivre " et, c'est ce que raconte Herta Mûller dans son roman, dans sa fable et un peu dans cette biographie déguisée des années passées sous la dictature de Ceaucescu !

Un meunier ( Mûller est meunier en Allemand ! ) Windisch veut émigrer vers l'Ouest et, il a beau livrer des sacs de farine volés au maire, avancer de grosses sommes d'argent : le passeport promis n'arrive pas . En dernier recours, il décide de laisser sa fille chérie : Amélie se livrer à la prostitution avec un milicien et un pasteur !

Un roman étonnant avec des petits chapitres aux titres poétiques qui, sans suite logique vont faire apparaître la vie difficile des ruraux écrasés, persécutés, martyrisés par l'oppression, la maltraitance ! On sent dans ce récit froid, dépourvu de sentiment, dans ce monde sans joie : toute la douleur que Herta Müller et les roumains d'origine Souabe comme elle ont du supporter mais, en même temps à cette noirceur vient s'ajouter l'évocation de la nature, omniprésente avec les chouettes, la lune, les fleurs séchées par la chaleur, le pommier qui dévore ses pommes et, les intérieurs dépeints avec des objets qui ont une vie autonome : le coucou, le couteau, les tableaux, les draps, la vaisselle et la larme de verre à remplir avec de l'eau de pluie !

Bref, : un univers parfois surréaliste avec une musique blanche qui enveloppe les personnages, avec la crudité du langage et, en même temps la luminosité des accents de la poésie !

Herta Müller a obtenu le Prix Nobel de littérature en 2009 pour l'ensemble de son oeuvre " pour avoir dépeint l'univers des déshérités avec la densité de sa poésie, la franchise de sa prose ".

L.C thématique de février 2023 : un animal dans le titre.
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L'homme est un grand faisan sur terre

Dans son village de Roumanie, en attendant le passeport qui lui permettra d'émigrer en Allemagne, Windish, le meunier, traîne sa carcasse. Le roman d'Herta Müller se passe dans ce village de Roumanie où le temps s'égrene de sac de farine en sac de farine ... le temps, parlons-en car la conjugaison d'Herta Müller laisse à désirer d'autres temps ... du présent de l'instantanéité au présent de l'éternité, le présent d'énonciation ne laisse que peu de place au futur. Les phrases sont courtes (présent de l'instantanéité) mais le temps se traîne sur la durée (présent de l'éternité) ... Oui, Herta Müller n'écrit quasi exclusivement qu'au présent.

En plus de cette obsession pour le présent ( et on est loin du Carpe Diem), Herta Müller nous vend les obsessions de Windish : l'oeil fixe, comme l'idée fixe, le doigt aussi, le sexe féminin et puisque c'est chouette, les chouettes (les empaillées sont l'obsession du mégissier). C'est assez particulier comme texte ... C'est un peu comme les oeuvres d'Elfriede Jelinek tout en étant radicalement différent ... C'est malaisant ... Car derrière les obsessions des personnages, il y a quelque chose qui fait que chacun se retrouve avec un trou de mélancolie dans la tête : le mal du pays.



Le mal de la Roumanie de Ceausescu, de la Russie et de son hiver sans fin, mais il y a encore l'Allemagne qui corrompt les hommes et les femmes, la Wehrmacht et les SS ... Et l'atmosphère ne s'assainit pas du fait que l'Eglise est au coeur du village car l'Eglise a en son jardin un pommier qui dévore ses pommes ...



Ainsi, le paradis perdu, l'Eden se retrouve livré aux influences de Satan, et depuis, "les vers sont dans les fruits". La nature se pourrit, les hommes et les femmes mangent les fruits pourris et les vers, et la terre se creuse à force des pluies diluviennes, et les chemins pleins d'ornières ne mènent qu'à d'autres chemins lézardés.



PS : Pourquoi ce titre : "L'homme est un grand faisan sur terre" ? Deux occurences dans le texte, dans la bouche du veilleur, tout d'abord, et Windish lui répond que l'homme est plus fort que les animaux ...

La deuxième occurence, c'est Windish qui reprend à son compte la phrase du veilleur après sa plus cruelle déception, lorsqu'il tombe au plus bas et qu'il en prend un coup à son orgueil ... Et qu'il se rend compte que cette phrase, finalement, lui parle.



L'homme est-il un grand faisan sur Terre ? L'homme est-il au moins grand ? Ou n'est-il qu'un faisan, que l'on chasse dans les campagnes ? L'homme n'est-il pas plutôt un oiseau de proie ? Ou un oiseau de mauvais augure ? La chouette surplombe le texte du début à la fin ... L''Homme serait, du coup, une grande chouette sur la terre. En même temps, les oiseaux volent, non ? Lorsqu'ils ne sont pas en cage ou empaillés dans un grenier ... L'homme ne vole pas par contre mais il peut se mettre en cage ou se retrouver empaillé ... En tout cas, c'est sûr, l'homme est un animal dépourvu de plumes et d'ailes donc il est terrestre, sur terre, comme le grand faisan, comme les oiseaux qui ne volent pas ou si peu, comme le coq et la poule. D'ailleurs, le coq de Windish a un drôle de destin lui aussi ... Et il finit dans une grande casserole. Est-ce que l'homme ne serait pas, aussi, un grand coq sur terre ?





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La bascule du souffle

Roumanie 1945 : la population germanique soupçonnée de nazisme est envoyée dans des camps de travail en Russie. Parmi ces hommes et ces femmes, un jeune garçon Leopold. Il survivra dans cet univers concentrationnaire 5 ans et heureusement on le sait dès le début. Il retrace un quotidien épouvantable : travaux de force, humiliations, appels du soir interminables et par-dessus tout la faim et la nostalgie de son pays. Mais ces souffrances, il les dépasse en transfigurant le réel . Il s'adresse directement à "l'ange de la faim", personnifie les objets ("la pelle du coeur") et les différents matériaux qu'il doit porter, transporter, travailler. Par l'emploi de la métaphore et de la poésie, l'autrice transforme l'horreur en beauté.

Ce roman renvoie à une part d'histoire qu'il ne faut pas oublier et qui résonne étrangement aujourd'hui.
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La bascule du souffle

J'ai toujours un peu de mal à me souvenir qu'avant la seconde guerre, les pays n'étaient pas habités que de nationaux. Les Allemands étaient répartis sur différents pays dont la Roumanie, pays qui s'associa à Hitler. Quand la guerre fut terminée, la Roumanie étaient du mauvais côté du manche et tomba dans l'escarcelle de l'URSS. Pays traitre , les Allemands de Roumanie- traitres parmi les traitres- devaient payer.



Le régime soviétique et son grand chef ont fait ce qu'ils savaient faire très bien, des camps de travail forcé. Des camps, encore des camps, des prisonniers, usés,exploités, sous-nourris ,malades ....de quoi a été fait l'essor de l'URSS....



L'auteur nous offre, dans une très belle écriture, le témoignage d'un jeune homme, qui au travers de courts chapitres, dévoile la réalité, la misère, la petitesse et la dureté de ces années de camp.
Lien : http://theetlivres.eklablog...
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