Citations de Ilaria Tuti (263)
Massimo frappa à la porte. On entendit derrière le panneau un crépitement d’eau et des bruits de serviettes en papier arrachées au distributeur. Teresa Battaglia n’était pas morte, à ce qu’il semblait.
- Tout va bien, commissaire ? demanda-t-il.
La porte s’ouvrit d’un coup et Massimo se retrouva face à une paire d’yeux furibonds.
- Tu ne t’occupes jamais de tes affaires, Marini ?
Battaglia était vivante et tout à fait à la hauteur de son mauvais caractère. Massimo se tourna vers De Carli, mais il se rendit compte que son collègue avait battu en retraite.
- J’étais inquiet, dit-il e lui jetant de nouveau un coup d’œil, mais je m’en repens déjà.
Il y avait quarante emplacements, alignés en quatre rangées de dix. Aucun nom sur les plaquettes d’identité, rien que des chiffres.
On n’entendait ni pleurs ni suppliques. Il lui aurait suffi de regarder, et elle savait ce qu’elle aurait vu : des yeux inexpressifs, éteints.
A tous les emplacements, sauf un.
C'étaient des gros plans de lèvres entrouvertes, cyanosées, détails de vaisseaux sanguins qui se ramifiaient sous l'épiderme comme le delta d'un fleuve. Un sternum pâle. Le visage percé de deux sombres cratères à la place des yeux.
Ces images étaient la matière première de leur travail. Une pâte à modeler qu'ils devaient pétrir jusqu'à la transformer en un visage, celui du criminel, et ensuite un nom y serait associé. C'était le profil psychique du meurtrier qui conduisait à son identité, jamais le contraire.
Lucia craignait ce moment : c'était l'heure où les fantômes faisaient leur apparition dans le bois. Elle avait dit à sa mère qu'il était arrivé quelque chose en lisière de la forêt de pins, mais cette dernière ne l'avait pas crue.
La vie faisait peur, quand on regardait en face ce qu'elle pouvait être vraiment, mais elle demeurait sacrée, inviolable, une aventure extraordinaire qu'il convenait d'affronter avec le cœur battant à tout rompre et un sentiment d'émerveillement qui ne pouvait s'éteindre, même devant la douleur la plus déchirante.
Qui sait ce que penseront les soldats quand ils nous verront arriver sur le front en entonnant des couplets d'amour, avec nos longues robes couleur de corolles, nos mèches pointant en désordre sous nos foulards. Des femmes qui ne savent pas faire la guerre, qui n'ont aucun diplôme universitaire pour la comprendre. C'est une pensée qui force le rythme de mes pas, qui pousse mes membres à enjamber les rochers et me fait avancer avec une ardeur confinant à la rage.
— Les autres. Nous sommes toujours les "autres" de quelqu'un. Il y a toujours un sud et un nord, un est et un ouest. Ils n'ont peut-être pas également une mère et un père qui les attendent, les autres? Ils n'ont pas eux aussi le droit de vivre? »
Je connais chacune d'elles depuis toujours, mais c'est la première fois que je les vois effrayées. Dans les montagnes autour de Timau, les canons tirent. C'est le diable qui se racle la gorge, a dit un jour Maria, en égrenant le chapelet dont elle ne se sépare jamais.
Nées avec une dette de labeur sur le dos, me disait ma mère, une dette qui prend la forme de la hotte, que nous utilisons autant pour bercer les enfants que pour transporter le foin et les patates.
J'ai atteint des lieux où des grimpeurs émérites n'ont jamais réussi à monter. Les gros brodequins des soldats apprendront à respecter ces pauvres souliers, faits de couches de vieux torchons cousus ensemble avec de la ficelle.
En guettant le nombre de ses battements de cils, elle compta les pas du doute qui le quittait.
Je ne connais pas les roses. Il existe toutefois une expression plus heureuse qui rend compte de la ténacité de cet edelweiss, de cette étoile alpine : nous l’appelons « fleur de roche ».
La nature palpite de vie, continue de germer et d’engrosser des ventres, tandis que l’homme succombe à son frère. L’aujourd’hui semble être dans l’ignorance de soi.
Battaglia remarqua qu'elle était d'une beauté anonyme, la somme de traits réguliers et de couleurs pâles. Une beauté où il n'y avait "rien à signaler", alors qu'un défaut, une bizarrerie de la nature, l'aurait au moins rendue intéressante.
[Teresa]
- Ne lui impose pas des limites auxquelles elle n'a pas envie de se soumettre. Ne lui fais pas cette injure, comme beaucoup d'autres l'ont fait avant toi.
[Teresa]
[...] Je sais seulement que tout adieu se prépare.
Et j'ai appris que survivre était un mot noble.
p. 63 :
« Je frotte des habits de morts. Ceux qui nous les ont laissés n'avaient pas de blessures capables de faire dégorger tout ce rouge sur la vallée. Une fois encore, il ne faut rien gâcher, et pour l'heure le sang imprègne la trame la plus profonde, pénètre dans les recoins comme une épidémie, avec cette nuance de rose si particulière qui n'évoque pas l'aube ou des pétales de fleurs, mais les viscères d'un corps abandonné sur le champ de bataille, l'espérance arrachée. »
Les derniers propos qu'Albert lui avait tenus étaient lapidaires: "Tu ne réussiras jamais à passer l'examen. Tu n'es pas prête. Tu ne le seras jamais."
C'était le vœu d'échec de celui qui a peur, peur de la force d'une femme capable de remettre en cause le pouvoir d'un homme jusqu'à lui porter atteinte.
Elle voulait dégager la voie pour les autres femmes qui en arriveraient là, ou pour quiconque, au-delà du sexe sous lequel ils où elles étaient né(e)s, risquait d'être pris pour cible par le gro des plus forts.
Et elle ne pouvait éprouver de douleur parce que son corps était encore anesthésié. La douleur qui l'a brûlait était autre, elle venait de l'âme, qui savait, qui avait tout vu,sans pouvoir rien faire parce qu'il n'y avait plus rien à faire.
Elle avait perdu son enfant. Il n'y aurait plus jamais aucun enfant.
Elle hurla si fort qu'elle terrorisa ceux qui la retenaient, entre les inconnus au regard bouleversé et les flacons de médicaments qui tombèrent avec fracas sur le sol, Albert qui appelait la sécurité, et qui braquait son arme avec toute la force de la peur.
Elle hurla jusqu'à faire sauter les points de suture de sa mâchoire, hurla au monde un deuil qui n'aurait pas de fin et la culpabilité qui, à partir de ce moment, la hanterait pour toujours.