Isaac Bashevis Singer

C’est la vérité. Mais j’en avais assez de ses mensonges et de ses manigances. Je voulais un homme comme mon père et mon grand-père, quelqu’un de droit et, dès que je t’ai mieux connu, je me suis dit que tu étais celui-là. Que Dieu nous soit venu en aide et que tu réussisses en affaires, c’est très bien, mais ce n’est pas le plus important.

Pendant que j’écoutais tous ces discours creux et ces compliments stupides, je me sentais fière de ne pas être mariée à l’un de ces pantins, mais à quelqu’un de droit, qui ne joue pas ce genre de comédies. Ils disent du mal les uns des autres dès qu’ils ont le dos tourné mais, dès qu’ils prennent la parole, ce ne sont que des flatteries à vous faire vomir. On ne peut même pas les traiter de menteurs. Le mensonge est inné chez eux. Un instant, vous êtes un héros, celui d’après, un moins que rien.

Il comparait New York à un livre trop grand et trop gros pour qu’on puisse le lire. C’était plutôt comme une encyclopédie qu’on feuillette mais qui reste à jamais un mystère.

Même s’il était devenu un homme d’affaires prospère, ici, en Amérique, avec des amis juifs et parfois même non juifs, il se sentait comme sur une autre planète. En apparence, tout était un peu comme à Varsovie, à Berlin ou Paris – et pourtant, tellement différent.

Quel sacrilège de ranger une infamie pareille au milieu de saints livres ! C’était obscène, ordurier. Il le déchira en deux, puis se rappela l’épisode où Samson démembre le lion. Il cracha alors sur les pages en lambeaux, les jeta dans la corbeille à papier et posa un journal dessus pour que Minna ne voie pas ce qu’il venait de faire. Le lendemain, il jetterait le tout lui-même.

Il éprouvait la même indignation vertueuse que son père, le jour où il avait détruit un livre que son fils lisait, ayant jugé le contenu immoral.

Dès qu’un mari avait le dos tourné, sa femme le trompait – et s’en vantait auprès de ses amies. Il avait lui-même été soumis à la tentation, plus d’une fois. Les épouses d’hommes plus jeunes et mieux éduqués se jetaient sur lui, telle la femme de Putiphar, et lui faisaient ouvertement des propositions – et même, une fois, une rebbetzin ! Si de telles choses sont possibles, que reste-t-il à espérer ? Pourquoi Minna serait-elle une exception ? Parce qu’elle s’exprimait avec élégance et écrivait sur des thèmes religieux ? Ce n’étaient que des mots, des mots creux. Dieu, la vie juive, qu’est-ce que cela représentait pour des gens comme elle?

J’ai élevé des enfants qui sont des apostats et épousé une telle femme parce que je l’ai bien voulu. Je savais depuis le début qu’elle ne croyait pas aux règles de la morale juive, qu’elle avait mené une vie dépravée. Elle n’allait pas brusquement devenir une sainte.

Vous n’imaginez pas ce que cela représente de fuir Hitler dans ces conditions. J’ai tout laissé derrière moi, vêtements, linge, des choses ayant pour moi une valeur sentimentale, mais je ne pouvais pas me séparer de ces tableaux-là. Vous devez me croire fou.

Des millions d’assassins circulent prêts à faire le mal ! Ils veulent tous se sacrifier pour le mal, puisque les nazis et les bolcheviques se font tuer aussi. Comment dit-on, déjà, “perdre un œil pour arracher les deux de son adversaire”. C’est ce que le Zohar appelle “le goût de l’abomination”. »
Puis il se mit à penser à Hertz Minsker. C’était un grand homme. Pas seulement le fils du rabbi de Pilsen, mais quelqu’un d’exceptionnel.

Il éprouvait pour elle un mélange d’attirance et de répulsion.

Elle représentait à ses yeux le parfait exemple de la femme décrite par Otto Weininger dans Sexe et Caractère. Quand elle disait la vérité, c’était un mensonge. Pour l’instant, elle trompait son mari.

“les mauvaises herbes résistent à tout”.

Le téléphone sonne et je vais répondre, persuadée de tomber sur toi. Voilà que j’entends une voix à la fois inconnue et familière. Quand je réalise qui c’est, j’ai envie de raccrocher. Après tout ce que cet homme m’a fait, il a l’audace de m’appeler ! Mais, froussarde comme je suis, je n’ai pas le courage de l’envoyer promener, d’autant plus qu’il ne connaît personne ici.

Tout ce dont il était sûr, c’est que la fille portait une chemise de nuit et des pantoufles blanches, qu’elle sentait un mélange de sueur et de parfum. Son agilité l’étonnait toujours. Elle l’embrassait mais ne se laissait pas embrasser en retour. Quand il tentait de l’embrasser, elle se dérobait habilement. Une fois, il toucha un de ses seins, mais elle lui tapa sur la main en le traitant de vilain garçon – tout cela à mi-voix, avec les accents d’une actrice qui joue son rôle mais ne veut pas devenir trop proche de son partenaire.

À New York, il n’avait plus la patience de lire. Sa curiosité pour tout ce qui touchait à l’occultisme était devenue sa passion numéro deux et, se disait-il souvent, presque numéro un. Elle se mêlait même à ses aventures avec des femmes. En chacune, il recherchait toujours l’irrationnel. Tel un kabbaliste, il détectait des mystères dans les plus hautes sphères de l’amour et dans le besoin de copuler.

"  C’est toi qui sais tout, moi je ne sais rien mais, puisque tu me poses la question, je dirais que c’est cadeau."

Elle aimait Albert d’un amour qui étonnait tout le monde. Elle défendait ses déclarations les plus folles et ses exagérations. Alors qu’elle se montrait toujours à la fois directe et pratique, elle se disait d’accord – du moins en théorie – avec ses idées sur la politique, ou la finance. Il en avait sur tout, même la façon de nourrir les bébés quand les mères n’avaient plus de lait. S’il tombait malade, il se soignait avec des remèdes à lui.

Le fait d’avoir réussi à chiper le mari de cette orgueilleuse fille d’une riche famille très assimilée lui donnait envie de rire. Elle, Minna, gardait tout contrôle à la fois sur Morris Calisher et sur Hertz Minsker. Les déceptions l’avaient finalement transformée en une actrice très sûre d’elle dans son rôle. Nul besoin de répéter, les répliques lui venaient naturellement.

En commençant son livre, il avait décidé de pratiquer ce qu’il prêchait. Il tenait même un journal destiné à mettre en valeur et à commenter ses théories. Mais il s’était perdu dans les complications de son texte et celles de sa vie. Au lieu d’apporter du bonheur, il causait bien des chagrins. Il se torturait lui-même et ne connaissait pas un seul jour de paix. Il finissait par devenir la négation vivante de sa doctrine.

Beaucoup d’hommes auraient réussi à s’enfuir en Russie. Ils sont partis à pied, car les trains avaient immédiatement cessé de fonctionner. Mais comment Wladek aurait-il pu partir pour la Russie avec les enfants ? En outre, il est violemment anticommuniste. Là-bas, on le fusillerait aussitôt. Je ne comprends pas pourquoi des gens reçoivent du courrier de là-bas et savent que leurs proches ont bien eu leurs colis, alors que, moi, je n’ai aucune nouvelle. Parfois, je me dis qu’ils doivent être morts.

Elle est plus proche de la vérité que les nazis ou les communistes. Au moins, ses visions sont dirigées vers le haut et non vers le bas. Il se rappela alors la livre de viande hachée et alla dans la cuisine la mettre à la glacière. Puis il se rendit à la salle de bains et vit une punaise dans la baignoire, qui essayait de grimper sur la porcelaine blanche, mais glissait en arrière. Son premier instinct fut de l’écraser, mais il y résista. Des millions de Juifs et de non-Juifs étaient soumis à la brutalité de plus forts qu’eux, tout comme cette bestiole.