Citations de J. M. Coetzee (473)
Pour le meilleur et pour le pire, ils se trouvent tous sur le même esquif qui prend l’eau appelé la vie, sans illusions, à la dérive sur une mer d’obscurité indifférente (que de métaphores elle file, cette nuit !). Peuvent-ils apprendre à vivre ensemble sur leur bateau sans se dévorer les uns les autres ?
L’Histoire a perdu sa voix. Clio, la muse qui jadis caressait sa lyre et chantait les faits et gestes des grands hommes, est devenue indécise et frivole, comme la plus stupide des vieilles femmes. C’est du moins ce qu’il m’arrive parfois de songer. Le reste du temps, je pense qu’elle est prisonnière d’une bande de voyous qui la torturent et la forcent à dire des choses qu’elle n’a jamais voulu dire. Je ne peux pas te raconter toutes les sombres pensées que je nourris à l’égard de l’Histoire.
"Une femme en train de vieillir"
Que serait la vie même s’il n’y avait que des têtes et des queues, sans rien au milieu ?
"Une femme en train de vieillir"
De là où les Truscott et lui habitent, on n'a qu'un petit kilomètre à faire vers le sud pour se retrouver devant Pollsmoor. Pollsmoor - personne ne prend la peine de dire la prison de Poolsmoor est une maison d'arrêt entourée de hauts murs, de barbelés et de miradors. Autrefois l'établissement se dressait seul sur un terrain de sable et de broussailles. Mais au fil des années, timidement d'abord, puis avec plus d'assurance, les lotissements de banlieue se sont subrepticement rapprochés, si bien qu'aujourd'hui, cerné par des maisons bien alignées d'où sortent des citoyens modèles qui partent jouer leur rôle dans l'économie nationale, c'est Pollsmoor qui est une anomalie dans le paysage.
Que le goulag sud-africain dresse sa silhouette obscène au beau milieu des banlieues blanches et que l'air que respirent les Truscott soit passé par les poumons de mécréants et de criminels ne manque pas d'ironie. Mais pour les barbares, comme l'a souligné Zbigniew Herbert*, l'ironie est comme le sel : cela crisse sous la dent avec une saveur éphémère ; cette saveur disparue, il reste la brutale réalité. Que faire de la brutale réalité de Pollsmoor lorsqu'on ne jouit plus de l'ironie ?
Les noces de Cronos et d’Harmonie, contre nature. C’est bien ce que le procès entendait punir, une fois éliminés les beaux discours. Au banc des accusés pour son mode de vie. Pour des actes contre nature : pour disséminer une vieille semence, une semence fatiguée, une semence à bout de force, contra naturam. Si les vieillards confisquent les jeunes femmes, quel sera l’avenir de l’espèce ? Voilà, au fond, le chef d’inculpation. C’est le thème que traite une bonne moitié de la littérature : des jeunes femmes qui se débattent pour échapper aux vieillards qui les écrasent sous leur poids, une lutte pour sauver l’espèce.
Il continue à enseigner parce que cela lui donne de quoi vivre ; et aussi parce que c’est une leçon d’humilité, cela lui fait comprendre la place qui est la sienne dans le monde. Ce qu’il y a là d’ironique ne lui échappe pas : c’est celui qui enseigne qui apprend la plus âpre des leçons, alors que ceux qui sont là pour apprendre quelque chose n’apprennent rien du tout. C’est une des caractéristiques de sa profession dont il ne parle pas à Soraya. Il doute qu’il y ait pareille ironie dans le métier qu’elle exerce.
C'est à ça que servent les putains, après tout : elles encaissent les extases des êtres disgracieux.
A son avis, qu'il se garde bien d'exprimer en public, la parole trouve son origine dans le chant, et le chant est né du besoin de remplir de sons l'âme humaine, trop vaste et plutôt vide.
A son avis, qu'il se garde bien d'exprimer en public, la parole trouve son origine dans le chant, et le chant est né du besoin de remplir de sons l'âme humaine, trop vaste et plutôt vide.
Un chat a une mine et non un visage, poursuit sa mère. Même nous, toi et moi, ne sommes pas nés avec un visage. On nous extrait un visage, comme le feu sort du charbon. Je me souviens, je me suis penchée sur toi et je t'ai soufflé dessus, jour après jour, jusqu'à ce que toi, l'être que j'appelais mon enfant, commence à émerger. C'était comme faire naître une âme.
En parlant des chiens...
Ils nous font l'honneur de nous traiter comme des dieux et en retour on les traite comme des objets.
S'il était un personnage d'un livre, que dirait-il à un moment comme celui-ci où il faut que le coeur parle, sans quoi la page reste blanche?
Quand la mort coupe tous les autres liens, il subsiste le nom.
Jusqu'à la fin, nous n'aurons rien appris. Il semble y avoir chez nous tous, au fond de nous, quelque chose de l'ordre du granit,qui résiste à l'enseignement.
Ce sont les hommes nouveaux de l'empire qui croient aux commencement immaculée, aux nouveaux chapitres, aux pages blanches ; je continue tant bien que mal l'histoire ancienne, espérant qu'elle me révèlera avant de s'achever ce qui avait pu me faire croire qu'elle en valait la peine.
La vie est trop courte pour qu’on la passe à se faire du souci pour l’avenir.
Il y a un sujet sur lequel les vieux sont meilleurs que les jeunes, à savoir mourir. Il appartient aux vieux (quel mot bizarre!) de bien mourir, de montrer à ceux qui suivent à quoi ressemble une belle mort.
Je me tiens là longtemps, cherchant avec précaution mon équilibre sur le barreau, sentant le contact réconfortant du bois dans le creux de mes plantes de pied, m'efforçant de ne pas chanceler, évitant autant que possible toute variation de tension de la corde.
Pendant combien de temps une foule de badauds se satisfera-t-elle de regarder un homme debout sur une échelle ? Je suis prêt à rester là jusqu'à ce que la chair se détache de mes os, vienne l'orage, la grêle ou le déluge, pourvu que je vive.
Il continue à enseigner parce que cela lui donne de quoi vivre ; et aussi parce que c’est une leçon d’humilité, cela lui fait comprendre la place qui est la sienne dans le monde. Ce qu’il y a là d’ironique ne lui échappe pas : c’est celui qui enseigne qui apprend la plus âpre des leçons, alors que ceux qui sont là pour apprendre quelque chose n’apprennent rien du tout.
Qui, donc, est pour mettre la grue en place?