Citations de James Graham Ballard (254)
Il avait eu besoin, pour l'aider à survivre à la guerre, de cet aviateur, de ce jumeau imaginaire qu'il s'était inventé, réplique de lui-même qu'il regardait à travers les fils barbelés. Si le Japonais était mort, une partie de lui-même était morte aussi. Il n'avait pas réussi à saisir cette vérité que des millions de Japonais connaissaient depuis la naissance : que, de toute façon, mort ou vivant, cela revenait au même et que croire autrement était s'illusionner.
Quand vous avez quelqu’un dans la famille qui veut se tuer, mais qui n’y arrive pas, et qui prend des années pour se décider, qui prend son temps comme s’il n’y avait rien de plus important, alors on ne peut pas s’empêcher de voir la vie comme ils la voient.
Ce qu’il voulait de cette fille, ce n’était pas qu’elle l’aide à s’évader de l’île, il s’en fallait bien ; il l’employait plutôt au service de motivations qu’il n’avait jamais acceptées auparavant : le besoin de se délivrer de son passé, de son enfance, de sa femme et de ses amis, de leurs affections et de leurs exigences, afin de partir pour toujours à l’aventure en vagabondant tout seul dans la cité déserte de son esprit.
Malgré toutes les déceptions endurées quand il luttait pour s’évader, il s’accrochait encore à l’espoir de ce miracle : un conducteur freinerait un jour, s’arrêterait, viendrait le chercher.
Encore quelques heures, et ce serait le crépuscule. Il pensa à Catherine, il pensa à son fils. Il les reverrait bientôt. D’abord, manger. Ensuite, un peu de repos. Et ensuite, les calculs, les projets à faire soigneusement. Les plans d’évasion.
Tant d’efforts, tant de fièvres pour rien. Quelle absurdité ! Il n’avait vraiment pas besoin de quitter l’île : et voilà qui suffisait à prouver qu’il la maîtrisait, qu’il en était le seigneur, totalement.
Les réconciliations, ça n’a jamais été mon fort, j’ai toujours préféré rester furieuse pendant des jours. C’est comme ça qu’on peut vraiment détester les gens…
Il vaut mieux se punir que de faire des excuses.
C’est horrible comme on traite les anormaux, les déficients mentaux. Il y a des institutions, mais s’ils ne veulent pas y aller, rien, personne ne les protège.
La vie avait dû être dure, incompréhensible, pleine d’adultes sans cœur lui assénant des coups de tous côtés, et il restait là, encore accroché à sa foi innocente en un monde sans complication.
Ça vous a étonné. Eh bien, c’est comme ça, les gens sont égoïstes, voilà tout. On n’y fait pas attention, jusqu’au moment où on a besoin d’eux
Quand elle se pencha sur lui et lui souleva la nuque en portant la tasse à ses lèvres, il aspira tout le fumet de ce corps ferme et chaud, mélange de parfums et d’odeurs qui augmenta encore son vertige.
Les raids contre les exilés isolés devenaient aujourd’hui plus fréquents.
Ce n’était pourtant pas ce motif qui les retenait unis, mais leur conscience de ne pouvoir que l’un avec l’autre conserver vivace un timide reflet de leur individualité antérieure, quels que fussent ses défauts, et arrêter l’engourdissement graduel de l’intelligence et du moi à quoi inclinait de façon invisible la prison des dunes. Comme tous les purgatoires, la plage était une salle d’attente, les étendues de sel humide suçant pour ainsi dire le fond le plus solide d’eux-mêmes. Ces minuscules nœuds de personnalités luisaient faiblement dans la lumière de la prison, la zone de néant qui guettait le moment de les dissoudre et de les décomposer comme des cristaux séchés par le soleil.
Je dis toujours la vérité… c’est une autre façon de mentir. Si vous dites la vérité, les gens ne savent pas s’ils doivent vous croire.
En la regardant pour la dernière fois, Ransom eut conscience des liens inexprimés existant entre lui et la jeune infirme. Ses traits blêmes, qui avaient été lavés de la souffrance aussi bien que des souvenirs, et comme vidés de toute notion du temps firent naître chez Ransom une image de son propre avenir. Pour Vanessa, comme pour lui-même, le passé n’existait plus. A partir de maintenant, ils devraient inventer leur propre sens du temps hors du paysage qui les entourait.
Il remarqua de nouveau la totale asymétrie de sa figure, la tempe gauche déformée qu’elle tentait de dissimuler par une boucle de cheveux. C’était comme si sa face portait déjà des blessures d’un accident de voiture effroyable qui se produirait quelque part dans l’avenir. Parfois, Ransom sentait que Judith était consciente de cet autre elle-même, et qu’elle traversait la vie avec la constante perspective de cet avenir menaçant.
- Charles, qu'est ce que tu vas faire ?
Malgré lui, Ransom rit. En un sens, la question avait été inspirée à Judith par la barbe et l'air de batteur de son mari. Mais la fréquence avec laquelle elle lui avait été posée par tant de gens différents lui fit réaliser que sa présence permanente dans la ville déserte, son apparente acceptation du silence et du vide, mettaient en quelque sorte en relief le vide de leur propre vie.
Tous les soirs de l'été à Vermilion Sands, les poèmes insensés de ma belle voisine traversaient le désert depuis l'atelier n°5, Les Étoiles, jusqu'à ma villa, écheveaux brisés de rubans colorés qui se dénouaient dans le sable comme les fils d'une toile d'araignée mise en pièces. Toute la nuit, ils voletaient autour des piliers sous la terrasse, s'entrelaçaient à la grille du balcon et, au matin, avant que je les balaie, il s'en trouvait déjà d'accrochés à la façade sud de la villa comme une bougainvillée d'un éclatant rouge cerise.
La nuit dernière encore, tandis que, venu de Lagoon West, le vent du crépuscule soufflait sur le désert, j'ai entendu des fragments de musique portés par les rouleaux thermiques ; fugaces et lointains, c'étaient des échos du chant d'amour de Lunora Goalen. Mes pieds foulaient le sable cuivré vers les récilfs où poussent les sculptures soniques. J'errais dans l'ombre parmi les jardins métalliques, en quête de la voix de Lunora. Personne n'entretient les sculptures, de nos jours, et la plupart d'entre elles se sont flétries. Néanmoins, suivant l'inspiration du moment, j'ai coupé une spirale et l'ai rapportée jusqu'à ma villa pour la planter dans le lit de quartz, sous le balcon. Toute la nuit, elle a chanté pour moi, m'a parlé de Lunora et de l'étrange musique qu'elle jouait pour elle seule...
- Oubliez l'eau. Catherine, je détesterais vous voir imaginer que je suis satisfait de moi, de toute chose. Si je me suis si bien préparé, c'est seulement parce que... - il chercha ses mots - ... j'ai toujours estimé que la vie dans son ensemble était une sorte de terrain voué aux catastrophes.