La Trahison des Jacobins a été publié par les éditions City en 2019. Les faits et l'ambiance politique qui règne dans Paris en cette époque troublée sont méthodiquement et clairement exposés. La plume de Jean-Christophe Portes est très agréable à lire, élégante et minutieuse, mais le style est plus abrupt, plus râpeux que dans les opus précédents, à l'aulne de la misère plus présente dans cette cinquième enquête: "On n'y voyait pas grand chose à cause des fenêtres fermées, pour éviter que l'air extérieur ne vienne corrompre celui de l'intérieur, dit l'Econome qui déambulait un pas devant lui, penché sur les litières immondes...Il disait d'autres choses; qu'il avait tant d'enfants, si fragiles, si démunis, tant de misère et de morts. Que c'était l'été et qu"on n'attendait point pour enterrer, il faisait trop chaud." (Page 17).
Construction: immédiate descente aux Enfers avec la visite de Dauterive dans la prison de Bicêtre, véritable antre du diable, à la recherche de Joseph, disparu à la fin de l'épisode précédent, illustrée par des descriptions imagées et terriblement évocatrices.
Thèmes: trafic d'enfants; réseaux de prostitution; scandale financier (fausse monnaie).
Sens de la mise en scène avec des descriptions précises, hautes en couleurs, révélant les tréfonds sordides de l'âme humaine: "Elle voulut crier mais ne réussit qu'à s'éloigner à pas hagards, le Hibou dans son sillage. Sur son chemin, elle vit d'autres fillettes ou des garçons (le plus âgé n'avait pas douze ans) satisfaire leurs clients de toutes les façons possibles, certaines offrant leurs croupes penchées en avant, comme dans les pires gravures licencieuses. D'affreux personnages de tous âges et de toutes conditions rôdaient autour, tous bien laids et bien répugnants, suant le vice...Souvent des filles perdues accompagnaient les enfants, se faisant passer pour leurs mères, de sorte que nul n'y trouvait à redire...Parfois les enfants sont prostitués par des maquerelles, dit Restif. Dans ce cas, le réceptacle de leurs ébats n'est pas le jardin mais le bordel." (Pages 168-169)...
..."Oui, certaines familles cédaient leurs propres fils ou filles aux marchands de sexe. Des femmes dix fois mères, qui abandonnaient le dernier rejeton non désiré - après tout c'était cela ou la famille crevait de faim, avec trop de bouches à nourrir. Le trafic s'alimentait aussi de fillettes ou de garçons enlevés, volés Dieu savait où, Dieu savait par qui. A Bicêtre? Peut-être bien! Dans les faubourgs, dans les campagnes...D'autres gosses étaient directement retenus à la source pour ainsi dire: des épouses désirant cacher leur grossesse à leur mari, des filles de maison, des cuisinières, des paysannes enceintes. Une négociante leur offrait des arrhes; en échange elles accouchaient chez cette dernière et lui abandonnaient le bébé. Et quelques années plus tard, celui-ci venait alimenter l'odieux marché." (Page 173). =>Pratiques malheureusement toujours d'actualité.
A la fin de l'épisode précédent, L'Espion des Tuileries, Joseph est enlevé par Dossonville, afin de se venger de Dauterive, et emprisonné à Bicêtre. Déclaré mort, Victor rumine sa colère et son chagrin de n'avoir pas su protéger son petit valet. Afin de venger sa mort, il n'a plus qu'une seule idée en tête: tuer Dossonville. Mais Charpier a un autre plan pour lui: discréditer Danton afin de détruire Dossonville, son principal agent.
C'est alors que le policier Bachelu est retrouvé mort dans un établissement de Bains Publics, en apparence suicidé mais plus certainement assassiné, supposément par Dossonville, sur les activités illicites duquel il enquêtait. A moins qu'il ne s'agisse d'un règlement de compte par Mariette, un médecin altruiste, criblé de dettes, dépensant tout son argent dans le jeu, complice de Bachelu dans son trafic d'alcool?
Victor est chargé de l'enquête par Charpier, assisté par le policier Lacour: "Vous allez reprendre l'enquête contre Dossonville, et vous la mènerez à son terme avec monsieur Lacour. Vous aurez un mandat du Comité de surveillance de l'Assemblée. Je serai votre seul interlocuteur...N'oubliez pas que Dossonville travaille aussi pour le Comité de surveillance. Il s'occupe de la lutte contre les faux assignats..." (Pages 44-45).
Quant à Olympe, persuadée que Joseph n'est pas mort mais tombé entre les mains de trafiquants d'enfants, part à sa recherche, écumant les bas-fonds de la capitale, sans se douter des dangers auxquels elle s'expose.
Plus Victor avance dans son enquête, plus il a la conviction que la véritable raison du décès de Bachelu concerne un secret d'Etat bien plus important que le trafic de fausse monnaie. Tandis que la menace autrichienne se fait chaque jour plus présente, frappant aux portes de Paris, dans une ambiance de guerre civile: "Désormais, tout était clair: la Cour attendait l'arrivée des Autrichiens pour reprendre le pouvoir. Capet remonterait sur son trône millénaire comme si rien ne s'était passé, comme si les Droits de l'homme, comme si toutes les réformes ne comptaient pas. On fusillerait, on pendrait quelques centaines de meneurs, des députés ou des officiers, on raserait les clubs, on fermerait les journaux et l'Assemblée, et la vie d'autrefois reprendrait." (Pages 312-313) =>Comment Victor, dans de telles circonstances, parviendra-t-il à démêler les fils de cette intrigue complexe?
Quelle admirable leçon d'histoire couplée d'un passionnant roman d'aventures policières!! La Trahison des Jacobins présente tous les ingrédients du polar historique de haut vol. Car désormais, Jean-Christophe Portes figure parmi les meilleurs auteurs du genre. J'ai bien plus appris sur cette période complexe en lisant ses romans que pendant les cours dispensés au lycée. L'auteur excelle à démêler les fils embrouillés de l'Histoire et à présenter le plus clairement possible les dessous politiques de la Révolution, tout en concoctant une intrigue policière bien ficelée. Je regrette toutefois que la haute qualité de l'ouvrage soit gâtée par les trop nombreuses coquilles dues au manque de soin apporté à son élaboration.
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