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Citations de Jean Colombier (30)


Et je me suis retrouvé à l'intérieur (du café). J'ai eu un coup d'oeil circulaire. Bien des choses avaient été changées (mobilier, sol, éclairages, etc.) mais la géographie des lieux était restée la même. S'il avait été rénové, le comptoir n'avait pas été déplacé. Il a connu le temps du Cinzano, du 421, du cendrier en opaline, du présentoir d'oeufs durs. Il a entendu dire un grand nombre d'inexactitudes. D'exagérations aussi, particulièrement à la saison des cèpes et des palombes. Sa patine maîtrise le patois landais, connaît la légende et la poésie locales. Un zinc immuable. Peut-être même immortel. Seuls les anciens se sont effacés du décor. Partis avec leur béret.
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Ah, les premiers accords du premier slow, quand ils surprennent tout le monde, les filles occupées à une valse ou à un rock avec la copine, les garçons à boire un gorgeon, la bousculade pour arriver en tête là où tout à l'heure on a aperçu un paquet, et, si le paquet a déjà été emballé, le tour de piste, vraiment à la queue leu leu, les yeux écarquillés dans la pénombre pour tâcher de deviner si celle-là, des fois, ou celle-là à côté. Non ? Bon tant pis. Et les regards mauvais jetés aux malins, aux professionnels du samedi soir, faciles, dominateurs, une main dans le dos de leur partenaire, l'autre dans la poche, les mecs à qui on ne la fait pas, ceux qui obtiennent d'un mouvement de la tête, d'un signe de l'index, l'assentiment d'une ténébreuse que n'ont pas décidée les prières à genoux de futurs maris trompés.
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J'avais à présent la photo de l'équipe sous les yeux, celle des juniors de 1977. On n'a pas vingt ans. Le stock d'illusions est intact. Aucun d'entre nous ne voudrait se trouver ailleurs. On ne croit pas à la mort ni aux conneries de ce genre. Sinon, quand on ne joue pas au rugby, quand on ne pose pas pour une photo, on parle sans calcul, on fume sans filtre, on baise sans capote, on roule sans ceinture...
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Mozart me tenait souvent compagnie. J'avais enregistré son Concerto pour harpe et flûte dont la mélancolie et les imprévisibles enjouements donnaient chair au fantôme de Louise, traduisaient à merveille ce chaud et ce froid qu'elle soufflait en permanence. L'ironie et la douceur, l'ingénuité et la rouerie, l'entrain et le marasme se succédaient, se mélangeaient jusqu'à composer un bouquet qui me tournait la tête. Il me restait l'incertitude, je n'en souhaitais pas plus. J'ouvrais les bras à ses petites soeurs, l'attente et l'espérance, étonné là encore d'avoir pu oublier ses saveurs vénéneuses, convaincu qu'elle exhalait ce que l'amour propose de plus précieux.
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A Lendrosse, au mojns, tu ne galères pas pour stationner. J'ai laissé la voiture à environ soixante mètres... Un platane m'a proposé son ombre. Ses frères et lui n'ont toujours été avec nous que bienveillance. Et discrets, avec ça. Cet arbre était-il celui contre lequel, enfants, nous appuyons nos vélos à l'heure du goûter ? Celui sur lequel nous jouions à plante-couteau ? Celui sur les racines duquel, plus tard, les soirs de fête, nous soulagions nos vessies ?
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On peut diviser les joueurs de rugby en deux catégories : les avants et les trois-quarts.
Les avants sont assez ou très grands, assez ou très costauds, parfois gros. D'instinct grégaire, ils aiment les choses simples et les idées carrées. On les appelle les avants, les gros, les mules (ou mulets), à l'occasion les boeufs.
Les trois-quarts sont en principe plutôt élégants. Leur tempérament individualiste et taquin agace parfois les avants qui les aiment bien, malgré tout. On les appelle les trois-quarts, les gazelles; les danseuses quand ils énervent vraiment les avants.
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Accoudé au comptoir, l'inévitable routier dont le ventre gonflé et la fesse fuyante causaient bien du tracas à un pantalon que ne repêchaient plus des bretelles déprimées amusait la galerie. C'était un habitué, il tenait à le faire savoir, plaisantait très fort avec le patron, vérifiait autour d'eux l'effet produit, prêt à sceller une amitié bruyante avec quiconque manifesterait son contentement. Deux verres, à côté du sien, comme des armes abandonnées sur un champ de bataille, témoignaient d'une récente embuscade.
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Sur le trottoir, un clochard buvait des yeux son collègue qui buvait un fond de bouteille.
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Parfois mon métier me pesait, la misère humaine me pesait, cette misère que je m'efforçais d'atténuer en posant sur les plaies des emplâtres de billets de banque. Thérapie dérisoire. les larmes se transformaient en chiffres, les handicaps en pourcentage. Perte d'une main, de 40 à 50%. Amputation au niveau du genou, 60%. Perte d'un oeil, 25%. Perte des deux, 85%. Dans tous les cas, il te reste 50, 70, 15% de validité, c'est-à-dire qu'il te reste de quoi bouger, communiquer, vivre à peu près. Il arrive aussi qu'il ne te reste rien, tu es invalide à 100%, tu as gagné le gros lot ! Tu n'es pas beau à voir. Un légume. mais un légume hors de prix. Cher du kilo. A dégoûter les assureurs de devenir végétariens. Les dossiers qui plombent leurs résultats,...
Et moi avec mon chéquier, mes mots emmiellés, j'essaie de leur faire oublier leur peine, aux amputés, aux détruits. Ils ne savent pas (mes employeurs) ce que c'est que de représenter l'assureur du coupable, de l'automobiliste débile, ils ne savent pas combien la suspicion, l'agressivité de la plupart des victimes finit par me miner. J'arrive en père Noël, on m'accueille en Père fouettard.
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Et ma chambre ! Oh ma chambre, ma chambre... Je m'y suis installé il y a huit mois, quand nous nous sommes séparés, Anne-Sophie et moi. Je l'ai jouée grande classe, garde l'appartement en attendant de trouver quelque chose, je me débrouillerai, ne t'en fais pas. Ce que je peux être con ! Je me suis retrouvé là, une valise à la main, un carton sous le bras, bien content de dénicher dans la journée une chambre de bonne, sixième avec ascenseur. Jusque là, tout va bien. Après les choses se gâtent : neuf mètres carrés, lit à une place, mais à petite place, trop souple en plus, les soirs de cuite j'y suis sujet au mal de mer. Alors imagine avec une fille. La tête de la belle lorsqu'elle découvre le nid d'amour de son héros ! Grâce au ciel, pour l'instant j'ai réussi à leur éviter la déception. Autre version des faits : malheureusement, je n'ai pas encore réussi à en entraîner une jusqu'à ma couchette.
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Mme Lucienne Duval n'avait pas attiré la foule. A quatre-vingt-douze ans elle avait vu partir l'essentiel de ses amis. J'ai compté dix-sept personnes. L'époux, enterré depuis longtemps, quelques petits-enfants dont les obligations professionnelles justifiaient la défection, des malades agrippés à leurs draps et implorant le Seigneur de n'être pas le prochain, cela tempérait la sévérité du jugement que l'on eût pu porter sur la négligence des villageois. La fille de la défunte dissimulait sous un voile noir des larmes authentiques. On ne pleure pas le décès d'une nonagénaire, mais on éprouve un vrai chagrin à se découvrir tout à coup en première ligne sur la liste familiale. Plus d'écran, plus de protection parentale, l'heure approche.
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Le rêve, c’est le célibataire. Jeune de préférence. Imagine un jeunot tétraplégique : pas drôle pour lui, dramatique pour l’assureur. Entre les frais divers et la tierce personne vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une fortune. A s’arracher les cheveux. Le même rend l’âme : personne à charge, préjudice moral des parents, des frères et sœurs, quelques bricoles, de la rigolade. Je sais, ça peut choquer, mais il faut regarder les choses en face. La dure loi du marché. Que vaut la vie humaine ? Moins cher qu’une jambe coupée ? Ca remet les pieds sur terre. Celui qui reste, du moins.
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Je savais, je me répétais que les fantasmes ressemblent à une bulle de savon. Souffler mais pas toucher.
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Ils ne pouvaient pas rater le match contre Aurillac. L'événement. Même la presse nationale en parlait. Quant aux quotidiens locaux, c'était à celui qui oserait le titre le plus emphatique, l'image la plus poignante : "La garde allait peut-être mourir mais elle ne se rendrait pas", "Saint-Junien attendait ça depuis le début du siècle", "Le vent de l'histoire allait enfin souffler sur les sapins du Chalet".
Il a soufflé juste ce qu'il fallait pour faire passer le ballon entre les poteaux, l'arbitre ayant eu l'idée saugrenue de nous accorder d'entrée une pénalité en bonne position. Après, il a cédé, le vent, à des sautes d'humeur qui nous ont mis dans l'embarras... Trois à zéro, c'était une lucarne ouverte sur le bonheur, mais la muraille aurillacoise nous parlait de malédiction. Faute d'y mettre la manière, faute d'ajouter à notre jeu cette touche de panache dont nous parlions, avant les matches, avec le sourire mélancolique du pauvre devant un yacht, nous nous sommes comportés avec une vaillance de pioupious...
Enfin bref, notre mince avance, nous l'avons conservée jusqu'au bout, nous avons gagné, nous nous sommes qualifiés. Décrire la liesse qui s'est emparée du stade serait vain. Jusqu'à l'arbitre qui a failli être porté en triomphe. Il avait eu la bonne idée de refuser un essai aux Auvergnats à deux minutes de la fin. Ah le brave homme, s'étaient écriés quatre pépés, spécialistes de la sortie délicate de ce qu'ils appelaient les corbeaux, ah le brave homme, et ils avaient entrepris de le hisser sur leurs épaules, exercice auquel ils avaient rapidement renoncé, par manque d'habitude et de peur de créer un précédent. Ils tenaient à leur réputation.
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L'avant veille du match à la sortie de Saint-Junien... Ligne blanche, phares non allumés, vitesse excessive, la totale. Un coup de sifflet rageur m'a surpris la main dans le sac ...
_ Alors, on gagne dimanche, hein ?... Vous vous êtes bien entrainés hein, Béloni a l'air confiant.
Les gendarmes m'entouraient, un automobiliste interpellé juste avant moi a cru bon de préciser que vu l'heure, ça l'arrangerait que ça aille un peu plus vite...
La tournure des événements m'a incité à les gratter là où ça les démangeait, bien sûr que nous allions gagner, on était au complet, Béloni n'avait rien négligé. Ils ont arrêté la circulation... Au moment où je démarrais, il m'a rattrapé :
_ Ah dis donc, au fait, fais gaffe quand même aux lignes blanches, tu sais, y a des flics qui sont cons des fois, et puis mets tes phares, tu verras mieux, et quand tu auras le temps, change tes pneus, ils sont complètement lisses. Et n'oublies pas ton clignotant quand tu t'engages sur la chaussée. Allez à dimanche, hein !
Satisfait de s'être ainsi adonné à la prévention, il s'est retourné, un vilain sourire aux lèvres, vers le contrevenant à qui tant de conseils judicieux avaient rendu espoir. Il ne connaissait pas Chaisemartin et sa définition de ce métier qu'il exerçait avec passion : la gendarmerie, c'est comme le pastaga, une dose de prévention, quatre doses de répression.
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Il ne s'est pas contenté de servir du Coca, il s'est mis à en boire. Nous l'aurions préféré alcoolique, paralytique, n'importe quoi. Mort, s'écriait un Bussat aux accents pathétiques, je le préférerais mort que buveur de Coca. Tandis que là, à le contempler avec à la main ce verre empli d'une boisson nauséabonde et pernicieuse (Copyright s'était renseigné, ça attaquait même le béton armé), à l'entendre nous encourager, à l'entrainement d'un "come on", d'un "magnez-vous boys", nous refusions de nous résigner, mais l'évidence nous cernait. Béloni nous échappait, il allait nous quitter.
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J'étais perdu. Qui était qui ? Julien avait-il en définitive accepté un avocat ? J'espérais que ce serait celui qui se dissimulait dans la robe de gauche. Il avait belle allure, le menton énergique, le front réfléchi, un regard vif. Je sais qu'une physionomie intelligente déguise souvent les imbéciles, mais sa ressemblance avec Humphrey Bogart me rassurait.
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Cet ancien condisciple du lycée de Limoges avait vieilli à défaut de grandir. Il confiait à des lunettes excentriques le soin de détourner l'attention de ses talons d'Achille : sa taille et sa calvitie.
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Pourquoi m'étais-je marié ? Pour faire comme les autres ? Pour me déguiser en adulte ?
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Belle soirée, pas grandiose, mais belle soirée. Les chants commençaient à s'élever d'un coin du bar, les commandes à pleuvoir, les rires à éclater, les bras trouvaient des épaules, les coudes des côtes, les verres s'entrechoquaient, les défis fleurissaient, les aveux sourdaient, les blagues retentissaient, les billets défilaient, le tiroir-caisse cliquetait...
Notre univers manquait de souffle, il s'arrêtait là, devant ce comptoir assailli par une faune rigolarde aux ambitions modestes, nous misions sur l'alcool et nos amis pour nous donner la force et l'envie de renverser les montagnes, pour nous faire croire, au moins l'espace d'une nuit, que nous étions heureux. Les aubes n'étaient jamais navrantes. L'ivresse estompée, il restait l'amitié, le plaisir de n'avoir pas été raisonnables, l'envie de l'être moins encore. Il nous restait aussi les souvenirs et tous ces souvenirs futurs qu'il faudrait d'abord vivre, ces souvenirs si chers au coeur des vieux rugbymen que nous serions un jour.
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