Jean-Luc Barré vous présente son ouvrage "
De Gaulle, une vie. Vol. 1. L'homme de personne : 1890-1944" aux éditions Grasset. Entretien avec
Christophe Lucet.
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« Les diplomates échappent par la discrétion professionnelle au jugement du vulgaire », écrit-il. Du vulgaire, oui. Mais des autres ? Le surcroît de puissance que lui confère en 1921 l’accession au secrétariat général, le prestige dont cet homme du monde entre tous recherché jouit dans les salons parisiens et les lieux à la mode, l'adulation ou la haine qu'il inspire sans autre forme de sentiment, l’ont peu à peu privé du halo protecteur que lui assuraient jusqu'alors le service de l'État et son propre souci d'anonymat.
Meurtrie par la mort de leur petit-fils, Olivier Lyon, tué à vingt ans dans un déraillement de train, Sophie Berthelot ne s'est jamais remise d un drame qui s'ajoutait à celui de la disparition de la mère du jeune homme, sa fille Hélène. Une maladie de cœur l’avait contrainte depuis lors au repos. « Comment vous dire le tragique de ces longs mois pendant lesquels, jour après jour, nous sentions ma mère bien-aimée plus proche de la mort et mon père encore parmi nous et déjà étranger à ce monde dont il se détachait peu à peu pour la guider vers l'autre rive », confie Daniel Berthelot à Anna de Noailles. Le 18 mars, Marcellin Berthelot, brisé par le chagrin, ne survit qu'un quart d'heure à la disparition de sa femme.
Comme Victor Hugo vingt ans plus tôt, le savant est honoré d'obsèques nationales au Panthéon où, fait exceptionnel, Sophie Berthelot et lui pourront reposer côte à côte.
Le 22 août (1914), on apprend à Paris la chute de Charleroi. L'ennemi se déverse à grands flots vers la frontière. Les télégrammes du général Joffre, restés jusque-là fort laconiques, ne peuvent plus masquer l'ampleur du désastre. Un gouvernement d'Union sacrée est aussitôt constitué, dans lequel Delcassé retrouve le ministère des Affaires étrangères. Le 28, l'avancée des troupes allemandes est telle qu'une véritable psychose s'abat sur Paris. Gallieni prend le commandement du camp retranché. À la demande de Joffre, les pouvoirs publics se mettent en route pour Bordeaux dans la nuit du 2 septembre.
« Je dînai, la veille de cette fuite, qui n'avait rien de glorieux mais qui était raisonnable, avec quelques diplomates qui cherchaient à l'excuser, rapporte Boni de Castellane. Philippe Berthelot l'annonçait comme un fait divers. »
Fait divers, sans doute, si on le rapporte aux dimensions de la guerre elle-même. Néanmoins le gouvernement vide les lieux avec une précipitation si indécente que Joffre en fera sèchement grief à Poincaré : « Je vous avais dit de partir, pas de foutre le camp ! » Apostrophe que Berthelot ne pourra s'empêcher de recueillir dans ses carnets.
« Quand on voit une personne, une double question à se faire : Quel âge a cet homme ? Quel âge ont ses pensées ? »
Sainte-Beuve
Philippe s’accommode moins bien en revanche de la signification qu'on prête à son patronyme : Berthelot voudrait dire en chinois : « Beaucoup de promotions ou de fortune » - traduction qu il juge « trop directe et grossière »...
- Qui sait vraiment qui nous sommes, s'interroge l'avocat de sa voix cuivrée de fumeur de havanes. Ce que l'on connaît de nous, chacun dans son genre, se résume à peu de choses. Notre aspect le plus sommaire et le plus approximatif. Tout le reste, qui tient à notre vie profonde et n'intéresse que nous, est condamné, par la force des choses, à demeurer inavouable. C'est pourtant la seule vérité qui compte...
« Clémenceau trouve absurde le fatras de Philippe Berthelot », signale Paul Cambon à son fils en décembre 1918. Absurde ou trop contraignant ?
Le président du Conseil n'est pas homme à se laisser dicter une conduite, encore moins une politique. Il se méfie des experts, des fonctionnaires, des conseillers. Dans l’action, il ne procède jamais que par humeurs, réflexes, coup de sang, intuition, ruptures. Ses arguments n'ont jamais rien de pesé ou de prémédité. Cet homme d'opposition n'a qu'une loi : envenimer les situations pour en tirer parti. La Conférence de la Paix ne sera pour lui qu'un champ de bataille comme un autre.
Berthelot lui reprochant un jour d'être « vraiment trop méchant », Clemenceau de répondre : « J'ai eu une femme, elle m'a fait cocu. Des enfants, ils m'ont abandonné. Des amis. ils m'ont trahi. Il me reste mes mains malades et je ne quitte pas mes gants ; mais il me reste aussi des mâchoires : je mords. »
À cette date [mars 1943], c'est Anthony Eden qui est reçu à Washington pour des entretiens officiels au State Department et à la Maison Blanche, où il est beaucoup question du sort de De Gaulle et plus encore de l'avenir de la France et de l'Europe. Le chef du Foreign Office est vite édifié sur le traitement que l'administration entend leur réserver. [...] Eden ne cache pas sa stupéfaction presque amusée devant les plans de réorganisation du « monde civilisé », et de la France en particulier, établis par ses alliés avec une désinvolture d'apprentis-sorciers imbus de leur suprématie. [...]
Ce qu'on découvre ici, et dont le général ne semble pas avoir eu connaissance immédiatement, n'est qu'atteintes délibérées à la souveraineté des États comme prix de leur libération, volonté de les soumettre et de les insérer dans un ordre planétaire dont le géant américain détiendrait le contrôle exclusif.
(P.709)
Il envisage de plus en plus ouvertement, à partir de sa seizième année, de se présenter au concours d'entrée à Saint-Cyr. École prestigieuse, symbole d'un ordre exigeant, devenu paradoxalement le premier but à atteindre pour un jeune homme si peu enclin à subir la tutelle d'une hiérarchie sans la contester. À moins de la dominer. (P.52)
"Londres, en juin 1940, ce n'était pas une ville où l'on arrivait, mais une ville d'où l'on partait ", résume Élisabeth de Miribel, qui fait état du peu de soutien ou même de sympathie rencontré par le général de Gaulle au sein de la communauté française dans cette période initiale.
« La panique régnait chez les Français en mission, ils étaient environ 800, à l'ambassade et dans la colonie française, raconte-t-elle. Les uns, comme anéantis, étaient submergés de douleur et de honte. Les autres, persuadés que l'Angleterre serait submergée et battue, ne songeaient qu'à s'enfuir et à sauver les meubles. C'est dans cette atmosphère que retentit le premier appel du général de Gaulle. Pour la plupart des Français, il était un inconnu (...) et voilà que cet homme seul osait soudain braver la hiérarchie militaire, remettre en question la parole du maréchal Pétain et appeler les Français à reprendre le combat! Dans les milieux officiels, on criait au scandale. [...] Quant au personnel de l'ambassade de France, il préférait éviter de nous rencontrer. Pour certains, nous étions des aventuriers, pour les autres des gêneurs. "
La plupart des défections survenues durant l'été 1940 émanent du même microcosme d'intellectuels et de journalistes devenus vite réfractaires à la personnalité ou à l'action politique du général de Gaulle. [...] Après André Maurois, biographe de Disraeli et proche de la famille royale, c'est un autre écrivain célèbre, Jules Romains, qui choisit de s'éloigner de Londres pour aller se réfugier outre- Atlantique. Dans cette élite littéraire du moment, le général ne tiendra rigueur durablement qu'à un seul auteur, par ailleurs diplomate, de son départ précipité, qui lui vaudra d'ailleurs d'être sanctionné à son retour en métropole pour abandon de poste: Paul Morand. Lui, c'est pire encore! s'exclamera-t-il devant Alain Peyrefitte des années plus tard avec la même rancœur. Morand était un grand écrivain, choyé comme tel à Londres. Et il était très introduit dans la société anglaise (...) Nous ne connaissions personne. Vous imaginez de quel poids aurait été son ralliement ! Il aurait pu apporter à la France Libre le faisceau de relations qu'il s'était faites par sa renommée littéraire et son succès auprès des dames. Il m'a manqué (...) Morand est impardonnable. » Et d'ajouter, après un temps de silence: Sa femme avait du bien. Quand on a du bien, on le fait passer avant la patrie. Les Français qui avaient du bien ne m'ont pas rejoint".
C'est à ces mêmes réflexes conservateurs que le général imputait la défection non seulement de Morand mais de beaucoup d'autres, au point d'établir une distinction sociale entre ceux qui le rallièrent. Issus du peuple ou de l'aristocratie pour nombre d'entre eux, et les autres, des bourgeois, grands ou petits, rivés à leurs titres et à leur patrimoine:
"Ce qui a rendu si rares les Français libres, c'est le fait que tant de Français soient propriétaires. Ils avaient à choisir entre leur propriété - leur petite maison, leur petit jardin, leur petite boutique, leur petit atelier, leur petite ferme, leur petit tas de bouquins ou de bons du Trésor et la France. Ils ont préféré leur propriété. Quels ont été les premiers Français libres ? Des braves types comme les pêcheurs de l'île de Sein, qui ne possédaient que leur barque et l'emmenaient avec eux ; des garçons sans attache, qui n'avaient rien à perdre ; des juifs qui se sauvaient parce qu'ils devinaient qu'ils allaient tout perdre. Ceux qui avaient à choisir entre les biens matériels et l'âme de la France, les biens matériels ont choisi à leur place. Les possédants sont possédés par ce qu'ils possèdent." (P.413)