Citations de Jean-Marc Souvira (111)
Il entend des voix qui disent : Comment tu fais ça, monsieur? Il entend des cris, des hurlements, et puis des silences.
Les oiseaux revenaient ensemble vers Zhang qui démarra une série de mouvements lents, amples, une sorte de danse que l’énorme masse des oiseaux se mit à suivre, se laissant guider par l’homme, petit point rivé sur le sol. La silhouette filiforme de Zhang était un mélange d’élégance et de force. Il ressemblait à un chef d’orchestre guidant des musiciens sur une partition connue d’eux seuls. Il était évident, à cet instant précis, que rien d’autre n’existât pour Zhang. Un lien étrange, fort, invisible le reliait aux oiseaux. Cette connivence silencieuse créait un monde à part dans lequel Zhang et les étourneaux évoluaient.
Oui, son clan fonctionnait comme une véritable mafia. Une partie des sommes gigantesques qu’il drainait prenait indirectement le chemin d’Israël grâce au mécanisme de blanchiment élaboré par les Chinois.
- Zhang sera sans doute le plus grand médecin de son temps. Il a accumulé une somme de connaissances gigantesque, et continue d’apprendre. Mais ce n’est pas tout. Il est en symbiose avec la nature et les animaux. Il a aussi quelque chose de très étonnant, d’étrange, de dérangeant que je résumerai en disant : « Il voit. » Pour toutes ces raisons, votre fils doit vivre.
Le père se ravisa alors et livra la seule information qu’il possédait :
- Je sais simplement que Zhang a pris la direction de l’est.
- Très bien. Les deux hommes qui m’accompagnent vont partir dans cette direction. Ils sauront quoi faire.
Un homme seul est un homme mal accompagné. » Il était trop tard pour réfléchir à la justesse ou pas de cette affirmation et rectifier le sens de sa vie.
Le policier avait tout de suite compris l’issue du passage à tabac. La mort. Sinon les mecs auraient mis des cagoules, l’auraient massacré et jeté dans une quelconque ruelle. Vivant. Amoché, mais vivant. Ni vu ni connu. Tandis que là, ils opéraient à visage découvert sans précautions.
Une fois seul, le sorcier s’empressa de compter les dollars et les rangea dans une boîte. Dans quelques nuits, il irait à Bénin City se plonger dans l’anonymat de la grande ville où il connaissait des bordels qui renouvelaient sans cesse les très jeunes filles.
— Je remercie ma madam de m’avoir choisie. Je sais qu’elle va payer mon voyage et faire en sorte que j’aie un bon métier chez les Blancs. Je travaillerai dur. Je la rembourserai entièrement. Je lui dois tout.
Margaret écarquilla les yeux et se retint de respirer. Elle se dit que son jour de chance venait d’arriver. L’invocation des esprits allait la combler, elle et sa famille.
L’homme recommença son stratagème devant un autre parking. Il effectua à quatre reprises ses observations et photos à des endroits différents. Les aires de stationnement n’étaient jamais situées dans le même arrondissement, et aucune ligne de métro ou de bus ne les reliait directement. Un impératif absolu. Il savait comment fonctionnaient les flics : tout vouloir connecter, chercher des habitudes, explorer les caméras de surveillance. Du basique. Mais dès l’instant où rien ne pouvait concorder, où aucun fil conducteur n’apparaissait, ils pataugeaient. Et là, il gagnait un temps fou.
Le sorcier se trouvait au centre d’un cercle blanc tracé à la craie qui symbolisait un univers de protection dans lequel il entraînerait la jeune fille. Il tenait dans ses mains décharnées une coupe dans laquelle se consumaient des produits à l’odeur âcre qui donnèrent à Margaret l’envie de tousser.
Si elle s’enfuyait, elle serait bannie et la honte retomberait sur sa famille pendant des générations. Margaret devenait prisonnière de la parole et de la dette de sa mère.
Margaret commençait à ne plus se sentir très bien. Elle aurait voulu être ailleurs, renoncer à tout ce qui l’attendait : la richesse, les bijoux, la maison, un mari, des enfants, un travail intéressant chez les Blancs. Elle hésitait à fuir, se demandant si ses jambes pouvaient encore courir.
Margaret, impressionnée mais curieuse, détailla la pièce. Sur des étagères étaient alignés des crânes d’animaux séchés : singes, hyènes et félins. Leurs mâchoires laissaient apparaître des rangées de dents meurtrières. Des fétiches rangés sur une planche de bois semblaient prêts à prendre vie sur un simple claquement de doigts du sorcier. Sous forme de petites statuettes anciennes de bois sculpté, ils représentaient des silhouettes humaines. Certaines affublées de cordelettes nouées autour du visage, d’autres traversées de pieux plantés dans le ventre. Recouvertes d’une patine dans laquelle se mélangeait du sang, de la terre et d’autres matières indéfinissables, elles impressionnèrent la jeune Margaret.
Devant la cabane de terre, de planches et de matériaux indéfinis, une grosse femme souriait exagérément à la jeune fille. Elle lui ouvrit grand les bras. L’adolescente, timide, posa ses mains sur celles de la femme. Son regard se porta sur les nombreux colliers et bracelets en or qui bringuebalaient autour des poignets et du cou gras de la dame. Jamais elle n’en avait vu autant, et surtout sur une même personne. Leur vente aurait permis à son village de vivre pendant plus de deux ans. La femme parla d’une voix forte à Margaret, mais en fait elle s’adressait à tous les participants de la cérémonie.
— Entre, Margaret. Je te félicite ! Grâce à toi, bientôt ta famille sera riche, tu vas pouvoir lui faire construire une belle maison et envoyer tes frères et sœurs à l’école.
En entendant les tambours et les chants, les mômes levèrent la tête et reconnurent Margaret qui marchait avec hésitation, essuyant d’une main la sueur qui lui brûlait les yeux. Les deux enfants parlaient à voix basse en pidgin, du broken english, la langue courante du sud-est du Nigeria. Du menton, l’un d’eux désigna la cabane vers laquelle se dirigeait la jeune fille. Ils semblèrent se tasser sur leurs talons, ne bougèrent plus, ralentissant inconsciemment leur respiration comme pour se faire oublier. Ils ne voulaient rien perdre de ce qui allait se produire.
e Nigérian était surnommé « Snoop » par tout le monde : bandits, trafiquants, y compris par les flics qui souvent figuraient aussi dans les deux autres catégories.
Snoop allait sur ses 30 ans, à peu de chose près. L’état civil de la région où il était né ne figurait pas parmi la première des préoccupations des chefs de village. De 12 à 25 ans, il avait fait partie d’une bande composée tout à la fois de pilleurs, de rançonneurs et de tueurs. Des foot soldiers, comme ils se désignaient eux-mêmes, sortes de fantassins qui tuaient pour un oui ou pour un non. Ou pour ni l’un ni l’autre.
Il existe des jours banals où, sans s’en rendre compte, on fait des choix cruciaux. Comme celui de vivre ou de mourir, mais on ne le sait pas. Enfin, pas tout de suite. C’était ce qui se produisait ce jour-là pour la jeune fille qui avançait lentement, morte de peur, vers la cabane, fixant avec anxiété la porte ouverte sur l’obscurité.
Ludovic Mistral éteignit la lumière et déposa au secrétariat les volumineuses procédures qui atterriraient dans la matinée sur les bureaux des magistrats. Il salua le planton de l’accueil et descendit les escaliers marqués par les pas de générations de flics, d’assassins et de trafiquants en tous genres. Ces escaliers, pensa-t-il, devraient pouvoir raconter l’histoire du Quai des Orfèvres en plusieurs tomes. Au moins, aux Batignolles, il y aura des ascenseurs, songea Mistral en souriant.
Le sevrage dura quelques mois, pendant lesquels il fut d’une humeur massacrante pour son entourage familial et professionnel. Mistral acceptait désormais ce déficit de sommeil qui ne le fatiguait plus. Fataliste, il s’était fait une raison, parvenant à se convaincre qu’il profitait davantage des trop rares moments que lui réservait sa vie privée.