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Critiques de Jean-Pierre Changeux (17)
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L'homme neuronal

Ce gros volume peut sans doute être considéré comme l'un des ouvrages fondateurs des neurosciences en France. Publié en 1983 comme la somme des connaissances des vingt années précédentes sur le fonctionnement du cerveau, connaissances encore très limitées par une technique assez primitive et donc par une expérimentation basée surtout sur les animaux, sur une surabondance de modèles théoriques plutôt que d'observations empiriques et enfin sur des débuts imparfaits de vulgarisation devant un matériau réservé aux spécialistes, son mérite est surtout épistémologique : avoir créé un pont entre les sciences sociales et les sciences dures, entre les champs dits « du psychisme » et la neurophysiologie et neuropathologie, dans l'attente d'une ouverture à la sociobiologie contemporaine qui attendra encore une bonne vingtaine d'années. Voici comment l'auteur envisage son ambition, dans sa Préface :



1. « Le développement des recherches sur le système nerveux s'est toujours heurté, au cours de l'histoire, à de farouches obstacles idéologiques, à des peurs viscérales, à droite comme à gauche. Toute recherche qui, directement ou indirectement, touche à l'immatérialité de l'âme met la foi en péril et est vouée au bûcher. On craint aussi l'impact sur le social des découvertes de la biologie qui, usurpées par certains, peuvent devenir des armes oppressives. Dans ces conditions, il apparaît plus prudent de trancher les liens profonds qui unissent le social au cérébral. Plutôt que d'aborder le problème de front, on préfère, une fois de plus, occulter ce dangereux organe. Alors, décérébrons le social ! » (p. 9)



Conformément à cette ambition, le Chapitre Ier, « L' "organe de l'âme" de l’Égypte ancienne à la Belle Époque », historique et fort intéressant, s'ouvre par les observations sur le cerveau d'un praticien anonyme de l'Ancien Empire égyptien, remarquable par la modernité de sa méthode, et il nous informe aussi que chez les Grecs, Démocrite avait pressenti les fonctions cérébrales beaucoup mieux que Platon et Aristote, dont la vision retarda nos connaissances de presque deux millénaires. À Descartes nous devons l'idée que le cerveau sert à produire les « esprits animaux » et que le corps de l'homme est une machine ; d'autres jalons étant la phrénologie de Gall et enfin par Broca et ses études sur l'aphasie.

Le ch. II, « Le cerveau en pièces détachées », part des calculs de l'encéphalisation d'Homo sapiens par rapport aux autres espèces et esquisse un premier discours évolutionniste (qui sera repris), pour en arriver à une description très pointue des neurones, (dendrites, cellules pyramidales, les 6 couches du cortex, etc.), de leur câblage (synapses), de l'architecture cérébrale.

Le ch. III, « Les "esprits animaux" », très technique lui aussi, se penche sur l'aspect dynamique du fonctionnement cérébral, à savoir sur la communication entre neurones : électrique et chimique à la fois, à laquelle l'auteur ajoute un troisième mode de « codage ». L'électroencéphalographie est très primaire mais on parle d'introduction de microélectrodes de dimensions très fines dans le cortex (d'animaux). Pour les observations microscopiques, on utilise surtout l'Aplysie ou limace de mer et on découvre le mécanisme de création par l'osmose du micro-potentiel électrique des cellules nerveuses ; par contre, pour les transmission synaptiques chimiques et les premières observations sur les neurotransmetteurs, la pharmacologie (à partir du curare, des venins animaux et des opiacés) semble donner, dès le XIXe s., des résultats déjà plus prometteurs.

À partir du ch. IV, « Passage à l'acte », l'ouvrage commence à se pencher du « comment ? » au « quoi ? », c-à-d. à l'étude neuroscientifique des comportements, à commencer par « l'ensemble des performances motrices » : « chanter et fuir », « boire et souffrir », « jouir et s'irriter », « atteindre l'orgasme », « analyser » et enfin « parler et faire ». Même si l'on est encore bien loin de pouvoir expliquer « ce à quoi on rêve » ou le « comment Bach a-t-il conçu son Art de la fugue » ou encore « qu'est-ce qui fait qu'elle nous/m' enchante », il est essentiel, du point de vu méthodologique, de voir à quel point la démarche de l'auteur s'est déjà démarquée à la fois de la psychologie, au sens large, et du comportementalisme ; les 2 cit. suivantes voudraient l'indiquer :



2. « L'homme, comme le rat, consacre une part essentielle de son temps (lorsqu'il ne dort pas) à boire, manger, faire l'amour... Une seule cellule, la cellule de Mautner, permet au poisson d'échapper à ses prédateurs. Quelques milliers de neurones, en un point précis de l'hypothalamus, décident en définitive de l'équilibre énergétique de l'homme et de la perpétuation de l'espèce. Les comportements les plus fondamentaux de la vie de l'homme ne dépendent que de 1% du volume total de l'encéphale, et le triple codage connectionnel, électrique et chimique s'applique sans détours à leur déterminisme. » (p. 147)



3. « À la recherche "behavioriste" de règles phénoménologiques pouvant exister entre un stimulus du monde extérieur et une réponse comportementale succède désormais, plus en profondeur, une entreprise de décodage d'impulsions électriques ou de signaux chimiques et de débrouillage de réseaux de neurones et de leurs connexions. Les données déjà obtenues, bien que fragmentaires, suffisent pour nous permettre de conclure avec sécurité que tout comportement, toute sensation s'expliquent par la mobilisation interne d'un ensemble topologiquement défini de cellules nerveuses, un graphe qui lui est propre. La "géographie" de ce réseau détermine de manière critique la spécificité de la fonction. » (p. 167)



Pour poursuivre cette exploration fonctionnelle, le ch. V introduit la notion des « Objets mentaux », sous les auspices d'une citation d’Épicure reproduite en exergue : « C'est parce que quelque chose des objets extérieurs pénètre en nous que voyons les formes et que nous pensons » [Là encore une erreur scientifique qui dura pendant des siècles : la vision émanant de l’œil plutôt que de l'objet vu]. C'est la question du système nerveux comme appareil fabriquant des « formes » et des « pensées » et non seulement comme réceptacle ni comme organisateur-ordinateur. Voyons déjà :



4. « […] il est évident que le cerveau de l'homme est capable de développer des stratégies de manière autonome. Anticipant les événements à venir, il construit ses propres programmes. Cette faculté d'auto-organisation constitue un des traits les plus saillants de la machine cérébrale humaine, dont le produit suprême est la pensée.

[…]

L'encéphale de l'homme que l'on sait "contenir", dans l'organisation anatomique de son cortex, des représentations du monde qui l'entoure est aussi "capable" d'en construire et de les utiliser dans ses calculs. » (pp. 172-173)



Dans ce passionnant chapitre il est question :de la « matérialité des images mentales », de la distinction « du percept à la pensée », des premiers pas théoriques « vers une théorie biologique des objets mentaux », avec l'introduction du concept (mathématique) de graphe associé à des « couplages » de neurones qui soient stables dans le temps, et mis « à l'épreuve de la réalité » par la comparaison entre concept ou image et percept ; en fait il s'agit d'explorer (et là nous revenons à l'empirique) les manières par lesquelles les neurones sont assemblés (l'action du transmetteur sur le récepteur). Comme cas particulier sont examinés les « problèmes de conscience », mais hélas, moi qui avais de fortes attentes sur ce sujet, suis resté un peu déçu par le peu d'exemples explorés : les hallucinations (des schizophrènes ou provoquées), l'alternance veille-sommeil (expériences sur les chiens et les chats). J'apprends cependant avec intérêt que les études sur l'attention et celles de Jouvet sur le sommeil paradoxal, puis celles de Pavlov et Sokolov ont eu un gros impact sur le sujet la conscience ainsi que sur l'approche de quelques psychopathologies. Un sous-chapitre s'intitule non sans audace « Le calcul des émotions », et le dernier, pareillement : « La "substance" de l'esprit »... Voici une synthèse des conclusions de ce chapitre :



5. « Les opérations sur les objets mentaux, et surtout leurs résultats, seront "perçus" par un système de surveillance composé de neurones très divergents, comme ceux du tronc cérébral, et de leurs réentrées. Ces enchaînements et emboîtements, ces "toiles d'araignée", ce système de régulations fonctionneront comme un tout. Doit-on dire que la conscience "émerge" de tout cela ? Oui, si l'on prend le mot "émerger" au pied de la lettre, comme lorsqu'on dit que l'iceberg émerge de l'eau. Mais il nous suffit de dire que la conscience "est" ce système de régulation en fonctionnement. L'homme n'a dès lors plus rien à faire de l' "Esprit", il lui suffit d'être un Homme Neuronal. » (p. 227)



Ensuite est abordée, très logiquement, la vexata questio de l'hérédité : génotype ou phénotype ?

Face à une grande invariance du cerveau de Sapiens sapiens, et à part le cas de l'albinisme, les comportements sont-ils héréditaires ? (On parle ici par ex. du chant des grillons, non de comportements humains). La génétique nous pose le problème suivant : « Simplicité du génome et complexité cérébrale » ; et corrélativement : « pourquoi une partie importante de l'ADN des gènes chromosomiques n'intervient pas dans le codage de protéines ? » Le reste du chapitre est fondé sur l'ontogenèse, en particulier l'embryologie, sachant que : « L'homme naît avec un cerveau dont le nombre de neurones ne fera que diminuer par la suite » (p. 264), et que « Les grandes lignes de la connectivité du cortex cérébral, chez le singe comme chez l'homme, se mettent en place avant la naissance » (p. 266).

Symétriquement, le chapitre suivant (ch. VII) est intitulé : « Épigenèse ». Basé lui aussi sur l'embryologie, sa problématique essentielle est la redondance des neurones à la naissance et leur rapide régression, et est introduite l'une des théories-clefs du livre : « l'épigenèse par stabilisation sélective ». Il est évident que cette théorie rend compte de l'importance de la variabilité phénotypique, que les généticiens contemporains comme Dawkins et son divulgateur Matt Ridley (j'aime beaucoup les deux) ont confirmée depuis. Pour l'heure, les confirmations empiriques de cette théorie sont encore limitées, en particulier au domaine de la spécialisation hémisphérique : un bel exemples en sont les deux écritures du japonais, le Kanji et le Katakana, qui mobilisent respectivement l'hémisphère droit et gauche. Le dernier sous-chapitre s'intitule ici : « Apprendre, c'est éliminer » et on en aperçoit les possibilités d'ouverture philosophique...

Place à la phylogenèse dans le ch. VIII, intitulé « Anthropogénie » ! Entre proximité du génome humain avec celui du chimpanzé et hypothèses sur les « indices d'encéphalisation » d'après les crânes fossiles, nous revoilà à l'évolution d'Homo sapiens, mais eu égard désormais aux corollaires de la théorie de la stabilisation sélective. En voici la synthèse en deux cit. l'une plutôt évolutionniste, l'autre plutôt phénotypique :



6. « Somme toute, le développement embryonnaire et post-natal de l'encéphale humain n'exige pas d'éléments géniques qualitativement nouveaux par rapport à ceux qui existent chez ses ancêtres simiens. Le jeu de quelques mutations portant sur des gènes de communication paraît suffire. L'extinction de certains d'entre eux expliquera la fixation, chez l'homme adulte, des traits du fœtus du chimpanzé. D'autres, s'allumant avec plus d'intensité ou pour une période plus longue, rendront également compte de l'expansion du cortex cérébral, de l'accroissement du volume crânien, de la mise en place d'une asymétrie entre les hémisphères, ainsi que de l'extension de la période de maturation qui suit la naissance et que marquera l'empreinte de l'environnement. Le paradoxe de non-linéarité évolutive trouve ici une solution plausible. » (p. 354)



7. « Le paradoxe d'un accroissement de complexité cérébrale à stock de gènes constant trouve enfin un début d'explication. D'une part, des mutations ou remaniements chromosomiques discrets portant sur des gènes de communication embryonnaire peuvent rendre compte simplement de l'accroissement du nombre de neurones corticaux, de la poussée de branches additionnelles axonales et dendritiques. L'intervention d'une épigenèse active par stabilisation sélective introduit une diversité nouvelle dans une organisation qui, sans cela, deviendrait redondante. Une ouverture sur le monde extérieur compense le relâchement d'un déterminisme purement interne. L'interaction avec l'environnement contribue désormais au déploiement d'une organisation neuronale toujours plus complexe en dépit d'une mince évolution du patrimoine génétique. Cette structuration sélective de l'encéphale par l'environnement se renouvelle à chaque génération. Elle s'effectue dans des délais exceptionnellement brefs par rapport aux temps géologiques au cours desquels le génome évolue. L'épigenèse par stabilisation sélective économise su temps. Le darwinisme des synapses prend le relais du darwinisme des gènes. » (p. 359)



Le dernier ch., « Le cerveau, représentation du monde », constitue une conclusion, de nouveau fondamentalement méthodologique, de la démarche de l'auteur – ou de celles des neurosciences. À la lumière de l'importance aperçue du phénotype, une question de brûlante actualité vient clore l'ouvrage :

« L'organisation et la flexibilité de l'encéphale humain restent-elles compatibles avec l'évolution d'un environnement qu'il [Homo sapiens sapiens] ne maîtrise plus que très partiellement ? Une dysharmonie profonde n'est-elle pas en train de se creuser entre le cerveau de l'homme et le monde qui l'entoure ? 

[…]

Les architectures dans lesquelles il se parque, les conditions de travail auxquelles il est soumis, les menaces de destruction totale qu'il fait peser sur ses congénères, sans parler de la sous-alimentation à laquelle il soumet la majorité de ses représentants, sont-elles favorables à un développement équilibré de son encéphale ? […] Après avoir dévasté la nature qui l'entoure, l'homme n'est-il pas en train de dévaster son propre cerveau ? Un seul chiffre montre l'urgence du problème : celui de l'usage d'un des médicaments les plus vendus dans le monde : les benzodiazepines.

[…]

Un adulte sur quatre se "tranquillise" chimiquement. L'homme moderne doit-il s'endormir pour supporter les effets d'un environnement qu'il a produit ? » (pp. 373-375)
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La Lumière : Au siècle des Lumières et aujourd'hui

Ce très bel ouvrage constitue le catalogue d’une exposition qui s’est tenue du 16 septembre au 16 décembre 2005 aux Galeries Poirel, à Nancy, dans le cadre d’un programme de célébrations intitulé « Nancy 2005, le temps des lumières ». Sous la houlette de Jean-Pierre Changeux, le célèbre neurobiologiste, qui en signe l’introduction générale passionnante et instructive, ce Beau-Livre se décline à travers des textes d’auteurs venus d’horizons différents qui accompagnent, tout en restant en retrait, les différentes pièces présentées au cours de cette exposition.

Coté texte donc, on retrouve des plumes aussi diverses que Jean-Pierre Luminet (astrophysicien), Pierre Buisseret (neuro-anatomiste), Etienne Taillemite (membre de l’Académie de Marine), Olivier Bloch (historien de la philosophie) ou encore Claude Cohen-Tannoudji (physicien), pour ne citer que ceux qui m’ont le plus marqué. Ces écrits constituent de véritables passerelles entre les univers scientifiques et artistiques.

Coté illustrations, on prend grand plaisir à se promener dans les pièces majeures de cette exposition : pendule de la création du monde de François-Thomas Germain (1754), La femme à la puce de Georges de La Tour (1638), scène nocturne éclairée uniquement à la lumière d’une chandelle, planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert consacrées à la physiologie de l’œil et à sa chirurgie,…

A mettre en bonne place dans sa bibliothèque ! Et comme l’a dit Stanislas en 1753 (roi de Pologne et duc de Lorraine, bien connu des nancéens) :

« Toute la profondeur des sciences, tous les secrets des arts, toutes les merveilles de la nature s’offrent à vos spéculations, à vos réflexions, à vos expériences, à vos savantes recherches. La matière est vaste […], elle est digne de tous vos efforts. Combattez l’erreur, l’ignorance, l’oisiveté »

(Cité Par A. Rossinot en préface de ce catalogue)
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Raison et plaisir

Professeur au Collège de France, Jean Pierre Changeux, explore ici le domaine des neurosciences de l’art.

Il tend à démontrer comment et pourquoi la contemplation ou création d’une œuvre d’art est profondément liée au cerveau et à l’activité cérébrale.

C'est particulièrement "savant", j'avoue que je n'ai pas tout pigé, du reste je ne l'ai hélas pas terminé.

Se trouveront ici sans doute des esprits plus scientifiques que le mien qui viendront pallier cette minable critique.

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Matière à pensée

Matière à pensée/J.P.Changeux

Je viens de terminer la lecture de l'excellent ouvrage de J.P. Changeux et A.Connes, et je pense qu'il faut absolument lire cet opuscule lorsque l'on s'intéresse de loin ou de près au lien qui existe entre le monde qui nous entoure et le cerveau.

Les questions que se posent les deux savants sont nombreuses, plus nombreuses que les réponses qu'ils apportent ; en effet, chaque proposition résolutive infère d'autres questions par une sorte de dichotomie des antagonistes .

Chacun des deux protagonistes argumente et ouvre une voie ; et enfin de compte ils se retrouvent d'accord sur l'essentiel.

L'antagonisme entre platoniciens et constructivistes sur l'origine des objets mathématiques est largement et profondément abordé. Le fonctionnement du cerveau dans une situation de recherche mathématique également.

D'autres questions sont évoquées, comme le concept « éthique ». « L'universalisme moral se heurte à la diversité des cultures » dit Changeux. Et une réflexion philosophique faisant référence à Kant et Spinoza s'ensuit. J'ai relevé cette phrase choc : »Les conflits récents entre sunnites et chiites, des protestants et catholiques, des juifs et musulmans, des hindouistes et bouddhistes, témoignent de cette impénétrabilité culturelle réciproque qu'entretiennent des religions qui ne méritent plus guère leur nom, puisqu'elles divisent plus qu'elles ne relient. » (Changeux)(religere en latin veut dire unir !)

La fonction de la morale est abordée également, car là aussi , beaucoup de questions philosophiques se posent. Pourquoi le bien plutôt que le mal ? La notion de « sympathie » au sens premier du terme a son importance .

Est mise en lumière également l'importances des sciences cognitives qui se développent aux confins des neurosciences , de la psychologie et des mathématiques.

Chacun reste modeste dans sa réflexion et Changeux dit : « Une bonne expérience est plus difficile à faire qu'une théorie médiocre ! ».

La réflexion de type darwinien, darwinisme neural de l'évolution de la connectivité et darwinisme mental au niveau supérieur, agit en sélectionnant les bons cheminements, mais la réalisation d'un problème ne résulte pas nécessairement d'une suite d'essais aléatoires .

Un excellent chapitre sur la neuropsychologie des mathématiques fait suite, en montrant le rôle des différents lobes cérébraux .

La notion de complexes simpliciaux hyperboliques me paraît capitale pour expliquer l'élaboration de la mémoire à long terme. Celle de la fonction d'évaluation est aussi importante dans la compréhension de ce qui se passe dans le cerveau. La comparaison entre ordinateur et cerveau montre que ce dernier est encore loin d'être imité ou copié au niveaux supérieurs où règnent l'intentionnalité, l'anticipation et surtout l'affectivité.

Lecture globalement facile et passionnante.

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Du vrai, du beau, du bien

En 1983, avec L'Homme Neuronal, Jean-Pierre Changeux présente certaines découvertes fondamentales sur le fonctionnement cérébral, mais surtout il assigne une mission épistémologique aux neurosciences naissantes, parmi lesquelles personnellement je comprends : la biologie moléculaire, la chimie neurologique, la génétique, l'embryologie, la neuropathologie, l'imagérie médicale et, par extension, l'anatomie et la physiologie neurologiques comparées entre l'homme et les autres animaux. La mission est la suivante : créer des ponts entre les neurosciences et les sciences humaines sur des sujets anciennement réservés à la spéculation philosophique, dont spécifiquement les trois indiqués par le titre : la théorie de la connaissance, l'esthétique et l'éthique. Chacun peut s'apercevoir de l'ambition immense de cette mission épistémologique.

Vingt-cinq ans plus tard, en 2008, dans ce gros volume, je pense que l'intention de l'auteur a été de faire un point sur sa progression. Pour ce faire, il a rassemblé, dans un plan en quatre grandes parties qui ne va pas toujours de soi, un total de vingt chapitres (7+5+7+1) chacun desquels constitue le contenu d'une année de cours au Collège de France, professé des années 80 au début des années 2000. Chaque chapitre est donc une unité indépendante, mise à jour à l'année de sa rédaction (donc quelquefois déjà très daté), comportant donc quelques répétition d'un chapitre à l'autre, et surtout impliquant une très grande diversité de « réussite » que les différentes recherches scientifiques ont eue à apporter des réponses à la thématique assignée. En effet Changeux, et cela va tout à son honneur, a pour habitude d'introduire ses problématiques par une histoire de la pensée, notamment philosophique, qui s'y est attelé, en commençant souvent par la philosophie grecque. Sauf que, à l'évidence, les neurosciences n'ont pas encore fourni de réponse à tout, et les sciences au sens large, lorsqu'elles sont convoquées, sont très disparates : psychologie cognitive, éthologie, linguistique, et parfois, encore « uniquement » la bonne vieille philosophie... Ces cours, de plus, tels qu'ils sont reproduits sans aucun travail de vulgarisation, sont toujours très techniques (sans doute les participants aux leçons du Collège de France sont-ils priés de prendre connaissance d'une bibliographie communiquée préalablement !) : par conséquent, la lecture exige une connaissance approfondie d'une multitude de disciplines différentes, pour finalement arriver à des conclusions... qui n'ont rien à voir avec les neurosciences, voire qui peuvent être prises, épistémologiquement parlant, comme l'expression de la simple théorie philosophique de l'auteur... Ainsi de l'esthétique, qui reprend et précise à peine une citation de... Michel Onfray (pas exactement un neuroscientifique) ! Personnellement, je suis donc sorti épuisé de cette lecture (qui aurait été franchement impossible sans le confinement), soulagé seulement par les trois synthèses par Claude Debru à la fin des trois premières parties ainsi que par la Conclusion, car ces synthèses contiennent les éléments que j'avais moi-même considérés remarquables. Néanmoins, je crois que je retiendrai beaucoup moins de cette lecture que de celle de L'Homme neuronal, hormis peut-être de « cocher » ce à quoi les neurosciences ont/avaient apporté une réponse. Je pense surtout à la conscience, en partie au langage, à la mort. Et ce n'est pas peu. Je reste sur ma faim quant à la musique et au « plaisir de penser ». Mais un lecteur qui approche l'ouvrage comme une Encyclopédie, prêt à apprendre autant qu'il le peut sur une variété de sujets qu'il connaît déjà, en sera sans doute ravi. [Peut-être aurait-ce été le cas de mon père].



Table des matières [assortie d'observations personnelles] :



Première Partie : À la découverte d'un nouveau monde – Vers une neuroscience du bien et du beau.



Chapitre Premier : Une conception naturaliste du monde [Histoire philosophique]

Chap. II : L'évolution culturelle [Théories éthiques – jusqu'au modèle évolutionniste du lien social]

Chap. III : La coévolution gènes-culture et le comportement coopératif [Sélection de parentèle, « donnant-donnant » ou sélection de groupe – en génétique]

Chap. IV : Neurosciences et normativité éthique [Théories psychologiques de l'attribution des états mentaux à autrui, théorie de « l'inhibiteur de violence » en éthologie]

Chap. V : Neuroesthétique (1) – les arts plastiques [L'esthétique en philosophie, théories physiques de la lumière, la « conservation » de l'image dans la rétine, biophysique de la couleur, théorie esthétique de l'auteur fondée sur : l'empathie, la sympathie et la « contestation du monde », la « capacité d'éveil » de l’œuvre d'art, « création artistique et darwinisme mental »]

Chap VI : Neuroesthétique (2) – musique et peinture [l'esthétique selon l'auteur : « Consensus partium et parcimonie », « Synesthésie : le syndrome de Rimbaud », « Consonances et dissonances », apports de la pathologie : « les amusies », apports de la psychologie : « Frissons musicaux et réponse émotionnelle à la musique »]

Chap. VII : Physiologie du collectionneur et de la collection [La collection conçue comme un instrument herméneutique – idée philosophique qui m'intéresse]



Deuxième Partie : La « bête rugissante » - Cognition et langage



Chap. I : Les bases neurales de la conscience [le ch. culmine par le « modèle Dehaene – Changeux de l'espace de travail neuronal conscient »]

Chap II : Conscience et interaction sociale [Théories de la communication et cybernétique, les « neurones miroirs », théories philosophiques de l'esprit et théorie psychologique de la capacité d'attribution (bis), modèle de l'espace de travail conscient (bis) théorie de la « récompense partagée » : un « modèle neuronal de la "normalisation sociale" »]

Chap. III : Les bases neuronales du langage [Théories du langage, analyse critique de la théorie chomskienne du caractère inné de la prédisposition du cerveau de l'homme au langage, « Neurophysiologie du langage]

Chap. IV : Épigenèse du signe [Théories linguistiques et sémiotiques, apports des neurosciences à la linguistique : « Synaptogenèse et effets de l'expérience au cours du développement », « Théorie de l'épigenèse par stabilisation sélective de synapses » (Changeux, 1983), « Des mots et des choses : l'imagerie cérébrale du sens »]

Chap V : Les empreintes cérébrales de l'écriture [Histoire de l'écriture, enfin : « Neuropsychologie de l'écriture »]



Troisième Partie : Les « atomes psychiques » - Biologie moléculaire du cerveau



Chap I : Gènes et phylogenèse [Bases de l'évolutionnisme, paléontologie du cerveau, génétique évolutive de l'hominisation]

Chap II : Le développement de la forme du cerveau [« Préformation ou épigenèse ? », l'exemple de la drosophile, « Turing et l'évolution du cerveau » (cybernétique), « Critique de la notion de programme génétique »]

Chap III : La variation du cerveau [« Mécanismes génétiques de la variation du système nerveux », culmine par la « Critique de la position empiriste »]

Chap. IV : La découverte des récepteurs de neurotransmetteurs [Synthèse des découvertes de Changeux, 1983]

Chap. V : Les mécanismes cellulaires et moléculaires de l'apprentissage [Théories de l'apprentissage, de la psychologie expérimentale à « l'approche cognitiviste », modèle cellulaire d'apprentissage chez la limace de mer (cf. Changeux, 1983)]

Chap. VI : Chimie de la conscience [« Chimie des états de veille et de sommeil », histoire des anesthésiques généraux]

Chap. VII : Signification de la mort [d'un point de vue évolutionniste avec le passage aux organismes pluricellulaires, théories philosophiques et mythes religieux de la mort]



Quatrième Partie : Où en sommes-nous aujourd'hui ? - De L'Homme neuronal à L'Homme de vérité : perspectives

[Histoire des sciences du cerveau, origines du cerveau humain en génétique, « Épigenèse par stabilisation sélective des synapses » (bis), « Problèmes de conscience » (cf. Changeux, 1983)]

Conclusion : Le Beau, le Bien, le Vrai

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Les neurones enchantés : Le cerveau et la mus..

Contre l'ambition affichée par l'éditeur de constituer une « neuroscience de l'art » – bref, les « synapses » et la « perception du beau » –, qui en fera peut-être fuir plus d'un, le dialogue s'avère le meilleur quand il ne s'enferme dans aucune certitude mais ouvre plutôt des pistes de réflexion, à partir des divergences de vue et de pratique entre les deux savants.
Lien : http://www.telerama.fr/criti..
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L'homme de vérité

J'ai été amené par ma carrière professionnelle à m'intéresser aux mécanismes d'apprentissage et partant au fonctionnement du cerveau . J'avais découvert avec "L'homme neuronal " en 1983 les immenses progrès de la neurobiologie dans la compréhension des mécanismes de la pensée. Ce nouvel ouvrage de JP Changeux réactualise les connaissance et approfondit la réflexion sur les mécanismes de la conscience . Pas facile mais passionnant.
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Matière à pensée

Durant ma scolarité un curieux phénomène a affecté mon cerveau en contact avec les mathématiques: le trou noir, le néant , la ténèbre! Pour expliquer ce mystère je comptais sur ce dialogue entre un spécialiste du cerveau et un grand mathématicien. S'il n'a pas répondu à mon problème personnel , il m'a permis de comprendre un certain nombre de rapports entre biologie et mathématiques . Un utile ouvrage de vulgarisation relativement accessible .
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Du vrai, du beau, du bien

Ce livre a changé ma vie. Peu de livres peuvent se vanter du même résultat ! Par sa profondeur, son intelligence, par l'immensité des connaissances mobilisées, le sérieux des expériences et des conclusions proposées, par la culture artistique, linguistique et historique, bref par l'ampleur du panorama intellectuel que nous propose ici Jean-Pierre Changeux, je peux dire que ce livre fait partie des perles rares de la littérature mondiale. Il est de ceux que j'emporterai sur l'île déserte. Je suis infiniment reconnaissant à M. Changeux d'avoir écrit un tel livre en une langue parfaite de bout en bout (le français en l'occurence) et de m'avoir tant fait découvrir.
Lien : https://www.blogger.com/blog..
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Du vrai, du beau, du bien

Ceci n'est pas réellement une critique, mais plutôt un commentaire à destination de ceux qui, comme moi, s'interrogent sur la dimension esthétique (le beau) en neurosciences.



Ce livre est en effet un des rares à en traiter, mais il faut avoir conscience que (malgré le titre) seuls les chapitres 5, 6 et 7, plus la conclusion, traitent réellement de ce sujet. Soient environ 60 pages sur 423.



Le reste est constitué de cours assez généraux sur les neurosciences au Collège de France.
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Les neurones enchantés : Le cerveau et la mus..

Livre difficile. Le niveau des échanges est tel qu'il est utile, voire nécessaire, d'avoir un intérêt marqué et des connaissances dans le domaine de la biologie et de la musicologie. Ce n'est pas mon cas. J'ai donc décroché, et ne me permets pas de mettre une ou des étoiles. Ce livre intéressera, je pense, davantage les passionnés de musique que ceux de biologie. En effet, la discussion porte beaucoup plus sur la musique que sur les neurones, probablement parce que 2 des 3 intervenants vivent dans le monde de la musique.
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La Nature et la Règle : Ce qui nous fait penser

Cet essai bien documenté et très accessible nous donne la vision à la fois scientifique et philosophique des neurosciences. Un dialogue riche et pertinent des deux grands spécialistes éclaire "ce qui nous fait penser". Pour cela, ils nous parlent d'éthique, de morale, de nature et de règle. Ils n'oublient pas de prolonger cette étude fouillée par une appréciation sur la paix, la vie, l'amour et ce qui fait l'essence de l'homme : son moi profond.

A lire pour réfléchir sur qu'est ce que l'homme ? Quel est son avenir ? Quel est l'avenir des neurosciences ? Qu'est ce qu'elles peuvent nous apporter ?





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Matière à pensée

Étienne Klein, physicien et épistémologiste, regrette souvent que les scientifiques ne "parlent pas"... ("le silence assourdissant des scientifiques dans le débat public")... Et bien, là, en voilà deux qui ont des choses à nous dire... à nous,... citoyens plus ou moins scientifiques,... qui nous posons des questions. Un représentant du matérialisme scientifique engagé dans des travaux quasi prométhéens sur l'éthique (Changeux) et un du constructivisme scientifique (Connes) dialoguent sur les Objets du Monde et sur les concepts de la Philosophie... Remarquable... Merci...
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La Nature et la Règle : Ce qui nous fait penser

Je suis véritablement impressionné par la solidité de l'argumentation scientifique de Mr Jean-Pierre Changeux, sa confiance en l'intelligence de la recherche scientifique, son aptitude transdisciplinaire incluant les dimensions symboliques et artistiques,...le tout avec respect laïque de l'Autre et des idées de cet-autre soi-même,... et assisté par le sourire de la confiance et de la bienveillance... Merci pour ce supplément d'intelligence de la complexité...
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L'homme neuronal, trente ans après

J'ai fait cet exercice de relecture à 20 ans d'intervalle -> curieuse de comparer mes annotations avec cette actualisation
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Les neurones enchantés : Le cerveau et la mus..

Boulez avait la réputation d'avoir la dent dure. Ses saillies contre Berlioz et Jolivet (joli navet) sont célèbres. Une confrontation avec un neurologue, pourquoi pas. Guest star Manoury qui pour le coup joue les utilités. C'est plus une discussion qu'un traité. Du coup, cela ne fait qu'ouvrir la perspective et c'est plaisant, très accessible. Quelques vacheries quand même sur la musique baroque. On ne se refait pas.
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La Lumière : Au siècle des Lumières et aujourd'hui

Pour une approche large du concept de lumière , cet ouvrage est à l'origine le "catalogue" qui accompagnait une exposition...Il reste largement autosuffisant désormais par sa qualité des textes et des illustrations. Parfaitement adapté à une réflexion entre les arts et les sciences
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