Jean-Pierre Levaray : du racisme et du sexisme... .
Si le travail était une si bonne chose, les riches se le garderaient pour eux !
Vieux dicton catalan
L'alcool rend nostalgique, aussi...Il fait remonter le passé à la surface.
A 14 ans, Yves était entré dans la marine nationale !
A 25 ans, il regagne la terre ferme, le plancher des vaches, comme on dit.
Il ne s'habitue pas. Alors il boit...comme un marin au port.
Et il nous raconte...les bateaux. Il nous fait visiter les océans.
Il nous raconte les tempêtes, la peur, le courage, l'amitié virile.
L'exotisme s'invite à notre table.
On y est. Avec le jaja, rien n'est trop cliché, juste beau.
En revanche, passé le quatrième verre, Yves devenait violent.
Il est mort, lui aussi.
A 48 ans, son coeur ne l'a plus supporté.
Trop de trop.
Il ne reverra pas la mer et nous non plus...
On ne verra plus celle-là. Sa mer.
Depuis on boit un peu moins....
Trop de copains sont morts sans attendre la retraite. C’est dans les statistiques : les ouvriers vivent moins longtemps que les cadres.
Demande est faite d'être reçus par la direction.
Au début, c'est toujours non, mais on ne se laisse pas faire.
Vêtus de nos tenues de travail, on investit les bureaux.
Ils n'aiment pas nous voir en bleu. Ni nous voir tout court. Nous qui ne représentons qu'une masse salariale, un coût fixe qu'il faut toujours réduire...
Il a été difficile d’agir face à ce front commun patrons-ouvriers. Un front commun qui permettait aux ouvriers de ne pas se poser les bonnes questions. Un front commun comme en rêvent tous les patrons, comme en rêvent même tous les régimes politiques, qu’ils soient ou non totalitaires.
Tous les jours pareils. J'arrive au boulot (même pas le travail, le boulot) et ça me tombe dessus, comme une vague de désespoir, comme un suicide, comme une petite mort, comme la brûlure de la balle sur la tempe. Un travail trop connu, une salle de contrôle écrasée sous les néons, et des collègues que, certains jours, on n'a pas envie de retrouver. Même pas le courage de chercher un autre emploi. Trop tard. J'ai tenté jadis... et puis non, manque de courage pour changer de vie. Ce travail ne m'a jamais satisfait, pourtant je ne me vois plus apprendre à faire autre chose, d'autres gestes. On fait avec, mais on ne s'habitue pas. Je dis " on " et pas " je " parce que je ne suis pas seul à avoir cet état d'esprit : on en est tous là...
C'est dans les statistiques : les ouvriers vivent moins longtemps que les cadres. Qu'on n'incrimine pas seulement le tabac et l'alcool, le rythme et les conditions de travail y sont pour beaucoup. Il y a la pénibilité et la poussières, le stress, les multiples changements d'horaire de travail.
Pour les uns, c'est l'estomac qui se détraque, pour d'autres, le coeur, le dos qui devient fragile, les artères qui se bouchent, le sommeil qui n'est plus qu'un vague souvenir... La liste de nos maux est longue.
Marre. Il y a des jours, c'est pire que tout. On n'a pas envie d'y aller, parce que c'est pas ça la vie. On est loin d'être défini par ce que l'on fait à l'usine. Être salarié, c'est pas nous. Ici, on n'est pas grand-chose; la vraie vie est ailleurs, pas là, pas pendant ces huit heures perdues. La révolution industrielle a fait de nous des salariés, et parce qu'il y avait la sécurité de ce salaire qui tombe tous les mois en échange de notre force de travail, on s'est fait avoir.
... parce que militant "engagé dans le social" - et qui plus est libertaire -, je veux encore rêver qu'on se batte pour un monde sans classes, ni État, une société sans salariat, où l'on réfléchirait sur la consommation et la production, sur la façon de travailler. Où la production jugée socialement utile (en fonction des besoins) se ferait dans des unités non polluantes, basées au maximum sur des machines, sur l'automatisation et l'informatique. Et où, s'il faut quand même travailler, cela se ferait de façon autogérée, par rotation des tâches et pendant un minimum de temps (deux heures par jour, trois mois par an, voire moins...), parce que la vie est ailleurs que dans le travail. Mais c'est une autre histoire...
Saint-Étienne-du-Rouvray, septembre 2002
Est-ainsi que les hommes vivent ? Où sont passés nos rêves de mômes ? Tu la voyais comme ça, toi, ta vie ? Alors aux grands maux les grands remèdes… Eh oui ! Paradoxalement, c’est pour tenir debout que l’homme se défonde. Ainsi soit-il