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Citations de Jean-Yves Laurichesse (46)


Il est fatigué, un peu ivre aussi de cette journée passée au grand air. Il garde dans les yeux l'éblouissement des étendues neigeuses, le gris soyeux des arbres, le vol furtif des oiseaux engourdis. p 43
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Le chemin se glisse tout droit entre les fougères tendres et les fleurs de juin. Ils marchent sans parler. Le sol est souple au pied et l’on pourrait aller ainsi longtemps. Mais il cherche quelque chose à gauche au milieu des grands arbres qui dévalent. La forêt, il s’en souvient, était semée d’énormes rochers de granit comme jetés là par des géants, ou tombés du ciel dans des temps d’avant les hommes, restés plantés à mi-pente. Il en distingue quelques uns qui lui semblent de taille mesquine. Sans doute il n’a plus ses yeux d’enfant. Mais soudain il l’aperçoit bien au-dessus du chemin, à travers le rideau des troncs, vaste table posée sur de gros rochers irréguliers, ménageant en-dessous une cavité obscure. Déjà il a commencé à escalader la pente raide à travers les buissons. Elle l’attend sur le chemin, patiente. Ses pieds enfoncent dans l’humus. Il s’accroche aux branches et aux racines, le regard tendu vers les énormes pierres grises et usées qui le dominent à présent de toute leur hauteur. Au-dessus les arbres continuent à grimper vertigineusement jusqu’à une mince bande de ciel.
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Il resta seul dans le jardin public. Quelques feuilles mortes tombèrent lourdement d'un platane. Un écureuil apparut sur une branche proche. Apercevant l'homme il s'immobilisa. Ses yeux tendres le regardaient avec curiosité, nullement apeurés. Ils semblaient être les seuls êtres vivants sous la pluie fine qui les entouraient d'un filet impalpable. Hermann oublia quelques instants sa situation. Il est donc possible de vivre dans la pure légèreté de l'être, la grâce du présent. Il était bouleversé par cet échange de regard si étranger au trouble des passions, des douleurs, des deuils. La queue de l'écureuil flamboyait derrière lui comme une branche d'automne. Les hauts platanes les entouraient. Il semblait à Hermann que s'il ne faisait aucun geste, s'il retenait son souffle, ce moment pouvait durer une éternité. p 100
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Il descend vers le grand étang gelé qu'il a dessiné de loin la veille, désert à présent, car il est trop tôt pour que les patineurs s'y rassemblent. Il aimerait pourtant les croquerde plus près pour donner à son tableau plus de précision et de vie. Il attendra s'il le faut le début de leurs jeux. Il se dit qu'il a tout son temps, ce grand temps des saisons où rien ne presse, où tout revient toujours. Il s'imagine comme un point noir parmi d'autres. dans le vaste paysage blanc qui se déploie sous le ciel plombé. p 32
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La pluie s’était mise à tomber doucement. Il releva le col de son manteau. Le paysage se noyait dans la brume à mesure que la route s’élevait. Il entra dans les châtaigniers et l’odeur du sous-bois l’entoura. Son pas sonnait dans le bruit léger des gouttes tombant sur l’épaisseur de feuilles mortes. Il pensa à la musique, puis la musique se tut et il n’entendit plus que son pas. Il se disait que tout était bien ainsi : la route, les arbres, la pluie, et derrière lui cette porte fermée. Il ignorait ce que serait l’heure prochaine et cette ignorance était son habit de voyage.
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Pour un jeune homme fraîchement débarqué dans la capitale, ayant grandi dans des vallées étroites, celle du village d’enfance, puis celle de la préfecture grise, l’horizon s’était brusquement élargi. Il eut pour maîtres Alain, Nabert, Lavelle, dont on voyait les livres à la vitrine des libraires, ce qui leur conférait, en même temps que le prestige de la pensée, une forme d’irréalité. Il s’accrochait à l’étude, soucieux de ne pas décevoir ceux qui, là-bas, pensaient à lui avec la fierté inquiète des familles demeurées au port. Parfois la force lui manquait, mais l’image d’une vieille femme agenouillée sur un prie-dieu lui redonnait courage, et il se replongeait dans les livres, les dictionnaires, les notes de cours étalés sous la lampe. La tête dans les mains, il progressait dans le roncier des savoirs avec la ténacité qui lui venait de ses ancêtres, issus de vieilles terres qu’il avait fallu de siècle en siècle arracher aux griffes d’une nature sans aménité. Par la fenêtre ouverte sur la nuit de juin, la rumeur de la ville lui parvenait, pleine d’un mystère confus, et son cœur se gonflait comme une voilure qu’il lui fallait réduire durement pour qu’elle ne l’emporte pas trop loin des pages grises, car le cœur toujours en lui le disputait à l’esprit. Très tard enfin il se couchait et abandonnait son corps aux rêves.
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Le moteur d’une voiture qui abordait la côte en contrebas vint troubler le silence. Il hésita à entrer dans le bois, comme s’il lui fallait se garder de quelque danger, se contenta finalement de serrer le bord de la route. La voiture montait lentement et par le bruit du moteur il suivait sa progression, de virage en virage. Il se retourna et aperçut les phares au fond de la brume. Il s’arrêta pour laisser passer.
La voiture approchait sans hâte comme une bête lourde sortie de rien et le bruit du moteur couvrait à présent celui de la pluie. Quand elle passa près de lui, il jeta un coup d’œil à l’intérieur et aperçut un homme qui conduisait, une femme à ses côtés. L’homme devait avoir à peu près son âge, la femme était plus jeune. Elle le regarda au passage, mais comme si elle ne le voyait pas. Il eut le temps de remarquer de grands yeux noirs. Il se remit en marche après avoir vu les feux s’enfoncer dans la brume. C’est alors qu’ils rougirent brusquement comme des braises, en même temps que le bruit du moteur baissait d’un coup : la voiture s’était arrêtée à une centaine de mètres au milieu de la route.
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Paris, 3 mars 1917. À la nuit tombée, un homme traverse la place Monge une mallette de cuir à la main. Il fait froid. La lune éclaire d’une lumière blême la place déserte, les branches figées des platanes, la monumentale caserne de la Garde Républicaine. De haute taille, l’homme est vêtu d’un manteau d’officier au col relevé, coiffé d’un képi. Il s’arrête à l’un des angles de la place et lève les yeux vers les étages d’un immeuble bourgeois. Tous les volets sont clos, mais une faible lumière filtre ici et là par les fentes. Cependant, les fenêtres qu’il regarde, au troisième étage, sont entièrement obscures. L’homme reste là un moment, puis il traverse la rue et se dirige vers la haute porte de bois verni, à croisillons de fer forgé, qu’il pousse. Il disparaît dans l’obscurité et la porte se referme sur lui.
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Il ne ralentit ni ne pressa le pas, laissant se réduire progressivement la distance qui le séparait de la voiture immobilisée. Il commençait à entendre le bruit de la pluie sur la tôle. C’était une voiture de modèle récent et d’aspect confortable. Lorsqu’il arriva à la hauteur de la portière de la passagère, la vitre s’abaissa silencieusement comme un voile. Il croisa les yeux noirs qui semblaient toujours le traverser pour se perdre dans les branches nues des châtaigniers. Il se dit qu’elle était belle mais ne s’attarda pas à cette pensée. Le conducteur s’était penché et lui demandait s’il souhaitait être mené quelque part. Il hésita, car il aurait préféré continuer à marcher seul sous la pluie. Cependant, une pointe d’ironie dans le regard de l’homme le persuada, et il dit que le prochain village conviendrait. On fit un geste vers la portière arrière. Il entra dans la voiture et avec lui l’odeur de la pluie et de la brume dans la chaleur parfumée. La voiture démarra pendant qu’il s’efforçait de ne pas inonder la banquette de son manteau trempé.
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Les passants se font plus rares dans les rues étroites. Il s’oriente sans trop savoir, remontant d’instinct vers les sources. Il s’attarde un moment devant la vitrine d’un magasin de livres anciens dont on distingue mal l’intérieur déjà obscur, où dort l’infini des pages. Il reconnaît, défraîchies par le temps et l’usage, les couvertures blanches à fin liseré rouge de laNouvelle Revue Française, les brochures à prix modique du « Livre moderne illustré » ou du « Livre de demain », ornées de bois gravés aux clairs-obscurs anguleux. Un exemplaire de La Condition humaine est exposé sur un présentoir, surmonté d’un bristol : Édition originale. 300 €. Il se souvient de ses quêtes d’adolescent dans la bibliothèque familiale, de ces livres portant en diagonale sur la page de garde le même nom inscrit à l’encre noire, le lieu et la date soulignés d’une torsade, comme la trace même de la jeunesse de son père. Il imagine la petite bibliothèque d'étudiant composée mois après mois, l’étagère se remplissant, débordant sur une autre, puis une autre encore, mur de papier construit de haut en bas, édifiant peu à peu autour de lui une demeure habitable.
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Jean-Yves Laurichesse
Voyez-vous, j'aime que la vérité ne se dévoile que peu à peu. Vous aussi certainement, sans quoi vous ne liriez pas de roman.
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Des nuages ont caché la lune et la place est noire à présent. Les réverbères sont éteints. De toutes les fenêtres de l’immeuble, celles qui tout à l’heure étaient obscures laissent seules filtrer un peu de lumière. Des pas pressés s’éloignent dans la nuit. La ville se rétracte, mais les noctambules vont à leurs fêtes par les rues désertées. Une cloche sonne onze coups dans le silence, sans doute à l’église Saint-Médard. Puis on n’entend plus que le murmure distrait de la fontaine aux figures de bronze. Les dernières fenêtres s’éteignent et l’immeuble est à présent un bloc noir dont le toit se dessine vaguement sur le ciel moins sombre.
Dans la vallée la nuit est tombée aussi, plus noire, plus ancienne. Il pleut doucement sur les bois, les prés, les vignes. Les lumières sont éteintes aux fenêtres du village. Une maison est au bord de la grand-route qui dans toute sa longueur le traverse : maison bourgeoise à portail de fer entre deux piliers de granit. Par les volets de l’une des fenêtres de l’étage glissent des lames de lumière jaune. Il est tard et quelqu’un ne dort pas. Parfois un chien aboie dans une cour, une chouette appelle du fond des bois. La pluie piétine légèrement le lourd toit de schistes, les massifs et les allées du jardin obscur, coule sur toutes les petites feuilles des bordures de buis. Onze heures sonnent à l’horloge de la mairie-école, puis à l’horloge de l’église. Très tard la lumière finit par s’éteindre. La nuit est entièrement noire à présent.
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Il songe que l'homme n'est qu'un point dans l'ordre immense de la nature et que c'est peut être une consolation.
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On le voit sur les photos, dans ses vingt ans, front haut, menton volontaire, lèvres sensuelles, regard intelligent derrière les petites lunettes rondes. Il arpenta le quartier des écoles au long des années trente. Il venait de la province, presque de la campagne, et d’abord s’habitua mal à Paris, son fleuve de pierre, ses arbres trop rares, ses petits messieurs poussés dans les grands lycées du Ve arrondissement. Il y était né pourtant, non loin de là, mais n’aimait pas s’en souvenir. Et même les quelques séjours qu’il avait faits enfant dans la capitale avec ses grands-parents n’avaient pu le raccorder à ces premiers mois de vie que la guerre avait tranchés. Il avait été remarqué au lycée par un jeune professeur de philosophie qui emmenait le jeudi quelques internes hors de la ville, pour de longues promenades si animées qu’ils en oubliaient l’heure et rentraient souvent trop tard pour le dîner. C’était lui qui l’avait poussé vers l’aventure parisienne. Il eut au début la nostalgie des collines aux épaisses châtaigneraies parmi lesquelles il avait grandi. Sur la pente de cette fausse montagne depuis si longtemps déboisée et murée, les eaux vives qui couraient le matin au long des trottoirs lui rappelaient parfois d’autres ruisseaux. Il habita d’abord chez son parrain, un oncle du Cantal qui exerçait le métier de représentant, au cinquième étage d’un bel immeuble du XIIe arrondissement donnant sur un square orné d’un kiosque à musique. Le souvenir de ses parents disparus resserrait autour de lui la sollicitude familiale. La cuisine de la marraine ressemblait à celle qu’il avait si souvent goûtée dans le petit hôtel-restaurant de campagne où il avait passé des vacances heureuses avec ses cousins. Ce cocon de bourgeoisie demeurée provinciale lui fut au début un réconfort. Mais il ne tarda pas à étouffer dans ce milieu aux vues étroites, entre ces deux êtres sans enfant qui l’aimaient et ne le comprenaient pas, alors qu’autour de lui se déployait un monde nouveau.
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Il se levait tard après être demeuré longtemps allongé à regarder le ciel par la fenêtre, dans l'alternance des jours de pluie et des jours de grand soleil. Puis il faisait par les rues étroites de longues promenades, conscient de marcher dans le temps plus que dans la ville moderne dont l'activité lui était indifférente. Les vieilles demeures nobles laissaient entrevoir des patios secrets. Dans les églises ombreuses brillait sourdement l'or des retables baroques. La cathédrale était une haute bâtisse à façade nue de briques et de galets, dont il reconnut le campanile aperçu de sa fenêtre. Il se souvint que ces gracieuses structures de fer forgé avaient été conçues pour apprivoiser le vent dans les pays où il souffle en tempête. Il visita l'ancien palais fortifié qui dominait la ville, dont les jardins semblaient s'élever en plein ciel. Du haut des remparts se découvrait la plaine cernée de montagnes et ouverte comme une paume sur la mer, dont le bleu intense barrait ce jour-là l'horizon. p 52
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Devant une corbeille d'osier posée à même le parquet, il reste à genoux tout un moment, comme en prière. L'appartement n'a pas été laissé en ordre pour une longue absence, mais quitté simplement pour les vacances. (...) Il n'en finit pas d'inventorier les débris de son bonheur.
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Jean-Yves Laurichesse
La rue est vide, mais un passant incertain vient de disparaître au fond de la perspective, là où toutes formes se confondent. Ses pas ont décru dans le lointain et pourtant son ombre ne s'efface pas. Elle reste mêlée à la grisaille du pavé, aux branches légères des arbres, à la brume et au ciel vide. Elle parle en silence une langue qu'on ne comprend que les yeux fermés.
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Un bruit, en bas, puis un rai de lumière apparaît sous la porte. Quelqu’un monte l’escalier d’un pas lourd. On suspend son souffle, très loin dans l’avenir. Les pas s’arrêtent sur le palier. Le cliquetis d’un trousseau, la clé qui tourne dans la serrure. La porte s’ouvre et une haute silhouette s’y encadre, se fige sur le seuil. Plusieurs secondes passent. Puis la main trouve sans hésiter le compteur électrique, l’enclenche, et la lumière coule soudain du plafond, éclairant le lieu étrangement familier. L’homme referme la porte derrière lui, se défait de son lourd manteau et l’accroche à l’une des patères de cuivre depuis longtemps dépouillées. Il ignore son reflet dans la glace et entre dans le salon, y fait la lumière, s’immobilise à nouveau, regardant autour de lui. Quelque chose frémit imperceptiblement sous la poussière déposée. Puis il soulève le drap blanc qui recouvre un fauteuil et y laisse tomber son corps fourbu.
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Car les chemins de l'enfance sont aussi invariables que ceux des chats.
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il a dormi tout habillé, enroulé dans une couverture sur le lit sans draps.Plusieurs fois il s'est réveillé, et, les yeux grands ouverts dans le noir a douté du lieu et du temps, guetté les bruits familiers de l'abri nocturne, le crépitement de la pluie sur le toit de tôle, l'éboulement de la terre dans une flaque, l'appel au loin d'une sentinelle.Puis il replongeait dans de mauvais rêves déchirés de fusées multicolores, de visages hagards, de cris, et se retournait violemment sur son lit de paille.
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