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Citations de Jean-Yves Le Naour (156)


(...) les questions du capitaine Tarate se firent plus précises. Avait-elle remarqué un changement de comportement chez son mari ces derniers temps ? Était-il préoccupé ? Avait-il des amis proches ? Des ennemis ? Et il notait les noms et les numéros de téléphone qu’elle lui dictait. Mais rien ne venait justifier une disparition soudaine. Au contraire, il venait d’être recruté maître de conférences à l’université du Mirail, tout juste renommée Jean-Jaurès mais que personne n’appelait jamais ainsi.
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« Au soldat des tranchées qui venait à moi avec un pied gelé me demandant à être évacué, je répondais : Non, je n’évacue pas pour si peu de chose. Ici il faut avoir les deux pieds gelés pour être évacué. Aux hommes de mon secteur qui venaient à moi souffrant d’une entérite aiguë, affaiblis, délabrés, et qui pour ne pas crever sur place demandaient à être évacués, je répondais : Non. Ici l’on n’évacue que lorsqu’on fait du sang. » 
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Avec les muets, Babinski procède de la même façon, électrisant le fond de leur gorge, une opération peu agréable qui leur fait pousser quelques plaintes. Ils s’aperçoivent alors qu’ils peuvent parler et quittent bientôt leur état pithiatique. Voilà des malades faciles à soigner pour Georges Dumas qui passe systématiquement les muets à l’électricité. Après qu’il a poussé un « Ah ! », cri de douleur et de surprise », le sujet est invité à prononcer les autres voyelles, puis des mots et enfin des phrases. Au besoin, le médecin appuie ses ordres avec force : « Tu viens de dire : Ah ! Dis : E, tu le peux. Allons, dépêche-toi, tu ne fais pas ce que tu peux. Dis : I, nom de D… ! »
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Surtout, que les bonnes âmes ne viennent pas s’émouvoir et faire la leçon aux spécialistes qui savent ce qu’ils font. […] Et puis, l’heure n’est pas à la faiblesse. Patrie oblige, en France comme ailleurs. […] ; quant à l’Allemand Fritz Kaufmann, ses méthodes « persuasives » sont si douloureuses que plusieurs de ses patients préféreront se suicider plutôt que de subir à nouveau une séance d’électrochocs. Quand l’objectif patriotique prend le pas sur l’éthique, l’efficacité sur l’humanité, alors il n’y a rien d’étonnant à ce que les médecins se comportent comme des bourreaux en blouses blanches. 
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Tous les coups sont donc permis pour abaisser l’ennemi et le discréditer, à l’instar du Dr Bérillon qui voit dans l’Allemand le maillon manquant entre l’homme et le putois. Dans une communication présentée à l’Académie de médecine, le 29 juin 1915, ce médicastre en folie expose sa théorie de la « bromidrose fétide » par laquelle les sujets de Guillaume II sont censés suer et puer, sentir des pieds et des aisselles, exhaler une haleine de bouc et laisser flotter derrière eux un fumet peu ragoûtant ! L’explication de ce trait physique que, curieusement, personne n’avait identifié avant 1914, viendrait d’un dérèglement des sécrétions qui rapprocherait l’Allemand de certains animaux « tel que le putois […] ».

[…] Au demeurant, Bérillon a réponse à tout et, pour ne pas confondre les Alsaciens dans ses insultes, prétendra plus tard que ce peuple, germanique de sang mais français de cœur, ne partage pas le déséquilibre hormonal des Allemands. Qu’on se le dise, « l’odeur de la race allemande a toujours produit les impressions les plus désagréables sur la fonction olfactive de nos compatriotes d’Alsace-Lorraine. » 
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Rappelle-toi de ce que je t'ai dit quand je t'ai embauché : si tu me voles, je te pardonne.
Si tu touches à ma femme, je te tue !
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Loin de traumatiser les poilus, la guerre a constitué au contraire une merveilleuse épreuve régénératrice et hygiénique, qui, la vie au grand air aidant, a contribué à viriliser la bonne vieille race française. « Il est remarquable de voir plus sains, plus vigoureux que jamais des hommes qui depuis des mois, n’ont couché que sur le sol ou sur la paille et cela devant l’ennemi. […] Nos hommes ont perdu des tissus inutiles au profit de leurs muscles progressivement plus développés. […] »

Débitant les mêmes âneries sur la « tranchée hygiénique », caractéristiques d’un discours de l’arrière ignorant des terribles réalités du front, un médecin soutient dans La Lanterne que la guerre rend plus fort : « Tous les jours, nous notons des exemples de soldats qui avant d’être appelés souffraient d’affections diverses empoisonnant leur existence et auxquelles aujourd’hui ils ne songent plus. […] ; des anémiés privés de leur habituel fortifiant se portent à merveille ; les obèses retrouvent leur souplesse, et des gens malingres acquièrent des muscles et des couleurs. . » Vive la guerre ! « Plus d’un soldat la regrettera », lance Gustave Le Bon, à demi hystérique, du fond de son fauteuil. 
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Confrontés à un déferlement de troubles mentaux qu’ils ont du mal à reconnaître comme le fruit de la guerre, les médecins sont dans un premier temps interloqués et hésitent à formuler le diagnostic de l’hystérie qui, pour eux, relève avant tout de la nature féminine. Comment de valeureux soldats peuvent-ils présenter les troubles caractéristiques des constitutions débiles et efféminées ?
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Quand les obus pilonnent la position, les crises d’angoisse se multiplient et Erich Maria Remarque rapporte qu’il fallut en venir aux mains pour empêcher un soldat de sortir de l’abri : « Il n’écoute rien et donne des coups autour de lui : il bave et vocifère des paroles qui n’ont pas de sens et dont il mange la moitié. C’est une crise de cette angoisse qui naît dans les abris des tranchées ; il a l’impression d’étouffer où il est et une seule chose le préoccupe : parvenir à sortir. Si on le laissait faire, il se mettrait à courir n’importe où, sans s’abriter. Il n’est pas le premier à qui cela est arrivé. Comme il est très violent et que ses yeux chavirent, nous n’avons d’autres ressources que de l’assommer, afin qu’il devienne raisonnable. » Parce qu’ils n’ont pas eu cette présence d’esprit, des soldats français, à Verdun, voient l’un des leurs courir nu sous la mitraille, de trous d’obus en trous d’obus, en appelant sa mère. [...]
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C’est un cimetière oublié. Près de 900 tombes à moitié écroulées sur elles-mêmes, souvent anonymes, avec, au milieu, un carré militaire et une simple plaque : « Les anciens combattants de la Gironde à leurs camarades mutilés du cerveau. » Un journaliste de L’Humanité qui, en 2005, parcourt les allées du cimetière des fous de Cadillac, remarque avec écœurement que des mâchoires, des fémurs et des éclats de crâne se mêlent au gravier et aux herbes folles. Voilà ce qui reste de ces poilus qui ne sont pas morts au front. Ce sont des morts oubliés dont personne ne se soucie. Annexé à l’asile psychiatrique de Cadillac, ce cimetière en jachère témoigne du peu de cas que l’on a fait des « blessés nerveux » et autres commotionnés de la Grande Guerre qui n’ont jamais eu droit à la reconnaissance publique parce qu’ils n’étaient pas tout à fait des blessés comme les autres.  « Honneur aux poilus, ils nous ont fait cette victoire », avait lancé Clemenceau du haut de la tribune parlementaire, le 11 novembre 1918, mais ces psycho-névrosés, avec leurs yeux hallucinés, leurs délires, leurs cauchemars et leurs cris terrifiants, ces blessés sans blessures, personne ne voulait les voir. De ces héros-là, on en avait honte. S’il était difficile de soutenir le regard des « gueules cassées », au moins le pays s’inclinait devant eux, mais les fous, les hystériques, les déments, il fallait les cacher, les dissimuler parce qu’ils renvoyaient une image terrible de la guerre en complète contradiction avec les lauriers de l’héroïsme dont la société d’après-guerre couvrait les poilus et les anciens combattants. La guerre, pourtant, il faut avoir le courage de la regarder dans les yeux.  
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... dès 1862, les écrivains-rentiers Edmond et Jules de Goncourt participent aux «dîners Magny» qui réunissent deux fois par mois tout ce que Paris compte alors d'écrivains, d'artistes, de journalistes et de scientifiques. C'est à l'occasion d'un de ces repas que les deux frères auraient eu l'idée de créer une «société littéraire» portant leur nom et poursuivant un double objectif : d'une part, faire passer leur patronyme à la postérité - ce que leur oeuvre littéraire ne suffisait pas à leur garantir ; d'autre part, édifier une «contre-Académie française» afin de mettre en valeur le genre romanesque qui était alors méprisé par les Immortels du quai Conti. Les frères Goncourt se posent en effet comme les défenseurs du roman, et notamment du roman naturaliste : Germinie Lacerteux, qu'ils rédigent à quatre mains en 1865, se veut un véritable manifeste en faveur du naturalisme. Après le décès prématuré de son cadet Jules en 1870 -emporté à 39 ans par les conséquences d'une syphilis contractée une vingtaine d'années auparavant-, Edmond n'aura de cesse de faire vivre le projet, qui devient désormais une facon de rendre hommage à ce frère tant aimé.
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« Il y avait chez Peyriac une fracture d'amour-propre, une volonté d'être reconnu comme un grand savant qui le rendait vulnérable à tous les compliments.»
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Surprenantes années 1920, taillées d'un bloc dans nos mémoires qui ne veulent y voir que les exploits de Mermoz et Lindbergh, l'audace de Le Corbusier. l'irrévérence radicale des surréalistes, la liberté de la garçonne et les déhanchements de Joséphine Baker. Le poids des morts n'est invoqué que pour être immédiatement rejeté hors du champ de I'analyse, comme l'objet d'une conjuration, un cauchemar à repousser, la victoire de la pulsion de vie sur les centaines de milliers de cadavres enterrés une bonne fois pour toutes avec un passé terrifiant mais révolu.
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Alors, je me battrais pour moi et pour toutes les autres. Je me battrais pour les humiliés, les dominés, les offensés. Parce que ce n'était pas juste et parce que j'en étais.
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S'il est une règle basique enseignée dans les écoles de police, c'est bien celle-ci : chercher a qui profite le crime ...
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Pour briser la peur qui serre les cœurs, rien de tel que de dénigrer l'armée allemande. Il ne s'agit pas là d'une basse propagande coordonnée par on ne sait qu'elle officine militaire ou gouvernementale, mais d'une sorte d'autopersuasion générale, un acte de foi devenu certitude générale à force d'être repris et répété. En quelque sorte, pour diminuer le péril, tout le monde cherche à se persuader que l'ennemi ne vaut rien. Le grand bal de l'inconscience est ouvert par "Le Temps" dès le 04 août : "Au moment où va débuter une tragédie dont nous ne sommes pas les auteurs, il est bon de prévenir certaines impressions d'imagination décourageantes ou des allusions aux pertes que causent la grande portée et les effets réputés meurtriers des armes modernes. On croit généralement qu'il en résultera ce qu'on a coutume d'appeler des pertes effroyables en hommes. Aussi faut-il redresser les idées à ce sujet à l'aide des statistiques établies après les dernières grandes guerres. Elles démontrent en deux mots que, plus les armes se perfectionnent, plus le nombre des morts des dernières guerres diminue. "" L'Intransigeant" n'est pas en reste : «L'inefficacité des projectiles ennemis est l'objet de toutes les conversations. Les shrapnells éclatent mollement et tombent en pluie inoffensive. Le tir est mal réglé. Quant aux balles allemandes, elles ne sont pas dangereuses. Elles traversent les chairs de part en part sans faire aucune déchirure.» Quelle chance pour les Français ! Seuls les Allemands mourront à la guerre ! Et c'est un festival : «Les projectiles de l'artillerie allemande se sont révélés jusqu'ici très peu efficaces», affirme "Le Petit Parisien" (14 août) : «Les Allemands tirent bas et fort mal ; quant aux obus, ils n'éclatent pas dans la proportion de 80 %», précise "Le Journal" (19 août) ; "Leur artillerie est comme eux, elle n'est que bluff. Les éclats d'obus ne vous font que des bleus", renchérit "Le Matin" (15 septembre). Restait donc à conclure avec "L'Echo de Paris" du 28 août que «la guerre, avec ses allures destructrices, n'a que l'apparence de la destruction». Ces sottises sont également gobées par les autorités à partir de faits partiels, notamment l'échec de l'artillerie allemande devant les forts de Liège avant que les énormes 420 n'entrent en lice et ne les écrasent méthodiquement. "II ressort que les effets obtenus par l'artillerie de campagne allemande ont été, presque nuls du fait d'éclatements trop haut", stipule ainsi un rapport du 8 août. Avant qu'ils n'aient connu l'épreuve du feu, les soldats partagent ces incertitudes qui sont aussi celles de leurs intructeurs : "Les obus allemands sont peu dangereux. Les éclats ne traversent pas le sac. Les charges à la baïonnette sont irrésistibles", note le sergent Giboulet dans son carnet. Et Olivier Guilleux, totalement privé de nouvelles et qui ne cesse de s'en plaindre, ne peut que s'être intoxiqué auprès des bobards de la presse quand, le 11 août, il déclare que "les blessures causées par les balles allemandes sont bénignes".
Le soldat allemand est à l'avenant, aussi inefficace que son matériel. C'est même un vrai poltron selon "Le Matin" :"les Allemands sont amenés au feu comme des automates, ils ne prennent pas la peine de viser et dès qu'on essaye de les aborder à l'arme blanche, ils quittent tout : tranchées, sacs, armes, leurs officiers sont, du reste, les premiers à fuir."
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Il ne fait pas bon être allemand en France au mois d'août 1914... Les habitants de la rue d'Allemagne pétitionnent, humiliés de vivre dans une rue au nom si détesté, et déjà les plaques sont brisées et remplacées par d'autres rebaptisant la voie du nom de Jean-Jaurès. Il en sera de même pour la station de métro voisine, renommée du nom du tribun socialiste en lieu et place de l'affreuse "Allemagne". La station "Berlin" et la rue du même nom connaîtront un peu plus tard un sort semblable: elles seront rebaptisées du nom de ville "Liège", la ville belge dont les forts, courageusement, ont tenu dix jours sous le feu allemand. Spontanément, les cafés viennois, qui rappellent l'Autriche-Hongrie honnie, disparaissent de la carte des salons de thé au profit du café liégeois, les enfants ne se régalent plus de berlingots mais de parigots, et les coquettes s'aspergent désormais d'eau de Pologne en lieu et place de I'eau de Cologne. Plus atterrant encore, les chiens bergers allemands changent de nom pour répondre à celui de bergers belges. Toutes ces démonstrations d'hostilité à la nation ennemie prêtent certainement à sourire, mais elles sont caractéristiques d'un esprit de haine qui envahit toutes les sphères de la société. Même les académies savantes, I'Académie de médecine ou la Société médico-psychologique par exemple, se purgent de leurs membres austro-allemands. "Ce peuple ne vaut pas même qu'on lui crache à la figure", éructe le Dr Wittry. Où il est démontré que si la science n'a pas de patrie, le scientifique en a une. Expulser la moindre trace de germanité devient sorte d'obsession, jusqu'au ridicule. Certains directeurs de salles de concert prennent ainsi l'initiative d'enlever les bustes de Mozart qui y trônaient, parce que ce génie qui appartient à l'humanité à eu le tort de naître du mauvais côté de la frontière cent cinquante ans plus tôt.
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En janvier 1914, à l'heure des vœux, les voyants français font connaître leurs sentiments sur la nouvelle année. "Il n'y aura pas de guerre en Europe", prétend Mme André, spécialiste du marc de café ; une opinion que nuance Mme Méra, dont la science du tarot est réputée et qui concède "des craintes de guerre" sans croire un seul instant "à la réalisation de ce cliché funeste". Sa consoeur, Mme Lorenza, qui tire les cartes comme personne confirme allégrement : «Je ne prévois pas d'événements graves -telle une guerre -pour l'année 1914. » La nouvelle année se distinguera donc par son calme, si l'on en croit Mme Marceau, la fameuse numérologue, tandis qu'une charlatane du même acabit, Mme Maria-Thérésa, évoque une "année de prospérité!" Les dés, les cartes, les lignes de la main, les astres et autres boules de cristal l'affirment bien haut : 1914 sera une année de paix.
Parce que la prophétie est toujours conformiste et traduit les aspirations du présent, faut-il en déduire que les Français de 1914 ne songent pas à la guerre ? En fait, s'ils la conjurent avec optimisme, ils n'en sont pas moins préoccupés par la question, mais sans trop y croire, à la manière d'un débat abstrait. Ils en parlent volontiers, la presse de droite comme celle de gauche lui consacrent nombre d'articles anxieux, mais, au fond, ils n'imaginent pas qu'une telle aberration soit possible après quarante années d'équilibre et de paix - fût-elle armée - entre les grandes puissances européennes. En parler toujours, n'y penser jamais, pourrait résumer leur comportement.
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Quant à la France, est-il vrai, comme la voient les Allemands, qu'elle soit une nation guerrière et revancharde, incapable de détourner le regard de la ligne bleue des Vosges ? Une fois encore, les perceptions allemandes sont faussées : la France républicaine professe un patriotisme défensif et ne songe à aucun moment à agresser I'Allemagne. Somme toute, le caractère agressif du nationalisme dont la royaliste Action française s'est fait le porte-voix est plus dirigé contre la république laïque et radicale que contre l'Allemagne elle-même. Il y a bien le souvenir de l'Alsace-Lorraine, mais contrairement à une légende tenace, l'évocation des provinces perdues en 1871 ne relève plus que du registre sentimental, et il est bien loin le temps où Gambetta recommandait d'y penser toujours et de n'en parler jamais. On en parle encore de temps à autre, Comme une vieille antienne, mais l'on n'y pense plus guère. En fait, le nationalisme revanchard n'existe plus depuis les années 1880. Paul Déroulède, le chef de la Ligue des patriotes toujours prêt à grimper sur la statue de Strasbourg "Comme une chèvre sur son rocher" (Paul Morand), est bien à l'image de ce bellicisme : une vieille ruine. Ses obsèques, le 3 février 1914, ressemblent à l'enterrement de la ligue elle-même qui n'est plus qu'un groupuscule. Est-ce à dire que la France a complètement oublié l'Alsace-Lorraine? Si elle s'est fait une raison, l'oubli n'est pas vraiment possible, étant donné que son patriotisme s'est aussi construit autour de cette blessure qui empêche la réconciliation avec l'Allemagne. Les provinces perdues sont bel et bien perdues, mais les français demeurent attentifs à leur sort et, par sentimentalisme, incapables de tourner officiellement la page alors que le deuil est fait depuis longtemps.
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Reste une question que l'historien Jules Isaac ne cesse de se poser pour comprendre les origines somme toutes mystérieuses du conflit : « Comment expliquer que la guerre, tant de fois prévue prédite depuis 1905, quand elle éclata dans l'été 1914, parut tomber sur le monde comme une avalanche ? » Longtemps, pour répondre à cette interrogation, les historiens ont élaboré de vastes constructions politiques, diplomatiques ou économiques démontrant le caractère inexorable et mécanique de I'affrontement, sans toutefois convaince absolument, puisque aucun fait mis en avant ne suffisait à avoir rendu la guerre inévitable. La compétition coloniale ? Mais celle-ci avait d'abord opposé la France à la Grande-Bretagne! La confrontation des ambitions économiques à l'âge du capitalisme impérial ? C'est oublier que les milieux libéraux prônaient la paix comme plus profitable aux affaires et aux échanges. L' Alsace- Lorraine? Une vieille lubie qui ne préoccupait plus grand monde, en vérité. L'engrenage fatal des alliances diplomatiques ? On avait pourtant eu le courage d'arrêter cette mécanique lors des crises précédentes, et cela ne disait pas pourquoi on n'avait pas voulu la stopper en 1914. Et tous les historiens d'énumérer avec plus ou moins de conviction ces éléments sans pouvoir dire vraiment ce qui a été déterminant. Avouons-le : si les origines du conflit sont restées insaisissables en dépit des miliers d'ouvrages consacrés au sujet, c'est peut-être parce que les facteurs objectifs sont insuffisants pour comprendre comment la moitié de l'Europe a décidé de prendre l'autre à la gorge.
Après tant de grandes synthèses indécises ou erronées, il était temps de mobiliser les ressources de l'histoire culturelle pour envisager de nouvelles pistes. Un fait est certain : l'Europe de 1914 avait peur et c'est certainement de cette peur qu'est née la guerre.
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