Jeanette Winterson

Devenir fou prend du temps. Recouvrer une santé mentale prend du temps.
...
La créativité se tient du côté de la santé - ce n`est pas elle qui nous rend fou ; elle est cette force interne qui tente de nous sauver de la folie. (p 197)

" Qui êtes-vous ? - Appelez-moi Ali. - Est-ce votre vrai nom ? - Il fait l'affaire. - Au masculin ou au féminin ? - Quelle importance ? - C'est un paramètre. - Nous sommes dans un monde virtuel. -

’J'ai bien trouvé un livre…. Il s’agissait d’un manuel de sexualité des années 50 intitulé : « Comment combler votre mari »….

En réfléchissant aux horreurs de l’hétérosexualité, j’ai compris que cela ne servait à rien que je plaigne mes parents ; ma mère n’avait pas lu le livre – peut-être l’avait ouvert une fois et l’avait aussitôt écarté en mesurant l’ampleur de la tâche . Le livre n’était pas corné en parfait état, intact. Conclusion, mon père a dû faire sans, et comme je doute fort qu’ils aient jamais couché ensemble, il n’a donc pas eu besoin de passer ses nuits avec Madame Winterson, pénis dans une main et manuel dans l’autre, pendant que sa femme suivait les instructions.

Je suis contrariée qu’il y ait autant d’enfants dont on ne s’occupe jamais et qu’on empêche donc de grandir . Ils vieillissent mais ne grandissent pas. Pour ça il faut de l’amour. Si vous avez de la chance, l’amour viendra plus tard. Si vous avez de la chance, vous ne frapperez pas l’amour au visage.

J’ai eu besoin des mots parce que les familles malheureuses sont des conspirations du silence. On ne pardonne jamais à celui qui brise l’omerta. Lui ou elle doit apprendre à se pardonner.

Chez nous, la lumière est allumée. Comme papa travaille la nuit, elle peut aller se coucher, mais elle ne dormira pas. Elle lira la Bible jusqu’au matin et quand papa sera de retour, il me fera entrer, ne dira rien, et elle non plus ne dira rien et nous ferons comme s’il était normal de laisser son enfant dehors toute la nuit, normal de ne jamais dormir avec son mari.

Ma mère elle-même était une dépressive truculente ; une femme qui cachait un revolver dans le tiroir à chiffons et les balles dans une boîte de produit nettoyant Pledge. Une femme qui passait ses nuits à faire des gâteaux pour ne pas avoir à dormir dans le même lit que mon père. Une femme qui avait une descente d’organes, une thyroïde déficiente, un cœur hypertrophié, une jambe ulcéreuse jamais guérie, et deux dentiers – un mat pour tous les jours et un perlé pour les « grands jours ».

Est-ce que nous vivons tous comme cela ? Deux vies, la vie extérieure idéale et la vie imaginaire intérieure qui garde ses secrets ?
(p. 145)

Nous sommes ici et là, ni vraiment ici, ni vraiment là, à tournoyer comme des grains de poussière, à revendiquer notre droit à l’univers. Être important, n’être rien, être pris au piège d’une vie que l’on a fabriquée sans jamais la souhaiter. S’évader, essayer encore, se demander pourquoi le passé nous suit, se demander même comment parler du passé.

(p. 147)

Vivre avec la vie est très difficile. Le plus souvent, nous nous efforçons d'étouffer la vie - nous sommes sages ou capricieux. Apaisés ou enragés. Les extrêmes ont le même effet; ils nous isolent de l'intensité de la vie. p. 199.

Je crois que Mrs Winterson a été lettrée, à une époque. Quand j'avais tour de sept ans, elle m'a lu Jane Eyre. Le livre était jugé convenable parce qu'il y avait un pasteur - St John Rivers - qui souhaitait ardemment devenir missionnaire.
Mrs Winterson lisait à voix haute, tournait les pages. Il y a cet incendie terrible à Thornfield Hall lors duquel Mr Rochester perd la vue, mais dans la version de Mrs Winterson, Jane se désintéresse de son amant désormais aveugle ; elle épouse St John Rivers et ils partent ensemble dans une mission. Il m'a fallu attendre de lire moi-même Jane Eyre pour découvrir ce qu'avait fait ma mère.
Et elle était si douée pour inventer le texte dans le style de Charlotte Brontë au fur et à mesure qu'elle tournait les pages.

Ma mère elle-même était une dépressive truculente ; une femme qui cachait un revolver dans le tiroir à chiffons et les balles dans une boîte de produit nettoyant Pledge. Une femme qui passait ses nuits à faire des gâteaux pour ne pas avoir à dormir dans le même lit que mon père.
(p. 9)

"cela paraît si facile aujourd'hui de détruire des bibliothèques - en en retirant tous les livres, en prétendant qu'ils sont inutiles à la vie des gens. On débat sans cesse sur la fracture sociale et l'aliénation, mais comment pourrait-il en être autrement quand nos idées de progrès démantèlent ces lieux qui ont tant fait pour rassembler la population ?"

si ce livre peut paraître déroutant par son manque de construction, il n'en reste pas moins surprenant, on a envie de le lacher mais pourtant on continue sa lecture rafraichissante, audacieuse, libre, touchante et pleine de vérités

Dans ce monde oû tout doit être rentable et utile, le symbole du royaume de Dieu - il s'agit bien d'un symbole et non d'un lieu- se pose comme le défi lancé par l'amour à l'arrogance du pouvoir et aux illsusions de la richesse.

(...) je ne peux pas me fixer, je veux quelqu'un de farouche qui m'aimera jusqu'à la mort (...)

L'insondabilité des mes désirs m'effraie. Je ne sais pas qu'elle est leur taille, ni quelle est leur hauteur, je sais seulement qu'ils ne sont pas comblés.

Si les démons sont en vous, ils voyagent avec vous.

Les curieux ne sont jamais à l'abri d'un danger quelconque.

Elle voulait dire que créer est un acte fondamental, et apprécier, un acte secondaire.