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Critiques de Jeanne Favret-Saada (14)
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Les mots, la mort, les sorts

Les mots, la mort les sorts c'est une révélation ! Non seulement c'est une plongée dans le monde de la sorcellerie dans le bocage de l'ouest dans les années 70 mais surtout c'est un ouvrage de référence en matière de méthodologie d'enquête. Quel est la place de l'enquêteur ? Comment parler de son sujet d'étude lorsqu'on est "pris" dedans. *

Si votre sang est fort, nous irez jusqu'à la fin de cette ouvrage à la fois universitaire mais aussi de très bonne facture littéraire.
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Le retour de l’accusation de blasphème est un..

1988: parution des "Versets sataniques" de Salman Rushdie, Martin Scorcese sort "La dernière tentation du Christ".

Une année qui marque un tournant dans notre vie publique, d'après l'anthropologue Jeanne Favret-Saada . Une année où le mot de "blasphème" fait la une des journaux, où tout le monde s'empare du sujet de façon plus ou moins experte. Une année où le religieux fait son retour en force dans le discours politique .

Plus rien ne va être comme avant. On est obligé de penser , désormais , aux "sensibilités religieuses blessées" . Et cette interview explique comment nous en sommes arrivés là, ce que cela implique dans notre façon de vivre ensemble, ce à quoi nous avons renoncé en chemin.

Ce bref opuscule , conçu à l'origine comme un article d'une revue consacrée à la censure... et censuré dans la foulée, mérite toute notre attention . Il se lit facilement, il fournit des explications claires & circonstanciées, et pose très simplement la question du choix : quelle part de l'héritage des Lumières tenons-nous vraiment à conserver ? Si l'on renonce à la partie, faudra-t-il renoncer au tout ?



Merci à la librairie AOC de publier ce genre de textes, à la portée de tous, qui concernent chacun de nous .
Lien : https://aoc.media/librairie/
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Les mots, la mort, les sorts

Cet ouvrage m'a fasciné quand je l'ai découvert :pur citadin et rationaliste je n'imaginais pas vraiment les phénomènes que décrit l'ouvrage. Ce remarquable travail ,;l'auteur l'a réalisé en Mayenne où elle a enquêté sur les pratiques d'ensorcèlement et de désenvoutement .C'est troublant et d'une intelligence remarquable .
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Les mots, la mort, les sorts

Une superbe enquête sociologique sur la croyance en la sorcellerie chez les paysans. Elle parle souvent de faits étranges, qui m'ont un peu perturbés mais la façon dont elle décrit ça est génial ainsi que sa méthode d'approche, un livre qui se lit facilement bien que ce soit pas forcément le genre de livre qui soit simple.
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Les mots, la mort, les sorts

Jeanne Favret-Saada, s'installe dans le bocage mayennais en 1969. Elle va y rester trois ans. Professeur parisienne, l'ethnologue d'origine algérienne avait appris par certains de ses élèves la persistance de phénomènes de sorcellerie dans cette partie de la campagne française.



Ce "terrain" ethnologique en vaut bien un autre.



L'auteur va chercher des informateurs, comme tout ethnologue. Pourtant ceux-ci ne cessent de se dérober. La sorcellerie, c'était avant, c'est ailleurs, pas très loin, mais en tout cas pas ici. Ici on est civilisé. La sorcellerie c'est l'Autre. Dans tous les sens du terme.



Jeanne Favret-Saada se rend compte rapidement de l'impossibilité de tenir la place de la curieuse sur la sorcellerie. Cette place, celle de la science, est en contradiction même avec ce qui se joue de la sorcellerie. Car il s'agit d'abord d'une énonciation, d'un procès, au sens linguistique du terme. En sorcellerie, on est "pris" ou on n'y est pas et, dans ce cas, on n'y peut tenir aucune place (celle du sorcier étant absolument "intenable").



L'auteur sera ainsi constamment à côté de la place qu'elle croit tenir : elle devra d'abord débrouiller ce système. Qui parle ? Quelle instance s'exprimer ? A qui parle-t-on ? La scientifique, la parisienne qui s'installe, l'ensorcelée, la désorceleuse, la sorcière potentielle? Il lui faudra enfin rompre avec la position d'extériorité propre à la discipline ethnographique.



La première partie de l'ouvrage est ainsi un morceau de bravoure intellectuel où l'auteur dit ainsi d'où elle parle, quel est son lieu d'énonciation et comment celui-ci doit constamment être interrogé.





Alors être ensorcelé, c'est quoi ?



Dans le cas du bocage mayennais, dans les années 70, dans des exploitations agricoles familiales, c'est de subir des malheurs, inexpliqués et répétés, qui touchent le chef de famille, les membres de sa famille, et bien sûr, les animaux et les bâtiments de la ferme. C'est-à-dire l’entièreté du domaine.

Mais c'est surtout de ne pas trouver d'explication rationnelle à cette série de malheurs, jusqu'à ce qu'un proche vienne annoncer "qu'il y aurait peut-être quelqu'un qui te voudrait du mal".



L'auteur décrit ainsi minutieusement un système de régulation du malheur quotidien, un schéma explicatif utilisé par cette société qui mobilise ainsi 4 catégories d'individus : les ensorcelés, l'annonciateur, le désorceleur et le sorcier et la force qui circule entre les êtres. Un individu (qu'il faut ici entendre comme un système avec à sa tête le chef de d'exploitation et comprenant les autres membres de sa famille et sa propriété) dispose d'une force qui coïncide avec son territoire, avec le périmètre et la surface du domaine. Elle est ajustée à celui-ci. Il suffit que la force ne le soit plus (en trop faible quantité) pour qu'un sorcier (dont l'état est justement définis par le fait de disposer d'un surplus de force) vienne coloniser l'espace vacant et "ratirre" les biens de l’exploitation de l'ensorcelé vers la sienne propre. Le désorceleur, qui dispose, lui, aussi de force en excès va la mettre au service des ensorcelés pour livrer un combat magique contre le sorcier et lui retourner sa force.



La "force" n'a pas besoin d'être définie (et elle ne l'est d'ailleurs pas) pour que le système fonctionne. Peu importe également que le grand absent (au sens physique du terme) de ce système soit le sorcier : il est celui dont on parle (mais dont-on-ne-doit-pas-dire-le-nom), il est le responsable de l'état des ensorcelés, mais il n'est jamais présent, puisque justement il est celui avec qui on doit rompre toute communication.



Alors en quoi Les mots, la mort les sorts, au-delà de son caractère historique et ethnologique, peut-il nous parler, ici et maintenant ?



Parce que, comme le dit Jeanne Favret-Saada (p. 128) : Il me paraît essentiel de remarquer ici que la fascination exercée par les histoires de sorciers tient avant tout à ce qu'elle s'enracine dans l'expérience réelle, encore que subjective, que chacun peut faire, en diverses occasions de son existence, de ces situations où il n'y a pas de place pour deux, situations qui prennent dans les récits de sorcellerie la forme extrême d'un duel à mort.





Il nous suffit de penser à toutes ces petites haines ordinaires, ces pensées paranoïaques, ces détestations qui nous encombrent, ou encore à cette construction que l'on appelle "le pervers narcissique" (nouvelle figure fourre-tout du grand méchant, tellement polymorphe mais seulement détectable par ceux qui en sont victimes). Il suffit de penser aux ambiances de travail, à la vie de certaines associations, aux conflits d'intérêts ou aux concurrences entre les individus pour comprendre que le système mis au jour, décrypté et analysé par Jeanne Favret-Saada avec une rigueur et une clarté exemplaires peut servir de matrice d'analyse à nos vies affrontées. Bien évidemment, il faut transposer les termes et les situations car le bocage qui est décrit n'existe plus et les ressorts qui l'animaient ne s'énoncent plus dans les mêmes termes, mais il s'agit, à mon sens de l'ouvrage le plus éclairant qu'il soit.



En ce sens, je tiens Les mots, la mort, les sorts pour un véritable chef d’œuvre.
Lien : http://leslecturesdecyril.bl..
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Les mots, la mort, les sorts

Jeanne Favret s'était fait connaître par son travail sur la vengeance en Kabylie. Elle reprend ici la logique des échanges de violence à propos de la sorcellerie contemporaine en Mayenne : le sorcier et ses sorts, le désorceleur et sa cure.



Être impliqué dans un sort ou y croire, c'est synonyme, c'est " être pris ", ce qui questionne la position de l'ethnologue entre le folkloriste et le psychiatre, entre l'observation et l'adhésion. L'auteur se dit " Je sais bien que ce n'est pas (rationnel, plausible, possible) mais quand même… ". Son étude la plonge dans un réseau de personnes qui sont " prises " et lui ouvrent un abîme de relations où se mêlent défiance, croyance et confidences, un monde d'inquiétante étrangeté. " Il ne m'échappe pas qu'il y a une disjonction radicale entre la visée qui est maintenant la mienne et celle de mes interlocuteurs du Bocage. Jusqu'à présent, je me suis contentée d'affirmer que le discours de la sorcellerie est ainsi fait que, pour y avoir accès, il faut se mettre en position de le soutenir soi-même. Pourtant c'est une chose que d'y avoir accès - ce fut une mémorable aventure, dont ma vie entière portera la trace - et une autre que d'en vouloir faire après-coup la théorie " (page 47).

Dans cette " mémorable aventure ", l'auteur s'engage auprès des Babin qui n'ont jamais pu consommer leur mariage et qui subissent des séries d'avanies inexplicables. Les étapes de son engagement sont d'abord l'empathie - elle écoute sans rire leurs discours, pratique le langage de la sorcellerie et partage leurs inquiétudes -, puis sa " prise " personnelle dans un accident de voiture suivi de douleurs inexplicables, enfin sa collaboration avec Madame Flora, la désorceleuse qui la soigne et qu'elle appelle à délivrer les Babin. L'histoire des Babin est longue : la moitié du livre, résumée par six pages de repères chronologiques en annexe. Pourtant elle n'arrive pas à son acmé : le travail de Madame Flora est réservé à une autre livre qui paraîtra 30 ans plus tard. Les informations sur d'autres cas de " prise " sont de seconde main, rapportées aux Babin par les désorceleurs qu'il ont consultés avant Madame Flora.



Au fond du réseau magique est la " force ", " le sang fort ", qui est l'arme et l'attribut du sorcier comme du désorceleur. Les protagonistes sont l'ensorcelé ; l'annonciateur qui annonce son état à l'ensorcelé sans désigner le sorcier, sa nomination étant un long travail de la victime ; le désorceleur, souvent conseillé par l'annonciateur mais qui est une personne distincte ; enfin le sorcier. Il y a deux sortes de désorceleurs, pour le bien et pour le mal. Le désorceleur pour le bien essaye de rompre le sort sans le renvoyer à l'ensorceleur : ce peut être le curé qui donne des conseils ou du sel béni, mais ses moyens sont réduits car " ses oreilles sont bouchées par l'optimisme évangélique " (tendre l'autre joue) (p 149). Un désorceleur pour le mal est nécessaire quand le sort est " dur " ; il doit renvoyer le mal pour le mal, engager avec le sorcier une lutte violente, parfois une lutte à mort (on rapporte à l'auteur le cas d'une sorcière vaincue par un désorceleur qui mourra cachectique en asile psychiatrique). Tous les sorciers font le mal et tous sont complices ; les membres de leur famille sont également complices, éventuellement contre leur volonté. Les étapes de l'action sont " la prise ", les malheurs qui se répètent autour de l'ensorcelé, de sa famille, de ses bêtes et de ses biens et qui sont induits par la parole, le toucher et le regard du sorcier, généralement un voisin ; la révélation du sort par l'annonciateur, la recherche puis la nomination du sorcier ; la mise en place de protections magiques (sel béni, médailles, talisman, copule) ; la recherche d'un désorceleur qui accepte le vœu de mort et " prend tout sur lui " ; enfin la crise de sorcellerie qui implique une lutte à mort du désorceleur et du sorcier.



Le désorcelage, comme la vengeance, est une justice privée où les lignages - la famille de l'ensorcelé et celle du sorcier - règlent leurs conflits, mais une différence essentielle avec la justice vindicatoire et ses dettes d'honneur est ici le secret. Seuls les ensorcelés peuvent désigner le sorcier et dénoncer leurs sorts car les sorciers ne se reconnaissent jamais comme tels. On ne parle en public ni du sort, ni du combat contre le sorcier, ni de son issue. Il faut comprendre pourquoi l'ensorcelé a besoin d'un annonciateur pour connaître son statut et met du temps à chercher et nommer son sorcier - ce qui suggère une relation lointaine et lâche, une interaction faible - alors même que la menace qu'il subit est " mortelle ", comme la lutte du sorcier et du désorceleur. C'est que le sorcier n'existe que dans l'esprit du couple ensorcelé/désorceleur ; ce sont les rites de désorcellement qui amènent l'ensorcelé à un comportement agressif, si bien qu'il y a finalement deux victimes : l'ensorcelé et le sorcier.



Dans cette expérience unique, ce cas particulier, le défaut d'objectivation est patent, comme la fragilité de toute tentative d'en extraire un système. L'auteur le sait et compense cette fragilité par les apparences de la rationalité (listes numériques d'arguments, tables et graphiques par dizaines). Elle reconnaît aussi la limite ténue entre sort et névrose (Jean Babin est un alcoolique instable qui accepte un internement volontaire en psychiatrie), et entre cure et suggestion, ou même autosuggestion. On voit que cette ébauche d'ethnologie des thérapies s'ouvre sur la psychanalyse où Jeanne Favret va poursuivre son travail. Un livre stimulant mais inachevé.

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Désorceler

Une enquête sur la sorcellerie en Normandie et particulièrement sur le désorcellement. Très intéressant et pédagogique sur ce qu'est la culture populaire et la thérapie.
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Les mots, la mort, les sorts

A Jackie: < les mots d'abords, a la base de l'échange de ce livre, le sort qui ne décide de rien et enfin la mort qui le restitue >.
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Les mots, la mort, les sorts

Une analyse originale et pertinente des relations sociales dans le bocage. Elle est basée sur la sorcellerie mais elle pourrait être généralisée : une addition de contradictions dans le discours, de la (sur)interprétation médisante, la surveillance active et perpétuelle par les autres, etc. Jeanne Favret a parfaitement analysé ce que j'ai connu en grandissant dans l'orbite du bocage. Je suis très content d'avoir quitté ces relations sociales malsaines mais qui, malheureusement, sont toujours d'actualité. Très bonne lecture, pas forcément simple, que je conseille même aux non spécialistes en sociologie
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Les mots, la mort, les sorts

L'autrice a débuté son enquête en 1969 dans le bocage mayennais, ses investigations lui ont pris plusieurs années et l'ont amenée à des conclusions qu'elle ne soupçonnait pas. L'essentiel de la sorcellerie ne réside pas tant dans la confection de charmes, rites et potions magiques - même si ces pratiques existent - que dans la relation d'emprise qui se noue entre un ensorceleur et sa victime. Personne ne parle ouvertement de magie, de peur de passer pour crédule ou simplet, mais lorsqu'une succession de malheurs s'abat sur une même personne, le doute n'est plus permis, il s'agit d'un sortilège. Par la parole, la simple présence physique, quelques gestes, et tout un ensemble de petits faits, imperceptibles aux profanes, les sorciers, en grands manipulateurs, terrorisent et poussent au malheur les proies désignées des forces occultes qui les habitent. Seul un désorceleur, c'est-à-dire une personne investie d'un pouvoir équivalent à celui de l'agresseur, et décidée à s'en servir pour protéger les victimes, peut venir à bout d'un sorcier. L'autrice elle-même fut prise par certains de ses interlocuteurs pour une sorcière, tant son intérêt pour le sujet la plaçait en position suspecte dans cet univers secret, aux frontières mouvantes, empli de violence et de mystère qu'il lui fallait rationaliser. Difficile de restituer un résumé pertinent de cette étude, entre promenade anthropologique, essai de psychologie et incursion en terre de rêves et de cauchemars, je conseille cette lecture troublante à tous les curieux dès le lycée.
Lien : https://leventdanslessteppes..
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Corps pour corps

En 1981, moins de dix ans après la parution des Mots, la mort, les sorts, Jeanne Favret-Saada publie avec Josée Contreras des extraits de son journal de terrain, Corps pour corps.



Les mots, la mort, les sorts décrivait le système analysé par l'anthropologue, la sorcellerie bocaine. Jeanne Favret-Saada expliquait, dans une longue et séminale introduction, l'impossibilité de constituer tout savoir sur la sorcellerie sans tenir une des places du système : annonciateur, ensorcelé, désorceleur ou sorcier.

Elle rencontra le couple Babin, exploitants agricoles qui n'eurent de cesse de la mettre à la place de la désorceleuse, persuadés "qu'elle le faisait pour le bien" et qu'elle saurait mettre fin à la série des malheurs qui les touchaient (mariage non consommé, beurrées endémiques, difficulté à baratter etc.).

Le trouble dans la communication entre Jeanne Favret-Saada et les Babin, les incompréhensions réciproques et l'asynchronie des postures font avorter une relation que le refus de l'auteur à tenir la place que les Babin lui assignaient, aurait de toute façon achevé rapidement. Cette confusion aura cependant permis à l'auteur d'accéder à une vision du système sorcellaire qui sera l'armature des Mots, la mort, les sorts.

Corps pour corps est la reprise du journal de terrain de l'auteur, pour la seule année 1969, première des trois que Jeanne Favret-Saada passa dans le bocage mayennais. On y découvre les tours et détours qui mènent à cette rencontre. Le cheminement est tortueux et traduit la progressive intégration de l'auteur dans le tissu social local. Des échanges apparemment anodins y sont retranscrits, suivis par les "pour plus tard" où l'auteur annote les événements et l'évolution des relations de l'auteur avec son environnement. La pensée s'y fait à la fois rétroactive et prospective. Cette écriture, quasi schizophrénique, permet à l'auteur d'être à la fois dans la relation (au-delà de multiples méprises réciproques) et de porter un regard sur celle-ci, de se décentrer.



Cette une pensée en construction qui se donne à voir et c'est fascinant.



À la fin de Les mots, la mort les sorts, Jeanne Favret-Saada évoquait avoir été initiée auprès de madame Flora, sans pour autant s'étendre sur la nature de cette relation. Elle livrait également quelques éléments de sa vie intime qui montraient qu'on ne tient pas, impunément, une place dans le système sorcellaire.

Corps pour corps est ainsi partagé en deux moitiés inégales : la première, qui comprend plus des deux tiers de l'ouvrage, relate la rencontre avec les Babin. La seconde livre des éléments de la dégradation de la situation personnelle de Jeanne Favret-Saada et achève de la convaincre qu'elle même "y est prise" et la mène jusqu'à la porte de Mme Flora, tireuse de cartes. La sorcellerie comme une allégorie de la sérendipité.



La mise en écho entre les deux épisodes (les Babin et Mme Flora) achève d'emporter l'adhésion du lecteur dans une mise en abîme que ne renierait pas la dernière page de Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez.

Le discours prend alors un saisissant effet de réel qui ne manque pas de d'ébranler le lecteur et permet de comprendre que le système sorcellaire est une réalité bien vivante, mouvante, transposable, vivante. Actuelle.

Éminemment protéiforme, la sorcellerie est autour de nous, en nous. Bien à rebours des fantasmes journalistiques et d'une imagerie de pacotille, elle traverse la société, elle en est des maillages, discret, obsessionnel et obsédant. Seuls les ignorants (ou les inconscients) peuvent encore penser qu'il ne s'agit que d'un folklorisme daté, inaccessible et croire qu'ils peuvent y échapper.



Moins connu, que l'ouvrage auquel il fournit la matière, Corps pour corps est une œuvre à part entière, dont il n'est pas interdit de penser qu'elle est à la fois plus accessible et fascinante, si tant est que cela soit encore possible.



Un chef-d'œuvre littéralement.
Lien : http://leslecturesdecyril.bl..
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Corps pour corps

Au-delà du thème captivant qu'il aborde et dont l'attraction opère immédiatement - sur le lecteur certes, mais également sur les protagonistes du livre et sur l'auteure elle-même, la force de cet ouvrage réside aussi dans sa forme. En effet, seulement composé des notes de terrain prises par Jeanne Favret-Saada, il permet d'entrer pleinement dans un quotidien. On est ainsi immédiatement transporté dans la Mayenne des années 70, assis à ces tables de ferme où la "goutte" circule et autour desquelles les paysans ensorcelés dévoilent peu à peu leur histoire. On s'aperçoit alors au fil des pages que la sorcellerie, à la fois entourée de mystère, fascinante mais vaguement inquiétante, finit par s'insinuer même dans l'esprit le plus cartésien et qu'après une année d'enquête, l'ethnographe elle-même ne peut plus en entendre parler sans que ses mains ne se mettent à trembler. L'ouvrage étant la fidèle retranscription d'un journal de bord, le lecteur vit ainsi entièrement cette évolution et finit lui aussi par être happé dans cette atmosphère de plus en plus oppressante.
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Désorceler

Le désorcèlement d'exploitations agricoles envisagé comme thérapie familiale. Très intéressant sur ce qu'il révèle des dynamiques au sein d'un couple d'exploitants, de la place des épouses dans les années 1970 en Normandie, et plus particulièrement du travail de care qu’elles fournissent dans le cadre de cette "crise" à surmonter. La chercheuse évite tout jugement de valeur et quand elle raconte l'effroi que lui inspire la désorceleuse locale Madame Flora sa candeur est touchante.
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Les mots, la mort, les sorts

Halloween approche, avec son lot de frisson et d'angoisse... quoi de mieux qu'une bonne histoire avec son lot de paranormal et inquiétante étrangeté ? Sauf qu'ici, je vais surprendre puisque je vais lire non pas un bon roman de Stephen King, de Graham Masterton, de Edgar Allan Poe où de Lovecraft... une fois n'est pas coutume, un essai singulier autour de la sorcellerie dans le monde réel, plus précisément dans le bocage mayennais !

Comme un roman, l'essai de Jeanne Favret-Saada, une anthropologue et sociologue de grande renommée, est une enquête sur la pratique de la sorcellerie dans la campagne normande où la magie est bien encore vivace dans le pays des Lumières et de la raison. L'auteure part sur les traces des victimes "d'éncrouilleurs" (le nom local des sorciers) pour étudier les effets supposés des sorts. Un encrouilleur vous a dans la peau ? Eh ben votre vie tourne au cauchemar : vos bêtes dépérissent, les petits naissent morts-né où avant terme, les maladies vous accablent comme la stérilité... afin de se libérer de cette malédiction, il faut consulter le désorceleur pour qu'il combat "magiquement" le sorcier, qui est souvent une lutte à mort. Jeanne vient écrire son livre en prenant ses distances sur ces croyances et les faits bizarres qui s'y produisent... mais la rencontre de la famille Babin et les événement qui s'y déclenchent vont ébranler ses certitudes...

A priori, un essai est ennuyant, avec des descriptions froides et statiques. Pourtant, il m'a vraiment plu et même effrayé !

En effet, bien que l'auteure recense la pratique de la magie, les effets sur ceux qui le pratiquent et qui y croient (où non), on y trouve aussi quelques moments assez... curieux, voire même troublants, qui suscitent la chair de poule. Ainsi, lors d'un rituel de "désorcelage" où on pique un cœur de bœuf avec des épingles afin que tel une poupée vaudou le coupable de sorcellerie puisse ressentir les douleurs, on a le suspect qui hurle à la mort, s'enfuit avant d'aller à l’hôpital pour se faire retirer quelques bouts d'intestins... où encore la mort d'un conducteur maudit par son père qui lui avait prédit son décès par voiture... il y en a d'autres faits comme ceux-là qui vous font douter : , simple hasard, coïncidence où véritables moments surnaturels ?

Et cela ne s'arrange pas lorsque l'auteure est impliquée dans ce processus et qu'elle est menacée... même si elle garde toujours un œil critique sur ce qui se passe autour d'elle, on imagine à tout instant le sort s'abattre sur elle...

Et évidemment, il y a régulièrement des références à Lovecraft puisqu'elle compare régulièrement sa situation aux héros infortunés du grand écrivain horrifique, découvrant un savoir innommable qu'ils auraient préféré ne rien... savoir.

Hélas, sans vous révéler plus, toutes ces tensions et ces effrois vont diminuer à la fin d'autant plus que les annexes ne sont guère intéressant.

Néanmoins, une lecture surprenante et originale où l'étrange survient du réel, où la sorcellerie est plus réelle qu'on ne l'y croit... si l'on veut. A lire.
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