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EAN : 9782070327713
368 pages
Gallimard (02/04/1993)
4.33/5   9 notes
Résumé :

En 1969, Jeanne Favret-Saada s'installe dans le Bocage pour y étudier la sorcellerie. Personne ne veut lui en parler. Tenir un journal paraît alors le seul moyen de circonscrire un «objet» qui se dérobe : relater les conversations, incidents, coutumes qui pourraient avoir un lien quelconque avec la sorcellerie, noter systématiquement comment les gens refusent d'en parler. Dans la formulation même de ces refus se révèle peu à peu une conception du monde centr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
En 1981, moins de dix ans après la parution des Mots, la mort, les sorts, Jeanne Favret-Saada publie avec Josée Contreras des extraits de son journal de terrain, Corps pour corps.

Les mots, la mort, les sorts décrivait le système analysé par l'anthropologue, la sorcellerie bocaine. Jeanne Favret-Saada expliquait, dans une longue et séminale introduction, l'impossibilité de constituer tout savoir sur la sorcellerie sans tenir une des places du système : annonciateur, ensorcelé, désorceleur ou sorcier.
Elle rencontra le couple Babin, exploitants agricoles qui n'eurent de cesse de la mettre à la place de la désorceleuse, persuadés "qu'elle le faisait pour le bien" et qu'elle saurait mettre fin à la série des malheurs qui les touchaient (mariage non consommé, beurrées endémiques, difficulté à baratter etc.).
Le trouble dans la communication entre Jeanne Favret-Saada et les Babin, les incompréhensions réciproques et l'asynchronie des postures font avorter une relation que le refus de l'auteur à tenir la place que les Babin lui assignaient, aurait de toute façon achevé rapidement. Cette confusion aura cependant permis à l'auteur d'accéder à une vision du système sorcellaire qui sera l'armature des Mots, la mort, les sorts.
Corps pour corps est la reprise du journal de terrain de l'auteur, pour la seule année 1969, première des trois que Jeanne Favret-Saada passa dans le bocage mayennais. On y découvre les tours et détours qui mènent à cette rencontre. le cheminement est tortueux et traduit la progressive intégration de l'auteur dans le tissu social local. Des échanges apparemment anodins y sont retranscrits, suivis par les "pour plus tard" où l'auteur annote les événements et l'évolution des relations de l'auteur avec son environnement. La pensée s'y fait à la fois rétroactive et prospective. Cette écriture, quasi schizophrénique, permet à l'auteur d'être à la fois dans la relation (au-delà de multiples méprises réciproques) et de porter un regard sur celle-ci, de se décentrer.

Cette une pensée en construction qui se donne à voir et c'est fascinant.

À la fin de Les mots, la mort les sorts, Jeanne Favret-Saada évoquait avoir été initiée auprès de madame Flora, sans pour autant s'étendre sur la nature de cette relation. Elle livrait également quelques éléments de sa vie intime qui montraient qu'on ne tient pas, impunément, une place dans le système sorcellaire.
Corps pour corps est ainsi partagé en deux moitiés inégales : la première, qui comprend plus des deux tiers de l'ouvrage, relate la rencontre avec les Babin. La seconde livre des éléments de la dégradation de la situation personnelle de Jeanne Favret-Saada et achève de la convaincre qu'elle même "y est prise" et la mène jusqu'à la porte de Mme Flora, tireuse de cartes. La sorcellerie comme une allégorie de la sérendipité.

La mise en écho entre les deux épisodes (les Babin et Mme Flora) achève d'emporter l'adhésion du lecteur dans une mise en abîme que ne renierait pas la dernière page de Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez.
Le discours prend alors un saisissant effet de réel qui ne manque pas de d'ébranler le lecteur et permet de comprendre que le système sorcellaire est une réalité bien vivante, mouvante, transposable, vivante. Actuelle.
Éminemment protéiforme, la sorcellerie est autour de nous, en nous. Bien à rebours des fantasmes journalistiques et d'une imagerie de pacotille, elle traverse la société, elle en est des maillages, discret, obsessionnel et obsédant. Seuls les ignorants (ou les inconscients) peuvent encore penser qu'il ne s'agit que d'un folklorisme daté, inaccessible et croire qu'ils peuvent y échapper.

Moins connu, que l'ouvrage auquel il fournit la matière, Corps pour corps est une oeuvre à part entière, dont il n'est pas interdit de penser qu'elle est à la fois plus accessible et fascinante, si tant est que cela soit encore possible.

Un chef-d'oeuvre littéralement.
Lien : http://leslecturesdecyril.bl..
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Au-delà du thème captivant qu'il aborde et dont l'attraction opère immédiatement - sur le lecteur certes, mais également sur les protagonistes du livre et sur l'auteure elle-même, la force de cet ouvrage réside aussi dans sa forme. En effet, seulement composé des notes de terrain prises par Jeanne Favret-Saada, il permet d'entrer pleinement dans un quotidien. On est ainsi immédiatement transporté dans la Mayenne des années 70, assis à ces tables de ferme où la "goutte" circule et autour desquelles les paysans ensorcelés dévoilent peu à peu leur histoire. On s'aperçoit alors au fil des pages que la sorcellerie, à la fois entourée de mystère, fascinante mais vaguement inquiétante, finit par s'insinuer même dans l'esprit le plus cartésien et qu'après une année d'enquête, l'ethnographe elle-même ne peut plus en entendre parler sans que ses mains ne se mettent à trembler. L'ouvrage étant la fidèle retranscription d'un journal de bord, le lecteur vit ainsi entièrement cette évolution et finit lui aussi par être happé dans cette atmosphère de plus en plus oppressante.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Pendant deux heures, Louise Régnier m'a parlé des sorts sur le mode "il n'est pas question d'en parler". Cette femme use une énergie surhumaine à se maintenir dans l'ambivalence : il faut et il ne faut pas que la mère Chicot soit sa sorcière ; il faut et il ne faut pas qu'elle soit morte à la suite du rituel ; donc, Louise Régnier peut et ne peut pas me parler des sorts.
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Nous avons écrit ce livre à partir des notes de terrain prises au jour le jour par l'une de nous, Jeanne Favret-Saada, lors de son enquête ethnographique sur la sorcellerie dans le Bocage qu'elle commença en 1969
p. 9
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Videos de Jeanne Favret-Saada (11) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jeanne Favret-Saada
Jeanne Favret-Saada et Arnaud Esquerre :La haine envers les Juifs : faut-il un mot, ou deux ? Conférence tenue le 9 août 2021, dans le cadre du banquet du livre d'été « toute lecture est un parcours » qui s'est déroulé du 6 au 13 août 2021 à Lagrasse.
Après l'extermination de plusieurs millions de Juifs d'Europe par le régime nazi, des auteurs aussi insoupçonnables que, par exemple, Léon Poliakov et Hannah Arendt, avaient posé l'existence d'une différence de nature entre l'« antisémitisme » hitlérien et « l'antijudaïsme » des Églises chrétiennes, ce dernier étant religieux et non pas politique ; et médiéval et non pas moderne. Dans LeChristianisme et juifs, 1800-2000 (Le Seuil),Jeanne Favret-Saada et Josée Contreras ont montré, à propos du Mystère de la Passion d'Oberammergau, en Bavière, que cette distinction conduisait à passer sous silence l'action politique des Églises chrétiennes avant et après l'émancipation des Juifs, qui avait mis fin à la définition de l'État comme étant « chrétien ».La très récente publication, en juin 2021, de l'ouvrage monumental dirigé par Florent Brayard et Andreas WirschingHistoriciser le mal. Une édition critiquede« Mein Kampf »(Fayard) expose avec une précision inégalée la pensée de Hitler et son programme en 1925-1926, ainsi que leurs sources. Notamment concernant « le Juif », « les juifs ». La manière dont les Églises – en Allemagne et à Rome – ont accueilli ensuite son accession au pouvoir et commenté sa politique antijuive en fonction de ce qu'elles-mêmes souhaitaient que soit fait aux Juifs prend alors un relief nouveau.
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