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Critiques de Jeff Noon (47)
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Alice automatique

Lire Alice, ce n’est pas Automatique.

On atterrit à Manchester en 1998 pour remonter le temps jusqu’en 1860, soit un saut d’avant en arrière de 138 ans. Aussi quand sa grand tante Ermintrude l’interrogera à son retour pour la leçon d’anglais de 14 heures, elle pourra s’étonner de la nouvelle maturité d’Alice qui répondra à une question sur les différences entre les temps du présent et du passé : « ça, je m’y connais ». Ayant appris comme autant de points de suspension, les merveilles, le miroir et l’avenir de la vie lors de son escapade à travers le temps, à la poursuite de Whippoorwill le perroquet, lui sorti de sa cage et elle de son mode conventionnel. Elle fut tout autant, l’Alice aux pays des merveilles, la poupée Celia anagramme d’Alice, petite fille robotisée des temps modernes, et l’Alice de l’avenir, la vieillissante et transposable, l’Alice éternelle que nous a créée Lewis Carroll. Il m’apparait alors que ces trois dimensions d’Alice, avec un moi, un surmoi et une représentation universelle sont identifiables à souhait selon chacun son propre assentiment.

Extrait p.145 :

.

Dodo Dogson mena Alice

Au pays des plumes et des contes

La vie, ce long rêve du temps

En rêve Alice vivrait toujours…

.

Et vous qu’en pensez-vous ? propose Jeff Noon...

.

Merci à Jeff Noon, aux Éditions La Volte et au partenaire Babelio qui m’ont permis cette découverte.

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Descendre en marche

Quatre personnes voyagent à travers l’Angleterre dans une voiture mourante. Marlene, Henderson, Peacock et Tupelo ne se connaissaient pas, mais ils fuient l’infection et n’oublient pas de prendre leur médicament à heure fixe. Ce remède, c’est la Lucidité, aussi dite Lucy. Mais attention, l’overdose est vite arrivée et l’effet du médicament est exactement l’inverse de ce qu’il doit produire. Et Marlene, traumatisée par la mort de son enfant, rêve parfois de lâcher prise. « Mais je n’aspirais qu’à descendre en marche alors même que nous accélérions. Cette pulsion insensée m’a submergée : savourer la poudre pleinement, pour une fois. Courir dans les particules volantes, bouche ouverte, respirer la poussière à pleins poumons, pour une overdose. » (p. 17) Sans cesse rattrapée par ses camarades, Marlene est sur le fil.



Quand elle est lucide, Marlene écrit ce qu’elle vit, ses quelques souvenirs, son voyage, sa mission. Dans son pauvre carnet, les idées s’entrechoquent, se mélangent et la réalité semble de plus en plus difficile à fixer. « Que serais-je, sans lucidité ? Je ne serais pas capable d’écrire. Je ne comprendrais pas réellement les mots prononcés. Le monde s’emplirait de bruit et je serais perdue, complètement. » (p. 39) Et même en pleine lucidité, la mission que lui a confiée Kingsley lui semble de plus en plus absconse. Pourquoi continuer à chercher quand les mots s’effacent des pages quand on les lit ? Il faudrait réapprendre à déchiffrer les messages, réapprendre la communication. « Ainsi vivons nous aujourd’hui ; seuls ces réajustements permanents permettent de former une image globale, vraie ou non. » (p. 292)



L’infection n’est jamais clairement présentée. Il est question d’un bruit qui envahit tout, qui brouille les messages et la communication. Désormais, le processus de transmission et de réception est perverti. L’infection touche les vivants comme les objets. Et le pire, ce sont les miroirs : ils ont tous été recouverts, cachés ou détruits. Les reflets se rebellent et refusent de rester prisonniers des surfaces de verre. « Mais tout était mensonge, je le savais. Le signal était corrompu. Dans la si petite distance parcourue entre moi et l’image de moi, ça se décomposait. Là était le danger, le bruit prisonnier d’une boucle. Un visage me hurlait dessus, me faisait frapper le miroir du plat de la main. Le miroir ne s’est pas cassé. Je me suis fait mal à la main. » (p. 184) Qui a-t-il vraiment de l’autre côté du miroir ? Faut-il s’y risquer ? « Elle m’a dit qu’un démon vivait dans le miroir. […] Il la dévorait, a-t-elle dit. Il dévorait son apparence. » (p. 208)



Dans cette odyssée sans but, la voiture mourante est le cheval de Troie des 4 voyageurs. Ils ne vont nulle part et accomplissent une mission dont l’objectif est incertain, voire inconnu. Un roman de La Volte, c’est toujours un bel objet, avec une douce couverture et des pages souples et épaisses. Et quand il renferme une telle merveille de dystopie, ça devient un trésor. Une touche de Lewis Carroll, une référence aux Beattles et voilà un OVNI littéraire tout à fait fascinant. Si vous n’avez rien compris à mon billet, c’est normal. Prenez un peu de Lucidité. Et « si vous pouvez lire cette phrase, c’est que vous êtes en vie. »

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La Ville des histoires

Jeff Noon est grand.

Ce qui ne l’empêche pas d’être méconnu en France.

Les excellentes éditions La Volte continuent pourtant de faire un fabuleux travail pour le mettre en avant en traduisant son cycle de polar-weird autour du détective John Nyquist.

Son principe est simple : résoudre des affaires criminelles dans un cadre complètement étrange, dans des villes inattendues et fascinantes au possible.

Dans le premier volume, Un homme d’ombres, le Britannique nous présentait son héros au beau milieu d’une ville coupée en deux : Soliade, cité du jour éternel, et Nocturna, empire de la nuit perpétuelle.

En développant son concept jusqu’au bout et en imaginant une myriade de subtilités pour le mettre en valeur, Noon réaffirmait encore une fois son génie créatif. Pourtant, ce n’est pas tout.

En effet, dans le second opus, l’auteur nous transporte dans un endroit encore plus étrange et encore plus fascinant : Histoireville !



Histoireville. La ville des Histoires.

Il aurait été facile pour Jeff Noon de faire de ce nouveau terrain de jeu une simple démonstration sur le pouvoir des grands récits sur le réel.

Mais avec Jeff Noon, rien n’est aussi facile.

John Nyquist a quitté Soliade avant d’être embauché à Histoireville par une certaine Antonia Linden afin de suivre les allers et venues de Patrick Wellborn. Pourquoi ? John n’en a que faire, il fait ce pour quoi on le paye.

Et cela risque bien de lui coûter très cher.

En suivant la voie Calvino, John Nyquist regarde Wellborn s’engager dans la tour 5 de la Cité Melville, un endroit sinistre à propos duquel les pires rumeurs circulent. Le pire ne pouvait donc qu’advenir.

Quelques instants après sa rencontre avec celui qu’il file depuis des semaines, Nyquist se retrouve inconscient sur le sol de l’appartement 67 avec le cadavre de Wellborn étendu à ses côtés ! Mais que s’est-il passé ? Pourquoi Wellborn l’a-t-il attaqué ? Nyquist l’a-t-il vraiment tué en état de légitime défense ?

Tandis que ces questions tournent dans la tête du détective, il rencontre une jeune femme du nom de Zelda amenée dans la tour par Wellborn et qui en semble tout aussi prisonnière que lui.

Dès lors, la véritable intrigue commence et l’on comprend que quelque chose ne tourne pas rond dans cette cité Melville…et encore moins à Histoireville.

Jeff Noon construit petit à petit une métropole où l’écriture semble une obligation, où le citoyen se doit d’écrire son histoire. Mais pas n’importe comment, il y a des règles à suivre et le Conseil Narratif est là pour les faire respecter, pour que chaque histoire puisse arriver à son terme.

Chaque rue, chaque quartier, chaque place évoque des écrivains célèbres, de Kafka Court à l’Allé Nabokov en passant par la rocade Asimov.

La littérature et les mots hantent Histoireville, la font et la défont, et bien plus encore.



Le lecteur va suivre l’enquête de Nyquist pour comprendre ce qu’il s’est passé à la cité Melville mais aussi pour dénouer les fils d’une intrigue complexe autour d’un livre mystérieux appelé « Le Corps Bibliothèque ».

Un ouvrage fait de collages, sorte de projet expérimental et chimérique qui devient à la fois une drogue et un lieu dans la ville, qui rappelle l’entreprise qui guette l’écrivain britannique lui-même en écrivant La Ville des Histoires.

Jeff Noon a l’idée géniale de transformer des histoires en véritable possessions surnaturelles, par une sorte de drogue d’un type nouveau qui vous projette dans l’histoire d’un autre, littéralement. Peu à peu, les choses se font de plus en plus étranges pour Nyquist et le lecteur qui découvrent que les mots peuvent infecter les habitants, qu’un virus sévit à travers Histoireville et que la mort de Wellborn n’est que la partie émergée de quelque chose de bien plus vaste et perturbant. Noon plonge complètement dans la weird fiction, efface les limites entre le réel et le fictif, crée le vertige métaphysique.

Ce qui impressionne, c’est le soin et la cohérence absolu de l’ensemble, mêlant des phénomènes purement fantastiques à un polar noir corsé qui va servir à explorer les traumatismes d’enfance de Nyquist. Jeff Noon en profite pour creuser l’histoire de son héros, pour lui donner une fragilité derrière la carapace du détective dur à cuire et, finalement, le rendre émouvant, même par ces mots non écrits qui le hantent, comme si certaines phrases nous fondaient plus que d’autres.

La Ville des histoires parle de l’impact du récit sur nos vies, elle parle de l’importance de dire notre passé de la façon dont on le souhaite, avec qui on le souhaite. Mais surtout, le roman explore l’aliénation du créateur, de celui qui raconte, parfois prisonnier de ce qu’il écrit, qui va devoir saccager les œuvres des autres et se les réapproprier pour créer du nouveau, dédoublant son moi au risque de se perdre lui-même.

Jeff Noon livre encore une fois un univers truffé d’idées fascinantes qui vont bien au-delà de cette métropole où les histoires sont tout.

Le fait de raconter devient ici un élément de langage qui imprègne toute la culture d’Histoireville, des alphabètes volètent en marges de la cité présageant des évènement passés ou à venir, des mots peuvent même venir se glisser sous votre peau et des pages se transformer en drogue à la puissance terrifiante.

Le résultat ? Impressionnant, forcément.



Érudit en diable mais jamais gratuit ou tape-à-l'œil, La Ville des histoires est un sommet de weird fiction qui fascine par la richesse de ses idées et la cohérence de son cheminement narratif. Jeff Noon se renouvelle encore et frappe fort, tellement qu’on se demande bien ce qu’il nous réserve pour Jenny-les-Vrilles, troisième volume des enquêtes de John Nyquist.
Lien : https://justaword.fr/la-vill..
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Un homme d'ombres

Un détective digne d’un vieux polar dans une ville à la Italo Calvino, toute de lumières vives et de nuit profonde. Un système temporel bouleversé, avec des chronologies individuelles. Un assassin mystérieux que personne n’arrive à voir. Un sacré cocktail qui fait le charme et le mystère de cet Homme d’ombres, premier roman d’une série consacrée au détective John Nyquist.



Philip Marlowe…

Amateurs du polar classique, avec son détective décati, au bureau miteux, qui aime bien lever le coude et ne se sent pas bien sans sa dose impressionnante de whisky, dont le visage reflète les coups portés au fil des pages, vous allez être heureux ! Jeff Noon s’offre tous les clichés de ce genre. Son personnage principal, John Nyquist, est une reproduction des Philip Marlowe et autres clones dont les silhouettes ont investi les films hollywoodiens en noir et blanc. Et ce, dès les années 40. D’ailleurs, Un homme d’ombres se déroule en 1959. Mais pas dans notre monde.



… chez Italo Calvino

Car ici, l’action a pour cadre une ville qui rappelle inévitablement Les Villes invisibles d’Italo Calvino. Dans ce recueil, l’auteur italien imagine des cités que l’explorateur Marco Polo aurait pu décrire à Kubilai Khan. Et Jeff Noon, avec Soliade et Nocturna, suit la même veine. Dans sa prmière ville, la lumière est reine. Il faut annihiler toute trace d’ombre. Des enseignes qui éclatent de couleurs, des lampes partout, sur les murs, aux fenêtres, et même dans le ciel, transformé en vaste voûte tressée de fils électriques aux ampoules suspendues. La lumière s’infiltre partout, douloureuse. Et avec elle, la chaleur envahissante, pénible, suffocante. En face, Nocturna est sombre, ne propose que des lumières étouffées, minimales, sans éclat. Entre les deux, une zone de danger, Crépuscule, où se nichent toutes les peurs de cette portion d’humanité. Dans une brouillard dense, une brume (la Brune) étouffante tant elle semble vivante, des actions violentes et meurtrières se déroulent, des angoisses prennent forme. C’est là que le père du détective a disparu, suite à la mort de son épouse. C’est là que John Nyquist va devoir mener une partie cruciale de son enquête, mettant ainsi en danger sa propre santé mentale.



Le temps individuel

Car, grande idée que celle-là, à Soliade comme à Nocturna et plus encore à Crépuscule, le temps n’est pas universel. Chacun est libre d’utiliser le sien. Enfin, pas tout à fait, il faut acquérir une chronologie testée et fiable, pas une chronologie de contrebande, aux effets indésirables potentiellement néfastes. Chaque habitant a sa montre réglée sur sa chronologie et, quand il arrive dans un nouveau lieu, il peut choisir de s’adapter à celle qui y domine. Ainsi, il est possible de changer d’heure souvent, voire trop. Car le risque n’est pas loin d’être déphasé. D’ailleurs, une nouvelle maladie est apparue récemment, la chronophase. Et elle s’étend. Explique-t-elle cette impression éprouvée par John Nyquist d’avoir perdu quelques minutes lors du meurtre d’un suspect ? Ou cette sensation a-t-elle une autre origine plus mystérieuse, plus inquiétante ?



Un mal-être perpétuel

En fait, dès les premières pages, on sent que tout l’univers défaille. John Nyquist ne semble pas (plus) en phase avec lui et est toujours mal, toujours en décalage, toujours en souffrance. Comme nombre de personnages de romans, il nous entraine dans une spirale (infernale?) faite de sensations désagréables, d’actions qu’on aimerait qu’il évite de les faire tant on sent qu’elles vont mener à la catastrophe. Entre son passé qui resurgit sans cesse, source de doutes et d’hésitations, ses sensations d’étouffement ou de malaise devant la très forte luminosité de Soliade, ce détective ne paraît pas en état de mener une enquête sereine. Et l’on comprend immédiatement que cette dernière va le toucher en profondeur.



Les codes du fantastique

En effet, Un homme d’ombres reprend également les marques du genre fantastique puisque le personnage que l’on suit, dont on découvre les pensées à longueur de pages et qui, en fait, nous impose sa vision, est en difficulté. Ce qui fait que l’on ne sait pas où est le réel et où est son interprétation par John Nyquist. D’où la sensation perpétuelle de malaise évoquée plus haut. D’où également la richesse du roman, puisque l’on ne peut être sûrs de rien et que l’on est obligés d’attendre que le détective fasse le tri dans ses pensées, parvienne à les dompter afin de comprendre le fin mot de l’histoire.



Premier livre que je lis de Jeff Noon, Un homme d’ombres, malgré certains passages un peu longuets à mon goût, m’a donné une sacrée envie de découvrir le reste de l’œuvre du bonhomme. Sa maitrise des codes de la littérature, son imagination et la richesse de sa narration m’ont conquis et, dès que le temps me le permettra, je reviendrai vers lui avec attention. Et je surveillerai la parution de la suite des aventures de John Nyquist (quatre tomes parus en V.O. à ce jour).
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Un homme d'ombres

La Volte et Jeff Noon, c’est un peu une histoire d’amour.

Après la publication de sa trilogie Vurt et du recueil Pixel Juice (sans compter trois autres romans dont Alice Automatique), l’éditeur se risque maintenant à traduire la dernière série en date de l’écrivain anglais.

Avec Un homme d’ombres, Jeff Noon s’aventure dans le monde du polar pour réécrire à sa façon inimitable les enquêtes d’un détective au bout du rouleau et hanté par la disparition de ses parents : John Nyquist.

Mais c’est aussi et surtout l’occasion d’explorer une ville extraordinaire où le temps n’est plus ce qu’il était…



Ville d’ombres et de lumières

Présenté ainsi, Un homme d’ombres n’a pas grand chose d’original.

Un détective-épave, la disparition d’une jeune fille, des luttes de pouvoir et un mystérieux assassin répondant au nom de Vif-Argent.

Déjà-vu. Ou presque…

En effet, croire que Jeff Noon livrerait une banale enquête policière à son lecteur, c’est mal connaître l’auteur de Vurt.

Principale originalité et moteur de l’histoire : l’univers.

John Nyquist évolue dans une gigantesque ville séparé en deux : au nord, Soliade, cité du jour éternel où des milliards d’ampoules, néons et autres enseignes lumineuses maintiennent un jour perpétuel, au sud, Nocturna, où le ciel consiste en un tapis d’ampoules brisées où l’on a dessiné des constellations fictives pour s’orienter tant bien que mal malgré l’obscurité.

Entre les deux, un territoire étrange et surnaturel : le Crépuscule. Ici, la brume perpétuelle cache des êtres impossibles et des créatures qu’il vaut mieux éviter. Petit à petit, le Crépuscule grignote Soliade et Nocturna et certains disent même que la ville entière serait menacée par son expansion.

En dépeignant cette gigantesque cité, Jeff Noon renvoie à la gargantuesque mégalopole de China Miéville dans The City & The City, deux villes, côte à côte et diamétralement opposées. L’ambiance est là, la plume de l’auteur aussi et le lecteur s’abandonne rapidement à ce jeu d’ombres et de lumières, imaginant cette folle construction dans notre monde réel.

D’ailleurs, Jeff Noon ne fait rien pour l’interdire puisque ses personnages y citent des endroits qui existent vraiment, de l’Angleterre à la Côte d’Azur.

Pendant ce temps, à Soliade, on vénère les divinités du Soleil, Apollon en tête tandis qu’à Nocturna, on guette le singe électrique assez courageux pour entretenir la voûte d’ampoules brisées qui surplombe la ville.

Durant son enquête, John Nyquist ira dans les deux endroits et finira même par s’aventurer dans la sinistre bande de brumes que l’on appelle Crépuscule, inconscient d’une ville obsédée par le temps.



En retard ! Je suis en retard !

Car l’autre idée géniale de Jeff Noon pour briser les règles du polar traditionnel, c’est d’axer son univers sur le temps. Une obsession logique pour celui qui, on le sait, raffole déjà de Lewis Caroll et de son lapin blanc toujours en retard.

À Soliade et Nocturna, la chronologie que nous connaissons avec son alternance jour-nuit et son cycle de 24h n’a plus lieu. Pour le remplacer, les habitants peuvent acheter des chronologies et sauter d’un fuseau à l’autre.

Décuplez le temps en adoptant la chronologie des amoureux ou rendez le plus efficient en optant pour la chronologie d’entreprise… tout est possible mais gare à l’overdose. Car si vous abusez des différentes chronologies, la Chronostase vous guette, immobilisé à force de triturer les aiguilles et de flouer Chronos.

Cet élément donne au récit une toute autre allure, entraîne une confusion des sens et des années (sommes-nous vraiment en 1959 ?), offre au roman un sous-texte sur l’importance de notre chronologie naturelle et la façon de la détourner. On y apprend par exemple que Soliade est né d’une ville où l’on ne dormait pas et que ce surnom, loin de faire frémir, avait conduit d’habiles hommes d’affaires à prendre les choses au pied de la lettre pour augmenter les profits et la productivité.

Jeff Noon se sert de sa thématique temporelle pour complexifier son intrigue policière notamment grâce à une drogue appelé kia et qui permet de voir entre les secondes. Mais y voit-on véritablement l’avenir ou simplement une obsession inconsciente ? John Nyquist en fera l’amère expérience, perdu entre les chronologies et tentant de démêler les fils de son enquête au son du tic, tac, tic, tac de son esprit en perte de vitesse.



Dans les brumes du passé

Mais ce qui impressionne ici, c’est clairement la mise en branle de ces idées, de l’enquête policière au principe temporel en passant par cette ville incroyable qui offre un terrain de jeu exceptionnel à John Nyquist et Eleanor Bale, la belle disparue au lourd passé.

Le pouvoir évocateur d’Un homme sans ombres culmine dans sa dernière partie où l’enquêteur visite le Crépuscule, une zone où l’inconscient des habitants donne naissance à des êtres inimaginables et où l’on croit véritablement tomber dans le terrier du lapin blanc.

La grande force du roman de Jeff Noon reste sa capacité à transformer le réel en quelque chose d’aussi inquiétant que fascinant, créant des scènes marquantes avec trois fois rien. Citons par exemple la rencontre avec la mère d’Eleanor dans une pièce remplie de pendules, montres et autres horloges et où la pauvre femme tente de synchroniser l’ensemble sur l’heure de la disparition de sa fille disparue.

Si l’enquête finit bel et bien par assumer sa part de fantastique dans un final grandiose où les créatures de l’esprit s’emparent du récit policier, c’est aussi l’humanité des personnages qui marque, confrontés à la perte de l’être aimé, d’une sœur oubliée au père bouffé par le remord.

Un homme d’ombres n’oublie jamais que des êtres de chairs et de cœurs hantent ses pages…et c’est certainement cela qui achève d’en faire une aventure aussi remarquable.



Explosant les limites du polar conventionnel grâce à un cadre génialement maitrisé et un jeu temporel fascinant, Jeff Noon offre au lecteur une ville inoubliable où l’ombre et la lumière semblent s’affronter à distance et où le temps lui-même semble se métamorphoser. Un homme d’ombres étonne, régale, inquiète, surprend… et l’on en redemande !
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La Ville des histoires

"- Quel est le lien entre la livre et la tour ?

- Je ne sais pas par où commencer.

- Essayez de commencer par le début.

- Une telle remarque ne s'applique guère à un livre de ce genre.

- Faites au mieux."



Un inspecteur, John Nyquist, doit consigner par écrit tous les faits et gestes d'un homme. Histoire de gagner sa vie. Tout dérape lorsqu'il franchit le seuil de la tour Melville, de l'autre côté de la voie Calvino.



Une telle critique linéaire ne s'applique guère à un livre de ce genre.



Je vais donc faire autrement. Au mieux.



Imaginez Histoireville : une étrange ville dans laquelle les histoires des habitants sont contrôlées par des agents narratifs. On ne peut pas conter ce que l'on veut ni entraîner n'importe qui dans ses histoires. Gare aux contrôles narratifs qui peuvent couper les fils, vous faire passer à la page suivante ou pire laisser une page blanche !



Vous croiserez certainement des alphabêtes : des insectes portant une lettre de l'alphabet. Les mots ont de tels pouvoirs...



Tout est métaphorique et littéraire. Il est plaisant d'y retrouver diverses références explicites (le nom des allées par exemple) ou implicites ("le hall sentait le choux" de l'incipit de 1984) ou encore les deux (les visions kafkaïennes et un certain mouvement littéraire dont je tairai le nom).



Nyquist, contrairement à ce qu'indique son nom est bien entraîné dans une quête. Le lecteur également. Il doit déceler les jeux purement littéraires de l'avancée narrative. C'est un véritable labyrinthe.



La traduction est fluide, plutôt agréable à lire. Les descriptions sont prenantes et les dialogues dynamiques.



Notez bien, toutefois, que lire une histoire à Histoireville, de la plume d'un mec qui a une solide culture ET une imagination débordante d'encre nécessite une concentration à la fois maximale et exaltée.



Je remercie Babelio et les éditions La Volte pour cette formidable découverte. Je ne manquerai d'ailleurs pas de découvrir un peu plus Jeff Noon qui mérite une reconnaissance à la Lewis Caroll !

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Alice automatique

À la poursuite du perroquet de sa tante, Alice tombe dans une horloge et passe de 1860 à 1998. Ce qui se passe ensuite ? Alice cherche les pièces manquantes d'un puzzle. Elle parle avec des animaux et d'autres créatures étranges. « La néomonie, c'est une maladie terrible qui mélange animaux et humains en combinaisons nouvelles. » (p. 39) Elle rencontre sa peur jumelle (oui, peur). Elle cherche à comprendre à quoi servent les points de suspension. Mais surtout, elle doit retrouver son histoire pour retourner dans son époque. « Alice, tu es à la fois une personne réelle et un personnage imaginaire et comment tuer l'imagination ? Peut-être y a -t-il un petit moyen pour que ton histoire se poursuive... même si cela impliquerait d'aller à rebours de toutes les règles de la vie, de la mort et de la narration. » (p. 108)



Jeux de mots, glissements de sens et invention lexicale sont au rendez-vous ! Vous rencontrez Quentin Tarantula et peut-être portera-t-il un pentalon. Un pentalon ? Ben oui, un pantalon à cinq jambes. Mais ce roman n'est pas seulement absurde et étrange, il est aussi stimulant, drôle et provocateur. En témoignent les incises de l'auteur et les devinettes auxquelles il invite le lecteur à réfléchir avant de poursuivre sa lecture. Parce qu'il est parfois très important de se poser un peu pour cogiter... « Le problème, chez toi, Alice, c'est que tu comprends toujours tes actes une fois qu'il est beaucoup trop tard. » (p. 31)



Hommage évident à l'œuvre de Lewis Carroll, que vous croiserez sous son vrai nom dans ce roman, Alice automatique est un plaisir pour les linguistes amateurs, pour les amoureux du ique original et pour tous ceux qui ont des termites dans la tête. J'avais beaucoup aimé Descendre en marche du même auteur. Avec cette nouvelle lecture, je contresigne mon goût pour la SF psychédélique britannique.
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Intrabasses

Parce qu'une chanteuse (Donna) lui a tapé dans l’œil, un bassiste de 25 ans (Eliott) décide de venir faire un essai afin d'incorporer le "Glam Damage", groupe également constitué d'un batteur (2Spot) et d'une DJ (Jody).

Sous le charme de Donna mais un peu sur la défensive, Eliott est finalement intéressé par les compositions de Jody, le charisme de 2Spot et l'entente musicale impressionnante entre les trois membres du groupe. Et son intérêt est encore augmenté par le le fait que le groupe utilise un nouveau procédé d'enregistrement, sous forme d'un liquide coloré, que l'on peut remixer rien qu'en secouant la sphère contenant le morceau. La musique devient liquide et chaque remix est unique.

Petit à petit, Eliott est incorporé au groupe et la mayonnaise prend, bien que chaque membre ait des rapports avec la drogue et l'alcool qui compliquent la donne. Et un jour, 2Spot disparait...



Sexe, drogue (mais surtout drogue) et rock n' roll.

Les histoires personnelles de 2Spot, Eliott et celles de leurs parents avant eux sont intimement liées au rock de Manchester. L'enquête entreprise par les trois membres du groupe pour "retrouver" 2Spot se révélera être une quête où se mêlent histoire familiale et histoire du rock, du punk de 1977 à aujourd'hui. Ce sera aussi une plongée dans l'univers de la drogue.



Jeff Noon nous plonge dans l'atmosphère grise de Manchester, de ses clubs pourris mais cultes et de ses groupes maudits. Ses chapitres sont autant de chansons et sur le papier les phrases sont rythmées par des "slashs" comme autant de fins de lignes ou de vers, ce qui donne au texte un scandé nerveux. Cela donne une rapidité au texte, comme un morceau de punk.



L'ambiance générale ainsi que l'intrigue m'ont plu, la conclusion m'ayant très agréablement surpris - je ne l'avais pas vu venir. Certains passages sont très réussis et l'ensemble se lit agréablement et rapidement. Le style est original et colle bien avec le sujet.



Le livre est accompagné par une bande son qui complète le texte, mais fait presque doublon avec celui-ci, puisque ce sont des chapitres / chansons qui sont résumés et mis en musique.

Le style me fait penser à Tricky, époque Pre-Millennium Tension, compositions électros et texte parlé. Un bel exercice de style.



Merci à la Volte et Babélio pour ce livre reçu dans le cadre de Masse Critique.

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Descendre en marche

Encore un roman malade. Jeff Noon s'attaque une fois de plus à l'humanité et à ses héros. Ici, il est question d'image, d'images, de reflets, ou encore du double, de la représentation. Do you cross the mirror ?

Le mirroir, cet objet quotidien dans lequel le monde se mirre, le double inversé, la refléxion. Brisez-le et tentez alors de comprendre ce que nous sommes, perdus à jamais dans les limbes d'une humanité qui ne pourrait plus se représenter.

Tel est le point de départ de Déscendre en marche. Quatre personnages, Marlene (la narratrice), Henderson, Peacock et Tupelo voyagent ensemble et participent à une mystérieuse quête. Ils afforntent ensemble les dangers d'un mon malade en forme de fin du monde. On pense à La route de McCarthy et à toute une frange du cinéma : post-apocalyptique.

Jeff Noon marie toujours aussi bien les éléments du réél et leur double fantasmé. Ce qui fonctionnait dans Vurt, Pixel Juice ou Pollen est repris ici une nouvelle fois avec brio : un déroulement narratif sous la forme d'une longue course au rythme effréné, empli d'actions. A cela s'ajoute les interrogations d'un monde mouvant, travesti dans une réalité connexe et qui s'exprime par le regard embué de quatre personnages forcément drogué. Dans la Pharmacie de Platon, Jacques Derrida exprimait toute l'ambiguité du concept grec de pharmakon : le remède aussi bien que le poison. Jeff Noon a situé son roman en plein coeur de cette polysémie pour livrer un livre qui n'en finit plus de penser.
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Un homme d'ombres

Quand on me parle de « New Weird » en littérature, je suis toujours curieuse. Soit le résultat est fascinant, comme presque tous les écrits de China Miéville, soit il me laisse dubitative comme la trilogie de Jeff Vandermeer dont le premier volume, Annihilation, vaut largement plus que les deux suivants. Avec Un homme d’ombre, Jeff Noon y ajouter une couche très alléchante : celle du polar hard-boiled avec privé désabusé et porté sur la bouteille à la clé.

Le point de départ du récit est effectivement très classique. John Nyquist, détective divorcé, miteux et fauché est embauché par le grand patron de la ville pour retrouver sa fille fugueuse de 18 ans. Ville dans laquelle opère Vif-Argent, un tueur en série insaisissable aux motifs mystérieux Sauf que… Ce n’est pas n’importe quelle ville. Imaginez un peu la Grosse Pomme new-yorkaise revue et corrigée par le lapin perpétuellement en retard et le Chapelier fou d’Alice au pays des merveilles, tous deux vouant un culte aux divinités de la lumière. En effet, l’action se passe dans une mégalopole où le ciel et l’éclairage naturel n’existent plus, cachés derrière un gigantesque dôme couvert de lampes, miroirs, ampoules et autres sources d’éclairage. La Ville se divise en deux grandes sections : Soliade toujours éclairée et étouffante de bruits, d’activité et de chaleur ; et Nocturna où l’obscurité est maîtresse plus dédiée aux quartiers résidentiels et au repos. Entre les deux, le Crépuscule est un no man’s land brumeux réputé hanté et fui par tous. À ces particularités lumineuses, la Ville ajoute une conception particulière du temps. Affranchi des rythmes circadiens traditionnel, chaque citoyen y jongle entre les différentes chronologies en fonction de son humeur ou de ses activités du moment. Cette gestion du temps n’est pas sans risque. Elle génère ses krachs temporels à l’image de nos krachs boursiers, ses maladies (à l’image de la mère de la fugueuse s’efforçant perpétuellement de fixer le temps sur une heure précise) et même sa drogue, le kia, qui brise les frontières entre le passé, le présent et l’avenir. Pourtant natif de la Ville, John Nyquist va en découvrir les dessous et certaines de ses lois à la frontière entre la magie et la science qui la régisse sans que la majorité de ses habitants n’en aient conscience.

Comme souvent dans les deux genres pouvant revendiquer ce livre, l’ambiance fait tout. Dès les premières pages, vous êtes happé dans l’atmosphère étouffante et resplendissante de Soliade, étourdi par son rythme et, comme le protagoniste, parfois estomaqué par ses péripéties. Malgré tout, jamais Jeff Noon ne vous perd dans son roman si étrange. Il vous tient par la main et vous guide au fil des pages entre clair et obscur sur le chemin menant à une vérité déconcertante. Un homme d’ombres est le premier d’une trilogie de romans centrés autour du personnage de John Nyquist. Espérons que les deux autres, The Body Library et Creeping Jenny, seront eux aussi bientôt traduits à La Volte.
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Pollen

Réinterprétation du mythe de Perséphone en polar hardboiled psychédélique, ce roman échevelé, hybride, métis et musical en diable est un pur chef d’œuvre, et en tout cas celui du punk cybernétique authentique.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/04/27/note-de-lecture-pollen-jeff-noon/



Quinze ans après les événements décrits (si l’on ose employer ce mot sans doute un peu trop terre à terre pour la situation en question) dans « Vurt », les frontières entre le réel et le virtuel, « vurtuel » tissé de rêves, d’imaginaire et de mythes, frontières jadis franchies pour la première fois via les fameuses « plumes » mi-chimiques mi-incompréhensibles, sont de plus en plus poreuses dans l’agglomération de Manchester. Dans les ombres des songes et des faux-semblants, des choses grouillent et s’agitent, la corruption fait rage, les vies des citoyens, qu’ils soient humains bien sûr, mais aussi de deuxième ou troisième zone, cyborgs ou hommes-chiens, semblent moins tranquilles que jamais. Et voici qu’un étrange pollen se répand un peu partout, assorti de crises d’éternuements potentiellement fatales. Pour éclaircir le sort de Coyote, chauffeur de taxi de haute volée qui savait comment arrondir ses fins de mois, ou pour élucider les incidences de ce taux d’allergènes croissant dans l’atmosphère, on mène l’enquête, ordonnée en hauts lieux. Sibyl Jones, l’une des meilleures enquêtrices sur homicides (ou assimilés), et ce d’autant plus que le « vurtuel » peut être impliqué (« Je peux lire l’esprit des vivants et parfois, en arrivant assez tôt, celui des morts, les dernières pensées qui s’attardent »), l’inspecteur principal Z. Clegg (« bon chien flic, intègre ») l’assiste avec hargne et brio, mais aussi, concours de circonstances, la Xcab Boda, collègue de travail et admiratrice du fameux Coyote, sont sur l’affaire. En arrière-plan, le roi des taxis, Columbus, un personnage d’abord non identifié et comme issu de nos peurs secrètes, John Barleycorn (comme, justement, dans le célèbre album, créé en 1970, du Traffic de Steve Winwood, et aussi le DJ pirate, journaliste d’investigation et fin connaisseur de toutes les musiques des années 60, 70, 80 et 90, Gombo YaYa : il y a définitivement quelque chose de pourri au non-royaume de Manchester. Et lorsqu’on apprend que la mystérieuse et fatale passagère du taxi de Coyote s’appelait Perséphone, on bascule pour de bon dans une redoutable mythologie actualisée, en action et en omission.



Publié en 1995, deux ans après « Vurt », traduit en 2006 par Marc Voline à La Volte, « Pollen » est la deuxième installation composée par le Britannique Jeff Noon dans son univers lewiscarrollien en diable où le réel et le virtuel cohabitent et luttent. Dans le même contexte, il sera suivi en 1996 et 1997 de deux préquelles, « Alice automatique » et « NymphoRmation ».



Prolongeant l’entreprise commencée avec un si grand succès sous le signe des plumerêves, « Pollen » délaisse en apparence l’atmosphère purement hallucinée et hautement chimique de « Vurt » pour s’insérer avec un naturel confondant dans une extraordinaire atmosphère de polar hardboiled et psychédélique. À nouveau, il faudra se laisser ici porter avec une sombre allégresse par la langue et par les images, par le rythme échevelé et par les rebondissements volontiers abracadabrants (car Lewis Carroll est presque toujours là).



Incarnant peut-être avec le plus d’authenticité, parmi tous les candidats potentiels, l’esprit originel du cyberpunk, par l’importance accordée, sans jamais faiblir, à la musique et à ses pluies acides, aux sombres prémonitions que portent les paroles des grands poètes du rock (ni le Lewis Shiner de « Fugues » ni le Tommaso Pincio des « Fleurs du karma » ne sont si loin que ça), « Pollen » pousse plusieurs crans plus loin l’intégration profonde de la mythologie ancienne et collective.



Sa réinterprétation du mythe de Perséphone (succédant donc à l’hybridation et au métissage précédemment portés par la si emblématique Desdémone d’« Othello » et de « Vurt »), en résonance avec celles, bien différentes évidemment, de Mélanie Fazi, de Gwenaëlle Aubry ou de Jakuta Alikavazovic, en fait sans doute une réussite encore plus éclatante que le texte fondateur de la série (dont les pièces, par la soigneuse sorcellerie des évocations remplaçant d’éventuelles explications pénibles, peuvent parfaitement se lire indépendamment) : « Pollen » est magique, au sens propre du terme serait-on tenté de dire.
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La Ville des histoires

l y a un peu plus d’un an, La Volte sortait la première aventure de John Nyquist avec Un homme d’ombres, cette année l’éditeur récidive avec La Ville des histoires, toujours du même auteur, Jeff Noon. Pour les curieux à la mémoire longue, il s’agit de The Body Library dont je parlais à l’époque. Et si vous avez trouvé qu’Un homme d’ombres était très « weird », vous n’allez pas être déçu avec cette nouvelle enquête encore bien plus étrange.

Nous retrouvons John Nyquist à Histoireville, quelques semaines après la fin du roman précédent, alors que le détective privé cherche à creuser son trou dans une nouvelle cité aux mœurs étranges. Dans celle-ci, comme son nom l’indique, tout est histoire : les quartiers et les rues portent des noms d’écrivains (Calvino, Melville, Dickens, Plath, Marlowe), les histoires s’infiltrent sans cesse dans le quotidien des gens jusqu’à en colorer les expressions comme « un autre jour, une autre histoire » pour « demain est un autre jour » ou « son histoire est terminée » ou « il ne reste plus qu’une page blanche » pour dire d’une personne qu’elle est décédée, et il y a même une unité de police dédiée à la cohérence des récits et des agences spécialisées dans « l’effacement » de personnes ou d’événements. Partant d’une simple filature qui se termine mal, John Nyquist va se trouver embringué dans un récit où la frontière entre la fiction et le réel s’abolit et où le sang et l’encre se mêlent intimement.

Et je n’en dirais pas plus tant cette histoire est tordue, tarabiscotée et pleine de rebondissements. Tout comme John Nyquist, la lecture va vous imposer en permanence un effort pour réévaluer ce qu’il se passe et comprendre peu à peu les règles qui régissent Histoireville et la façon dont la fiction et la « non-fiction » (qui reste de la fiction pour nous) s’imbriquent et interagissent l’une sur l’autre. Et pourtant, cet effort n’est pas une contrainte. Même si, contrairement à mon habitude, je n’ai pas dévoré La Ville des histoires d’une traite, je me suis aventurée avec grand plaisir dans cette histoire guettant les indices au coin de chaque page, me méfiant des lettres et savourant avec délice les allusions de l’auteur, comme la si évidente Kafka Court qui sert d’adresse au siège de la police des récits. Et je m’aventurerais encore une fois volontiers dans les pas de John Nyquist dans une nouvelle histoire et peut-être une nouvelle ville, si La Volte en continue la publication.
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Alice automatique

Cet ouvrage se présente comme un troisième volet des aventures d'Alice, personnage de Lewis Carroll, auteur d'"Alice au pays des merveilles" et "De l'autre côté du miroir". Pourtant il n'est pas indispensable d'avoir lu ces deux derniers pour comprendre "Alice automatique". Mieux, mais pas indispensable. Si la seule connaissance que vous avez d'Alice vous vient de Disney, alors vous ne serez pas trop perdus.



En gros, Alice, en poursuivant le perroquet de sa grand-tante qu'elle a laissé s'échapper, rentre sans une horloge et bascule dans le temps pour atterrir à Manchester en 1998. Mais le Manchester dans lequel elle va vivre cette nouvelle aventure n'a rien à voir avec notre réel. C'est un monde habité par des créature mi-homme mi-animaux, mutation due à une maladie: la Néomonie. Alice va devoir chercher Whipoorwhill, le perroquet, ainsi que les 12 pièces manquantes de son puzzle afin de retourner en 1860 pour prendre sa leçon d'anglais.



Voilà en gros pour l'histoire, sans en dévoiler trop.



Ma première impression, en commençant le livre, a été plutôt négative. J'étais très déçue car les premières pages ne sont qu'une redite d'Alice au pays des merveilles. On note quelques différences: Alice ne court pas après un lapin blanc mais après le perroquet de sa grand-tante par exemple mais ça ne change pas grand chose. Le début ressemble à un grand plagiat, on retrouve tous les éléments de l'histoire de Carroll. En plus, Alice est agaçante de crétinerie, une vraie petite sotte. L'auteur ne cesse de passer du coq à l'âne et le récit est difficile à suivre. Il faut un temps d'adaptation pour intégrer les dialogues et situations toutes farfelues qui s'enchainent à grande vitesse.



Et puis, au bout d'un moment, on accède à cette anti-logique et on plonge dans l'histoire. Pour ma part, j'ai été aidée par mes enfants à qui j'ai lu un ou deux chapitres. Leurs réactions m'ont aidée à voir le merveilleux derrière l'absurde. Et puis, pour arranger les choses, au bout de quelques chapitres, l'histoire prend sa propre vie, se détachant pleinement de l'oeuvre de Lewis Carroll, ne se permettant plus que quelques clins d'oeil occasionnels.



Et donc, en fin de compte ou de conte, j'ai été enchantée par ce récit dans lequel l'auteur a su redonner une vie à Alice, rendant un bel hommage à son créateur dans une histoire à 100 à l'heure où l'ennui n'est pas permis, qui nous fait replonger dans la fraîcheur et l'innocence de l'enfance et qui nous embrouille la tête.

Une belle performance qui, à mon sens, tient la comparaison avec l'original.
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Descendre en marche

Une étrange maladie qui empêche toute compréhension, quatre personnes tentant d’y échapper. L’intrigue m’avait attirée, je n’ai pas été déçue.



Dans ce « road novel » au rythme saisissant, le lecteur est plongé dans la fuite de Marlene, Henderson, Peacock et Tupelo, avec pour seul décor un monde ravagé par une maladie terrible, jamais clairement décrite. Les livres, la musique, les images, ou même les miroirs ne font qu’embrouiller les humains, incapables de reconnaître toute forme d’information, et menacés de s’enfermer dans leurs plus profondes pensées. Marlene, la narratrice, est une ancienne journaliste partie à la recherche de morceaux de miroirs pour un commanditaire dont on ne sait presque rien. Son seul refuge est l’écriture : elle profite de ses rares moments de lucidité pour noircir un carnet, tentant de se souvenir, de comprendre, et de survivre à cette maladie.



Il s’agit là d’un roman étrange, au rythme angoissant, un roman parfois tout aussi bancal que les personnages eux-mêmes. C’est ce qui en fait sa richesse. Par l’écriture, Jeff Noon nous plonge complètement dans ce monde angoissant. Il mêle brutalité et poésie dans les mots de Marlene, de plus en plus malade. Les dialogues deviennent absurdes, les phrases se répètent, on se demande où la narratrice veut en venir… Puis les conversations redeviennent claires et on peut à nouveau avancer dans la lecture. S’il est parfois difficile de rester concentré, j’ai apprécié cette lecture inattendue, originale, et déroutante. Un véritable délire, un vrai délice.

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Jenny-les-vrilles

Nyquist a reçu des photos de son père qui'il croyait mort. Celui-ci l'avait abandonné après la mort de sa mère alors qu'il n'était qu'un enfant. Nyquist arrive donc à Hoxley-sur-la-Vives où il semblerait que son père se soit réfugié. Il n'est pas au bout de ses surprises. D'abord les habitants respectent des traditions bien ancrées depuis des siècles. Chaque jour de l'année est voué à un Saint. Si le Saint est devenu muet, alors on ne parle pas de la journée. Certains jours, on ne travaille pas ou on dort toute la journée. On doit parfois porter le masque d'Alice ou Edmund et tout le monde se nomme Alice ou Edmund. Nyquist, tout en enquêtant, se plie aux traditions des villageois. Petit à petit, il trouve réponse à ses questions mais celles-ci ne sont pas bien vues par tous. Il se sent rejeté, on lui demande de partir. On l'accuse même d'être le responsable de suicides de quelques villageois. On évolue finalement vers une histoire totalement démoniaque.

J'ai apprécié le début, j'ai frissonné, j'ai trouvé l'auteur débordant d'imagination. Pourtant, j'ai eu des difficultés à suivre et à comprendre, ce qui a gêné ma lecture. Tout s'éclaircit à la fin mais trop tard pour moi...
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Jenny-les-vrilles

John Nyquist est de retour ! Le détective privé déjà protagoniste principal de Un homme d’ombres et La Ville des histoires revient dans une troisième aventure : Jenny-les-Vrilles. Et cette fois-ci, le citadin bon teint qu’il est s’aventure en terrain hostile : la campagne anglaise. En effet, six mois après les événements s’étant déroulés à Histoireville, il a reçu un lot de photographie qui le relance sur la trace de son père, disparu à Soliade (la ville où se déroule Un homme d’ombres) dans son enfance. Et qui l’envoie à Hoxley-sur-la-Vive un petit village dans la campagne anglaise (si vous voulez imaginer les yeux, regardez quelques épisodes d’Inspecteur Barnaby ou lisez un ou deux cosy mystery du type Les Détectives du Yorkshire). Sauf que ce village a une conception bien locale de la religion et laisse différents saints et saintes régir sa vie. À chaque journée, son saint et ses règles à suivre : un jour, il est interdit de parler, un autre tout le monde s’appelle Alice ou Edmund, un autre encore personne ne sort de chez soi, etc. Et que l’arrivée de John Nyquist n’est pas du goût de tout le monde surtout quand elle semble réveiller la divinité locale, la Jenny-les-Vrilles du titre.

Si les deux autres titres de la série de Jeff Noon relevaient clairement de la weird fiction, celui-ci rappelle certains classiques de l’horreur britannique, la folk horror (comme dans The Wicker Man – ne regardez surtout pas le remake ! – , Apostle ou même The Ritual). Et une fois de plus, l’auteur nous emporte dans une nouvelle enquête, plus intime pour John Nyquist, mais tout aussi alambiquée que les précédentes. Et même s’il vaut mieux avoir lu les tomes précédents pour l’apprécier, je l’ai trouvé plus facile à suivre comme son protagoniste se fait littéralement mener vers la conclusion par les différents habitants du village qui cherchent tous à leur manière à profiter de sa venue pour se libérer de leurs tourments. C’est une bouffée d’air pure parfaite pour faire une pause dans la série aux environnements urbains assez étouffants jusqu’à présent, mais je suis prête à replonger dans une nouvelle ville si La Volte nous offre un nouveau tour de piste dans les traces de John Nyquist.
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Intrabasses

Dans un Manchester morne et pluvieux, on suit les tribulations musicales et psychédéliques des membres d'un groupe de musique electro, entre studios d'enregistrement et clubs miteux. On suit le point de vue de Elliot, bassiste, fraîchement arrivé dans le groupe « Glam Damage » dont il est question ici. Elliot, mélomane averti, est très impressionné par le bon jeu des autres membres du groupe (Dona la chanteuse, 2Spot le batteur et Jody la DJ). Mais ces derniers ont un secret, ils enregistrent la musique et la stockent dans une sphère en plastique sous forme liquide qui peut être inhalée, bue et même injectée. Cela décuple le talent des jeunes et les défoncent grave, par la même occasion. Un jour 2Spot disparaît, ses amis essaient de le retrouver, malgré tout le mystère qui auréole le batteur. L'issue sera tragique. Jeff Noon réussit ici un tour de force, celui de capturer la musique par l'écriture. Le style est très syncopé, sans majuscule, ponctué de /slashs/, mais la lecture reste fluide et rythmée. On ne lâche pas le livre ! Le roman s'accompagne d'un CD, la B.O. du livre. Intéressant mais très conceptuel, comme l'ensemble de l'opus. Une belle découverte !
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Intrabasses

Livre reçu et lu dans le cadre de l'opération Masse Critique. Merci à Babelio et aux éditions La Volte pour cette expérience !

Expérience que cet "Intrabasse" qui vous prends à bras le corps rapidement et vous entraîne dans les tréfonds d'un Manchester imaginaire, plutôt futuriste, où le groupe de musique Glam Damage tente de faire vivre la musique punk au rythme de la dance musique.

Avec une écriture syncopée assez pertubante au début, Jeff Noon vous propose de suivre Elliot, le bassiste qui rejoint le groupe, dans cet aventure entre drogue, histoire et musique.

Un petit air de "Requiem for a dream" traîne dans ce livre, et la bande-son qui accompagne cet édition vous propose une musique qui s'en fait également l'écho.

Avec Intrabasse, Jeff Noon propose une expérience littéraire et musicale à la fois perturbante et originale dans le milieu de la SF. Quelques points permettent en effet de classer en science-fiction ce titre, mais pour être plus précis, il se rapproche plus du mouvement Cyberpunk.

Si ce titre ne transpire pas la joie de vivre, il offre quand même un voyage musical intéressant !
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Jenny-les-vrilles

Une excellente lecture, qui me laisse particulièrement enthousiaste de découvrir les autres aventures du détective John Niquist. Jenny-les-Vrilles offre une enquête mâtinée de fantastique, dans un écrin farfelu assez fascinant, à mi-chemin entre l'inspecteur Barnaby et Sleepy Hollow. Meurtres, village de campagne et atmosphère hallucinée.



L'enquête de Niquist est rythmée par la découverte des moeurs qui ont cours à Hoxley-sur-la-Vive : chaque jour est rythme par les règles d'un Saint du calendrier. Evidemment peu au fait du fonctionnement, le détective s'attire rapidement l'hostilité des villageois, et est même parfois victime de la règle du jour de manière assez surprenante. Découvrir l'aube suivante et savoir à quelle sauce notre enquêteur va être mangé devient rapidement assez addictif, voire emprunt d'un petit côté sadique quant à ce que le protagoniste va subir. Les différentes situations qu'il vit virent souvent de manière assez cocasse.



Je garde toutefois une petite réserve - pour chipoter - quant à la résolution de l'affaire, que je trouve un peu rapide et brouillonne. Cela n'efface en rien toutes les autres qualités du roman - le voyage vaut largement le détour.



Une lecture que je recommande donc fortement - à ceux qui aiment les polars autant qu'à ceux qui aiment le fantastique ; l'auteur mêle ces deux genres avec brio et livre un texte assez fou, à l'atmosphère gluante et addictive.
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La Ville des histoires

Je remercie Babelio et les éditions La Volte pour cette découverte.

Cette lecture fut un plaisir. Et en même temps j'ai eu beaucoup de mal à tout saisir. Et j'en ressors avec un sentiment de flou et d'être passée à côté d'éléments de l'intrigue pour bien comprendre. Sûrement que ma lecture très entrecoupée n'a pas dû aider.

Pourtant il est très facile à lire, les pages se tournent et on est embarqué dans le récit. L'univers est très intéressant mêlant réalisme et fantastique. L'histoire nous plante rapidement le décor et nous fait découvrir peu à peu le côté fantastique. Et si le voyage est intéressant il m'a perdu. Je n'ai pas compris l'histoire du Corps Bibliothèque, ni son but et encore moins celui de ses auteurs. Ni la fin. Je n'ai pas compris certains éléments et qui sont vite expédiés alors qu'ils sont le but du personnage principal. Et c'est vraiment dommage parce qu'il ne manquerait pas grand chose pour que toutes les pièces du puzzle s'imbriquent parfaitement. Mais le tout m'a paru beaucoup trop nébuleux.

Il y a tout autrement pour ne pas nous faire lâcher le livre. Du mystère, des intrigues, de l'action, des découvertes...

Les personnages sont sympathiques et attachants sans être particulièrement originaux. Mais suffisamment développés pour qu'on aime les suivre et savoir ce qu'ils vont devenir.
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