Sasha, Lou, Bennie et bien d’autres d’autres se sont rencontrés à San Francisco, durant les années 70. Bennie Salazar était le leader du groupe rock, les Flaming Dildos. Autour de lui gravitent Sasha et Rhéa, deux jeunes fans attirées par l’incandescence de l’univers musical, ainsi que les autres musiciens de groupe. Ils rêvent tous de gloire, de succès, d’amour, d’une vie d’adulte qui réaliserait tous leurs rêves. Le temps a passé. L’espoir n’est plus. Il a fallu faire avec les petites compromissions, parfois même les grosses. Avec les mauvaises surprises de la vie. Que sont devenus leurs rêves d’antan ? Aujourd’hui quadragénaires, ces adultes désabusés continuent leur route comme ils peuvent.
Dans ce roman très déstabilisant, Jennifer Egan dresse le portrait sur une vingtaine d’années de toute une galerie d’individus, liés de près ou de loin. Il y a donc Bennie Salazar, devenu un producteur de merdes commerciales qui passe le temps à soigner sa libido en berne à coup de paillettes d’or dans son café. Il y a Sasha, ex-fugueuse, son assistante désormais, qui souffre de kleptomanie. Il y sera question de Dolly, l’épouse de Benny, de ses enfants aussi. On parlera aussi de la Doll, une conseillère en image qui a fait faillite, de Lou, un producteur musical accro à la coke. On assistera aux mariages des uns, aux décès d’autres. On naviguera d’une époque à l’autre, de personnage en personnage.
De fait, l’auteur bâtit son roman sur cette alternance. Chaque chapitre nous invite à suivre un personnage différent, à des époques différentes. Au lecteur de reconstruire ce puzzle sans aucune linéarité mais non sans lien. Si tous les personnages ne se connaissent pas, ils se sont croisés d’une manière ou d’une autre, ou bien un de leur proche est en lien direct avec les personnages phares de l’histoire : Sasha et Bennie. Le destin de certains est parfois édicté en 3 lignes, au détour d’une page, parfois totalement occulté. D’autres reviennent à plusieurs reprises dans le roman. Des générations se succèdent avec des aspirations différentes.
Ce procédé, après un temps d’adaptation où le lecteur doit accepter de sauter d’un temps à un autre, sans transition, a l’art de faire naître l’intérêt. L’apparition de tant de personnages aux destinées si diverses accroit sans aucun doute la curiosité. Ils sont variés, possèdent des profils marqués qui les différencie bien. L’analyse psychologique est poussé et donne beaucoup d’authenticité à chacun. On partage leurs pensées, on découvre leurs déceptions, les difficultés auxquelles ils ont dû faire face, leurs erreurs, leurs réussites. Tout cela est fort bien décrit par un narrateur omniscient qui observe chaque personnage dans son univers.
Pour autant, la lecture m’est peu à peu devenue plus difficile. La technique devient répétitive et sauter d’un personnage à l’autre, sans connaître le fin mot de l’histoire, si je puis dire, devient lassante. On lit des morceaux de vie, de manière très extérieure néanmoins et on finit par s’interroger sur le sens de tout ceci.
Alors certes, on assiste à une vision de la vie très fataliste où tous les personnages apprennent que le temps détruit les rêves, qu’il est vain d’espérer et qu’il faut se contenter de ce qu’on nous offre. Pas un seul, ici, ne réchappe à cette « loi ». Même ceux qui se disent rebelles finissent par se compromettre avec le Capitalisme, quant ce dernier ne les écrase pas. La vision sociétale des États-Unis qui se dessine ici est loin d’être rose et c’est avec beaucoup d’amertume qu’on referme le roman et qu’on quitte des personnages auxquels on s’est parfois attachés. Pourtant, on ne peut que les accuser d’un certain défaitisme et de la position dans laquelle ils se trouvent. Ils sont responsables de leurs frasques (compromission, sexe, drogue et rock’roll), et si chacun fait des erreurs, il est vain de reporter la faute sur quelqu’un d’autre. Pour ma part, j’ai trouvé les personnages très statiques, sauf exception. Ils semblent englués dans une spirale d’échec dont ils se refusent de sortir. Ils manquent de volonté et se complaisent parfois dans leur regrets. Ce n’est pas ma conception et cela m’a gêné dans le roman. Finalement, je n’ai ressenti aucune pitié envers eux et leur perdition (ou pas) ne m’a fait ni chaud, ni froid.
Qu’avons-nous fait de nos rêves ? est un roman qui partage. Si le sujet n’a rien de bien original, la narration est tout autre. Sa construction disparate n’en facilite pas l’accès et perdra quelques lecteurs peu attentifs mais offre sans aucun doute une approche qui rappelle Marcel Proust et sa recherche du temps perdu. L’auteur le cite d’ailleurs en exergue, se mettant sous l’égide du grand maître.
Prix Pulitzer mérité ou vaste tromperie ? Je vous laisse juge.
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