Solitude.
Un si merveilleux mot.
Isolement.
Elle était là, la connexion, dans le dictionnaire, qui me sautait aux yeux.
Ne pas vivre en un lieu isolé ou à l'écart ; mais faire un îlot de ce lieu ; être séparé, détaché ou rompre ses liens avec le reste du monde, s'isoler....
Je voulais la mer pour moi toute seule, là, emprisonnée. Printemps, été, automne, hiver, pouvoir la regarder changer. Matin et soir, isolée de sa réalité. Craquements, fracas, éclats de tessons et d'éclisses en colère. Vent violent labourant ses sillons dans des eaux profondes et d'un gris transparent. Je peux contempler. Je sais que ma solitude est là dans cette contemplation. Je n'ai pas d'autre fonction.
Tout le monde les regardait.
Il l'attira vers le centre de la salle en la faisant tournoyer. Elle se dit que le plancher était poisseux, que ses pieds n'allaient pas glisser, avec toutes ses taches d'humidité, les capsules de bouteilles de Coca et les paquets de pommes chips qui jonchaient le sol. Pas tout à fait la salle de bal du Metropole ou de l'Hôte Gresham. "Dansez", lui murmura-t-il à l'oreille. "Dansons. Montrez-leur de quoi nous sommes capables." Et ils tournoyèrent malgré le plancher poisseux. Quel plaisir, se dit-elle. Et ça fait longtemps. Je suis surprise qu'il danse aussi bien malgré son... son infirmité. Le rythme, c'est ça qui compte. Le rythme. Ca devait être un bon danseur quand il était... quand il était ... Il a bien dû être entier à une certaine époque. Des visages un peu rouges souriaient autour d'eux.
- Pas la prison, dit-elle en ne quittant pas ses cigarettes des yeux. Vous m'avez dit que c'était une clinique privée.
- Avec de jolies barres aux fenêtres, pour que je ne saute pas. Avec une ombre qui me suivait, me suivait partout, me surveillait pendant que je lisais, pendant que je mangeais, pendant que je dormais. Je n'avais même pas le droit de m'enfermer dans la salle de bains. Peu importe le degré de confort, peu importe les règles. Une prison, c'est toujours une prison.
- Que leur avez aviez-vous fait ?
- Rien du tout. Ils voulaient juste que je sois normal. Prêt. Prêt à être exhibé dans le beau monde. Notre héros de fils. Un héros bien conforme. Les héros doivent être reconnaissants de l'admiration qui passe dans le regard des autres. Reconnaissants de ce qu'on leur accorde une pension. Reconnaissants des petites attentions dont ils font l'objet. Reconnaissants d'être en vie. Je ne voulais ni être prêt ni cadrer avec cette image-là. Alors ils se sont dit qu'il valait mieux m'enfermer quelque part. Ils n'arrêtaient pas de parler de tout l'argent qu'ils dépensaient pour moi.
Je ne me plains pas, je me contente de rêver, je ne me noie pas, je fais juste un signe de la main.
Il avait repris son tambourinement. Le vin trembla dans les verres.
- La vérité ? Ma chère enfant, s'ils se mettaient à nous dire la vérité, nous retournerions vite fait dans le ventre de notre mère et refuserions d'en sortir... De toute façon les gens ont besoin de ces mensonges pour continuer. Plus vous répétez une chose, plus elle a de chances de devenir vraie...
- A force d'être brillant, tu finiras par t'aveugler."
- C'est comme ça en février. Février est toujours mauvais. Il fait trop sombre. Ça bourdonne dans la tête des gens."
- Quoi ?
- Cette obscurité. "
J'ai passé la moitié de ma vie à l'hôpital. D'un hôpital à l'autre.Depuis l'âge de dix-neuf ans. Ca c'est du temps perdu. On vous y rafistole aussi bien l'âme que le corps et on essaie de vous rendre acceptable à la société. Ayez des égards pour ce que les autres peuvent ressentir. Ne montrez pas vos cicatrices aux gens. Soyez brave, soyez un bon garçon.
J'eus de grandes espérances quand finalement je réussis à persuader mes parents de me laisser étudier à l'Académie des Beaux-Arts, espérances que des révélations me viendraient peut-être, à la fois artistiques et spirituelles. J'avais besoin d'une révélation quelconque à ce moment là. Bien entendu, il ne se produisit rien de tel. Je n'avais pas assez de jugeote ou d'énergie pour comprendre que c'est à nous de créer nos propres miracles.
Je m'étonne toujours que, dès l'instant où l'on commence à puiser dans les eaux de la mémoire, les choses les plus étranges se prennent dans le filet.