Citations de Jérôme Kerviel (100)
Le lieutenant voulut aussi établir le moment où le trading bascule dans l'excès. Je lui répondis que j'avais moi-même du mal à le savoir, puisque j'avais régulièrement dépassé toutes les pratiques officiellement admises sans que personne ne s'en soucie.
Au fur et à mesure que se déroulait mon affaire, je pris d'ailleurs conscience d'un point sur lequel je ne m'étais jamais interrogé auparavant : la difficulté qu'on rencontre à expliquer aux gens que l'on peut éprouver une véritable passion pour son métier.
J'avais beau leur répéter [aux policiers de la brigade financière] qu'en dehors du souci de faire mon métier de la façon la plus efficace possible, aucune préoccupation d'ordre personnel n'était à prendre en compte, rien n'y faisait ; ils voulaient sonder ma psychologie, tenter de me comprendre, repérer mes failles, mes envies profondes, mes revanches éventuelles. Je n'étais pas le bon client pour ça.
La vieille idée selon laquelle les policiers peuvent faire signer n'importe quoi à n'importe qui, je la comprends maintenant. [sic]
Et quand [durant la garde à vue] l'un me demanda si j'avais détourné de l'argent à mon profit, exaspéré, je lui répondis : "Quand vous avez perquisitionné, vous avez vu mon appartement ? Quarante-cinq mètre carrés, aucune toile de maître, du mobilier Ikéa ! [...]
... j'avais l'impression de vivre une scène de film : le rendez-vous discret, le "sous-marin", le policier blagueur...
Les policiers s'étaient étendus auprès des médias sur le ait qu'ils avaient découvert chez moi... un Coran ! [...] allant même jusqu'à évoquer des liens que j'aurais entretenus avec Al Quaida. [...] J'étais scandalisé de l'amalgame [...] En quoi est-ce suspect d'avoir un Coran chez soi ?
La convocation pour la garde à vue tomba dans la journée [...] La nouvelle me créa un violent choc [...] Durant le dîner [...] un sms de mon amie m'annonça que la police était en train de perquitionner à mon domicile ; elle venait d'entendre la nouvelle à la télévision [...] Les policiers auraient tout de même pu me demander la clé !
"Félicitations, tu passes trader l'an prochain."
"C'est de la totale folie ici, démerdez-vous tout seul. On ne fera pas de démenti", me lança-t-elle avant de raccrocher.
Oui, la formule était bien trouvée : nous étions tous devenus de "bonnes gagneuses", et nous aimions notre enfer.
Ma vie de trader avait débuté dans l'angoisse ; celle qu'avait suscitée la comparaison entre les sommes que je manipulais et la vie concrète. Peu à peu, je m'y étais habitué jusqu'à ne plus les voir.
M'étais-je au moins enrichi ? J'avais vécu confortablement, rien de plus. Au moment où mon affaire éclata, en janvier 2008, mon salaire brut annuel tournait autour de 50 000 euros.
Au total, durant l'année 2007, ce ne sont pas loin de mille opérations de pure spiel que j'ai menées. Les montants des engagements étaient variables, mais je l'ai dit, montèrent à deux reprises à 30 milliards d'euros.
En mai comme en avril, et ensuite en juin et en juillet, mes responsables et les contrôleurs financiers détectèrent ainsi des transactions fictives pour des montants exorbitants et choisirent de passer en comptabilité des écritures de résultats pour les mêmes montants. Ils savaient parfaitement ce qu'ils faisaient.
Je sentais obscurément que je dépassais les limites du raisonnable, mais je ne voyais pas comment stopper la machine.
Avec le recul, je me rends compte que, ce jour-là, je n'attendais qu'une chose : qu'on vienne me voir, le cas échéant pour m'engueuler [...] et qu'on mette un terme à la course folle dans laquelle j'étais en train de me précipiter.
Un mois plus tard, un nouveau mail d'alerte parvint, cette fois, à mes trois supérieurs hiérarchiques directs [...] Ce n'étaient plus 94 millions qui posaient problème aux contrôleurs, mais 142 millions qui manquaient dans les comptes.
À la question du policier : " [...] dans quelle mesure d'autres personnes ont-elles été informées du caractère fictif de ces opérations ?", la réponse fut : [...] tout le monde [...]
Il faut savoir aussi que, quand on achète un future, le versement du dépôt initial doit être effectué le lendemain, puis quotidiennement [sinon] ce sont des opérations qui méritent que l'on y regarde à deux fois. Certaines des miennes restèrent vingt jours en attente dans cette base [...] alors que leurs montants ont atteint jusqu'à 30 milliards d'euros. Je ne renseignais donc jamais rien puisqu'il n'y avait rien à renseigner [...] La banque [...] ne se souciait jamais de savoir à qui elle devait cet argent...