Citations de John Crowley (66)
Oiseau de mort. Memento mori, comme l'appelait parfois le Frère dans l'autre langue, la langue spéciale. Mais c'étaient eux, les Humains, qui s'intéressaient à la mort. Ce que voulait une Corneille, c'était vivre : elle le voulait dans un repli si profond de son être qu'on ne pouvait ni le trouver, ni le nommer, ni en parler.
Pour ces animaux-là, il était difficile de comprendre ce que faisaient les Humains. Les Humains leur paraissaient aimer la mort : ils chérissaient les cadavres de leurs semblables et s'évertuaient à en augmenter le nombre, pour les traiter en bien ou en mal.
Mais ceux-là ne se comportaient pas comme des Corneilles. Les défenseurs combattaient comme s'ils avaient affaire à des intrus, mais tuaient comme s'ils s'agissaient de proies.
Je te connais, dit-il. Je t'ai vu, là en dessous. Pourquoi n'es-tu plus en Enfer?
Parce que c'est ici, l'Enfer, répondit le brigand sans lèvres; et j'y suis toujours.
Les Corneilles finirent par beaucoup s'amuser de ces mannequins; bien qu'elles n'identifient pas les multiples représentations que les humains se donnent eux-mêmes, le recours à l'épouvantail est tellement évident qu'elles ne se trompent pas, et il produit le même effet sur leur sens de l'humour qu'une blague sur certains individus. Elles se plaisent à feindre au début un brin de frayeur avant d'aller se percher sur les bras écartés du faux paysan et lui croasser à la figure - car les Corneilles croassent de plaisir en cas de drôlerie et de surprise : un cri qu'on finit par reconnaître à force de les étudier.
De la compassion. Voilà ce qu'il ressentait dans la poitrine et derrière les paupières quand il allait se percher, bien caché, pour dormir. Il n'avait pas de mot dans la langue du Kra pour ce sentiment; il n'en existait pas parce qu'il était la première Corneille à l'éprouver. De la compassion pour ces âmes aux prises avec les complications terribles de l'existence qu'elles s'étaient donnée, qui s'étaient échinés avec autant de constance et d'acharnement que les Abeilles en mettent à construire leurs ruches, sauf que les ruches de ces âmes-là ne recelaient pas de miel. Des vies de labeur, des batailles et des morts, tout ça en vain, pour rien, voire pire : sans raison.
C'est de cette façon qu'opère un Faucon : piquer à une vitesse hallucinante, fendre le crâne de sa victime d'un coup de tarse, puis s'en saisir alors qu'elle tombe morte ou étourdie vers le sol. Il procède rarement autrement. Les Faucons sont puissants et féroces, mais pas inventifs. Ils n'en ont pas besoin. C'est à leur proie de réfléchir.
Elle était certaine que la mort refermerait sa vie comme un livre ; elle ne croyait pas que les livres physiques qu’elle offrait à des bénéficiaires triés sur le volet lui permettraient de continuer de vivre une fois que ces bénéficiaires en prendraient possession ou qu’ils les liraient. Et, malgré tout, pour elle, persévérer dans ses dons, c’était la garantie de continuer de vivre.
Crowley exprime :
Son manque de confiance dans la rationalité de la civilisation construite par l'homme
Je sais cependant que tout ce qui arrivé n'est pas dû au seul hasard ni à la seule fatalité, mais est le fruit d'intelligences soumises à des contraintes - ainsi qu'à des désirs profonds.
c’était le plus dur quand on vit trop longtemps : on perd ses compagnons. On leur survit, les uns après les autres.
Les corneilles prétendent qu’une seule corneille pourrait détruire le ciel.
C’est incontestable mais ne prouve rien contre le ciel, car ciel signifie justement : impossibilité des corneilles.
Franz Kafka
(Epigraphe du roman)
Les Corneilles n’ont pas de morts.
Ne croyez pas qu’elles vivent éternellement, qu’elles ne meurent jamais, même si l’Ymr les en a crues capables à des périodes diverses. Ne croyez pas non plus qu’elles se fichent complètement de celles qui meurent, ou qu’elles ne déplorent pas leur disparition : c’est tout le contraire. Les mères qui ont perdu des petits, la survivante d’un couple – elles peuvent en devenir folles. Elles détestent la mort ; la découverte d’une Corneille morte peut donner lieu à des heures de lamentations bruyantes dans toute une congrégation, qui évitera pendant longtemps le lieu abhorré. Qu’on laisse ne serait-ce qu’un lambeau de plastique noir dans un champ, et les Corneilles viendront y pousser des cris d’horreur et d’alerte, en se tenant à distance jusqu’à ce qu’elles se risquent à s’approcher et constatent leur méprise.
— Peut-on avoir suffisamment de vie ? demanda-t-elle.
— On ne peut pas en avoir davantage.
Les Humains vivaient d’histoires. On pouvait les suivre, comme des sentiers, dans n’importe quelle direction, mais elles allaient toujours du début à la fin.
Les souhaits exaucés renfermaient des pièges, semblait-il : il n’en avait rien su.
Amour et ingénuité valent parfois mieux qu’intelligence et ruse…
Certaines années, il y a une époque où, après les premiers gels, le ciel se réchauffe et fait place à l’été. C’est à l’odeur des petits matins, aux feuilles sèches et cramoisies qui menacent à chaque instant de tomber que vous reconnaissez l’arrivée de l’hiver. Et quand l’été prend la relève, il est d’autant plus précieux qu’il est faux et éphémère. Pour des raisons que personne ne connait, à Petit Belaire, nous l’appelions l’été-machine.
Étrange comme la possession d'un nom vaut possession de ce qu'il désigne. Quand il apprit auprès d'elle les mots lance, charrette, pot et vache, ce qu'ils désignaient se détacha du décor environnant pour acquérir aussitôt une individualité et devenir sa propriété.
Ce qui nous rend heureux, nous rend plus sage